Chapitre 10

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Marc et Edouard descendaient toujours du métro deux arrêts avant Adrien. Comme toujours, les deux amis du beau brun restèrent sur le quai et lui firent de grands signes de la main, avec des grimaces comiques, jusqu’à ce que le métro disparaisse dans le tunnel. A croire qu’ils ne se reverraient plus jamais ! Le sourire d’Adrien flotta un instant sur ses lèvres devant l'imbécillité de ses amis, mais il s’effaça soudain, quand son regard croisