Chapitre 21

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Voilà un mois que les répétitions avaient commencé, et Emi ne s’était jamais sentie aussi désemparée de sa vie. La jeune danseuse, qui était si sûre d’elle en début d’année, était en train de perdre pied complètement. Elle travaillait comme une folle sur les chorégraphies du spectacle de fin d’année mais rien n’y faisait, Mlle Morvan n’était jamais satisfaite. Emi, qui auparavant ne vivait qu’à travers la danse, commençait à aller aux répétitions à reculons, effrayée à l’idée de décevoir un peu plus son idole.

Le pire, dans tout ça, était de voir son rival de toujours, Adrien, briller. Le lycéen dansait comme elle n’avait jamais vu personne danser. Mlle Morvan semblait satisfaite de lui, même lorsqu’il répondait avec insolence à ses remarques. Etait-ce dû à son statut de fils du directeur ? Ou lui était-il à ce point supérieur ?

La jolie blonde était complètement perdue, et n’osait en parler à personne. Comment réagiraient ses parents en apprenant que leur fille n’était pas au niveau ? La lycéenne ne pouvait pas se permettre de les décevoir, eux aussi. Alors elle gardait ses doutes et ses interrogations, en tentant de faire bonne figure, de donner le change.

Emi ne se sentait plus à sa place. Son rêve s’était transformé en cauchemar, et la jeune fille essayait tant bien que mal de s’en sortir, d’autant plus que, malgré l’emploi du temps aménagé, elle avait de plus en plus de mal à suivre en cours. Aurait-il été préférable pour la danseuse qu’elle ne se lance jamais dans ce rêve irréalisable ?

Pourquoi l’avoir choisie, elle, alors que Channelle était naturellement douée ? La demoiselle lui en voulait clairement, la bousculant dans les couloirs et la méprisant du regard, des provocations auxquelles Emi n’osait pas répliquer. La jeune fille se sentait déjà nulle, pas la peine d’en plus se faire une mauvaise réputation en provoquant des soucis.

« Mlle d’Abraracourt, revenez parmi nous je vous prie ! la réveilla Lady Rosa, leur professeure d’anglais. »

Il est vrai que depuis le début des répétitions, Emilie n’était plus très attentive en cours. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que la lycéenne se prenait une remarque d'un professeur, mais elle ne craignait plus d’être exclue du spectacle. Elle n’avait plus envie de rien.

La jeune fille vit arriver avec beaucoup de soulagement la fin de la matinée. Elle n’en pouvait plus. Il lui fallait travailler ses pas. Cela faisait une semaine et demi qu'Emi ne prenait plus ses déjeuners avec ses amies mais elle n’en avait plus le temps. Le plus important, c'était de travailler.

En arrivant dans le studio de répétition, Emi cessa de penser au reste et se reconcentra sur l’essentiel. Il fallait qu’elle réussisse, elle n’avait pas la choix !

La danseuse commença les mouvements, dérapa, et tomba brusquement au sol. Elle resta couchée un instant avant d’éclater en sanglots. C’était la fin. Emi ne supportait plus cette situation.

La jeune fille s’immobilisa et cessa de respirer en entendant la porte du studio s’ouvrir. Deux grands pieds s'arrêtèrent devant elle. Son regard remonta le long de deux jambes musclées et familières, parcourut le torse dessiné sous un tee-shirt près du corps, et fixa enfin le visage du garçon qui la contemplait.

Adrien.

Il lui lança un regard intrigué, un peu gêné.

« Pourquoi tu pleures ? demanda-t-il tout de go. »

La jeune fille le dévisagea sans un mot pendant quelques secondes, avant de lâcher sèchement :

« Et en quoi cela t’intéresse ?

- Ecoute, admit le jeune homme malgré lui. Si c’est à cause de Mlle Morvan, sache que ce n’est qu’une immense garce, elle raconte n’importe quoi lorsqu’elle dit que tu ne sais pas danser, et tu ne devrais pas prendre en compte ses critiques. »

Emilie lui jeta un regard horrifié. Comment ce jeune inconscient osait-il dire cela de l’une des élèves les plus brillantes qui était sortie de cette école ?

Elle se leva d’un bon et pointa un doigt accusateur sur son cavalier.

« Je t’interdis de proférer ce genre de propos désobligeants ! Tu n’as rien à dire ! C’est parce que tu es le fils du directeur que tu te permets ce genre de remarque ? Fiche-moi la paix, je ne t’ai rien demandé ! »

Et Emi sortit d’un pas rageur de la salle, plantant là un Adrien totalement déboussolé.

Lorsque la jeune fille rejoignit à nouveau la salle de répétition, où l’attendaient Adrien et Mlle Morvan, Emilie n’avait toujours pas décoléré.

La répétition se passa aussi mal que d’habitude. La jolie blonde se faisait remonter les bretelles par la chorégraphe, qui l’incendiait au moindre faux pas, et lui jetait des regards dédaigneux le reste du temps. La nouveauté était le mutisme d’Adrien. Il ne répondait aux remarques assassines de Mlle Morvan que par des regards noirs.

La froideur nouvelle entre les deux danseurs - il la fusillait du regard pendant qu’elle l’ignorait - ne semblait pas déranger outre mesure la femme en face d’eux. La chorégraphe continuait de les rabaisser sans se préoccuper de leurs relations.

A la fin du cours, Emilie ne put s’empêcher de réfléchir à ce que lui avait dit Adrien. Certes, la jeune danseuse se lamentait, mais c'était vrai qu'elle avait été choisie. Il devait y avoir une raison. Pourquoi ne pas, tout simplement, aller demander à Mlle Morvan ce qu’elle devait précisément améliorer dans sa danse pour y arriver ? Il était très stressant pour Emi d’aller parler directement avec une danseuse d'une telle envergure mais, comme le disait toujours sa mère, les limites qu’il fallait dépasser pour s’améliorer n’était jamais physiques.

Emi prit donc son courage à deux mains et ouvrit doucement la porte qui menait au studio, où se trouvait encore Mlle Morvan. Elle ne parvint cependant pas à ouvrir la porte en entier, car ce que disait son idole la tétanisa.

« Franchement, quelle idée de mettre une fille aussi jeune et inexpérimentée sur un tel projet ? C’est une catastrophe, cette gamine est incapable de faire le minimum ; rien ne va chez elle ! Emilie n’a clairement pas l’étoffe d’une danseuse étoile. Quel dommage qu’elle n’ait pas hérité du talent de sa mère. Je ne vois toujours pas ce que le vieux Silberdorn a vu en elle, cette fille est une coquille vide. Il commence, je pense, à se faire un peu vieux pour un tel métier et a dû perdre son don de repérer les futures étoiles. »

Et la chorégraphe continua sur sa lancée en sortant de la salle, ne remarquant pas qu'elle était épiée.

Emilie prit son sac, hébétée, et parcourut mécaniquement le chemin qui la menait chez elle. La jeune fille s’enferma dans sa chambre et se mit à sangloter à chaudes larmes. C’était décidément la fin ; elle ne retournerait plus jamais dans cette école.

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