Chapitre 16

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Le lendemain de la journée d’auditions, un samedi, Adrien était confortablement allongé sur son lit, vêtu d’un costume noir et d’une élégante chemise, sans chaussettes, la cravate qui pendait à son cou attendant encore d’être nouée. Un fond musical jazz lui caressant les oreilles, le jeune homme était parfaitement détendu.

Soudain, la porte d’entrée s’ouvrit avec violence et alla claquer contre le mur du vestibule, faisant trembler tout l’immeuble. Adrien sursauta, arracha ses écouteurs de ses oreilles et sauta dans ses chaussures aussi rapidement qu’il le pût, son coeur battant la chamade, en harmonie avec les bruits de talons hauts qui s’amplifiaient dangereusement à mesure que sa mère gravissait l’escalier.

Quand cette dernière poussa la porte de la chambre de son fils d’un geste déterminé, le garçon leva piteusement la tête du sol où il ramassait sa cravate, pour l’accueillir.

« Adrien Silberdorn ! »

La voix stridente de sa mère lui perça les tympans, en même temps qu’elle l’étouffait dans une étreinte passionnée.

« Mon amour, tu es beau comme un coeur ! Viens-là que je t’attache cette pauvre cravate ! »

Hélène Fox étrangla, plus qu’elle n’aida son fils. Comment se débrouillait-elle donc au travail, quand elle habillait les célèbres comédiens dont elle créait les magnifiques costumes ? Si Adrien avait été la personne en charge du recrutement dans ce milieu, la douceur aurait été un prérequis sine qua non pour ce métier.

« Tu as remarqué ? J’ai suivi tes conseils et mis la robe rouge ! »

Adrien contempla sa mère, qui se pavanait fièrement en tournoyant devant lui. Il ouvrit la bouche pour la complimenter, mais fut interromput par une voix masculine :

« Ravissante, Madame. »

Mme Fox-Silberdorn leva la tête vers le nouveau venu. Quand elle le reconnut, son visage se para d’un ravissant sourire.

« Merci, Sébastian. Vous n’êtes pas mal non plus ! »

Des propos appuyés par un charmant petit rire et un clin d’oeil. Adrien leva les yeux au ciel. Si le jeune homme n’avait pas été aussi souvent témoin de l’amour inconditionnel que se portaient ses parents, il aurait juré que sa mère et leur serviteur vivait une liaison torride depuis des années. Le fait était qu’ils étaient tous deux de très bons amis, une relation encouragée par leur penchant commun pour le flirt.

Il fallait dire que la mère d’Adrien était une femme d’une exceptionnelle beauté, à l’apparence encore jeune, qui avait transmis à son fils un nez fin, de longs cils et d’élégantes boucles brunes. Le jeune homme avait, en revanche, hérité des yeux verts, très clairs, de son père, et seule sa peau légèrement hâlée témoignait de l’ascendance malgache de ses ancêtres maternels.

« Sébastian Gomes ! retentit soudain une voix impatiente. Où est-ce que cet incapable a encore disparu ? »

La mère d’Adrien sourit à son domestique d’un air complice, amusée par l’habituelle acrimonie de leur vieille cuisinière. Sous ses airs renfrognés, Césarine avait un coeur d’or.

« Je vais encore me faire taper sur les doigts ! se lamenta Sébastian en sortant précipitamment de la chambre du jeune homme. »

Adrien ricana, et s’interrompit subitement en croisant le regard soudain anxieux de sa mère.

« J’espère que tout va bien se passer avec les Summers… Ils arrivent sans tarder et je ne veux vraiment aucune vague. Nous ne les avons pas invités depuis si longtemps, que dirait-on de nous si ce dîner était un échec ? »

Le jeune danseur baissa les yeux. Lui-même redoutait le moment où leurs invités sonneraient à leur porte ; il n’avait vraiment pas besoin de pression supplémentaire. Le beau brun parvint tant bien que mal à prendre une voix rassurante pour assurer à sa mère que tous les domestiques étaient sur le coup, lui rappeler qu’elle avait toujours été une hôtesse hors-pair, et lui montrer qu’elle n’avait donc aucune raison de s’inquiéter. Hélène Fox lui embrassa la joue, reconnaissante, avant de quitter la pièce pour vérifier que son mari n’avait pas oublié l’événement du jour.

Adrien referma la porte derrière sa mère. Son regard se posa sur une des photographies qu’il avait collés à l’arrière de ladite porte, et cette vision lui arracha un soupir las. C’était un des rares clichés où ils apparaissent tous les deux, Eva Summers et lui, bras-dessus, bras dessous, ne semblant jamais vouloir se lâcher et souriant de toutes leurs dents, devant de magnifiques vitraux aux tons bleutés. La Sainte-Chapelle. Le jour de la Saint-Valentin.

La sonnette d’entrée retentit, des bruits de voix retentirent dans le vestibule, et Adrien sut qu’il était temps pour lui d’affronter ses peurs. Le jeune homme prit un carré de chocolat dans le tiroir de son bureau, le laissa fondre contre son palais et garda le goût réconfortant sur ses papilles jusqu’au moment fatidique où il se retrouva dans le couloir.

Puis, il se précipita dans la salle de bain et empoigna un tube de dentifrice dont il déversa une partie du contenu dans sa bouche, avant de dévaler les escaliers en appliquant du bout de la langue le résidu de produit mentholé contre ses dents. Une technique certes très primitive, mais dont les effets semblaient plutôt efficace. Adrien espérait juste qu’il n’avait pas de traces de dentifrice sur la commissure des lèvres.

Eva avait franchi le seuil de l’hôtel particulier des Silberdorn avec l’impression étrange de revenir quelques années en arrière. A une certaine époque, elle visitait cet endroit tous les jours. La vieille Césarine accueillit la jeune fille avec un des rares sourires qu’elle réservait toujours à Eva, et la serra longuement dans ses bras. Elle lui avait toujours servi de grand-mère de substitution.

Les Summers furent ensuite invités par Sébastian à entrer dans le salon où les attendaient avec joie leurs hôtes, Hélène Fox et Franz Silberdorn. Soudain, la petite sœur d’Eva, Lisa, la tira par la manche et lui chuchota :

« Il est pas là ? »

Eva n’eut pas besoin de lui répondre. Adrien venait d’entrer dans la salle. L'enfant lui jeta un regard mauvais, et se positionna devant sa grande sœur en un geste protecteur.

« Lisa. »

Le jeune homme adressa un petit hochement de tête à la fillette, en guise de salutation, ce à quoi elle répondit avec un sourire froid, avant de rendre à son visage sa mine renfrognée.

Au contraire, la sœur aînée d’Eva, Jenny, s’avança vers Adrien avec un grand sourire et lui fit chaleureusement la bise. Elle s’était toujours très bien entendue avec le... meilleur ami de sa sœur. Le jeune homme se tourna ensuite vers Monsieur et Madame Summers.

« Bonjour Valérie, Patrick. »

Salutations qui lui furent rendues avec entrain. Et enfin...

« Salut Adrien. »

Le jeune homme leva la tête vers Eva, violemment ému par le son de sa voix. Comme ce doux son lui avait manqué ! S'étant promis de ne rien faire de gênant lorsqu’il la reverrait, le garçon masqua son trouble et lui rendit sa salutation aussi naturellement que possible.

Le reste de la soirée passa comme un songe, aux yeux d’Adrien. Il parla peu, se contenta de répondre aux questions qu’on lui posait, de sourire poliment aux blagues douteuses des adultes, et de faire mine de s’intéresser aux conversations politiques qui animaient le dîner. Le jeune homme évita au maximum de croiser le regard d’Eva, jusqu’au moment où sa mère - cette traîtresse - aborda un sujet délicat.

« Dis-moi, Eva… Tu as l’air de mener une vie de rêve en Australie ! Tu t’es trouvé un beau surfeur ? »

Une question posée en toute innocence, sur un ton badin et un sourire en coin. Adrien braqua son regard, brûlant, sur le visage de la concernée, qui avait baissé les yeux, les joues soudain écarlates.

« Et bien… »

Eva jeta un regard désolé au jeune danseur, qui sentit déjà son coeur se briser.

« Il se pourrait bien que oui. »

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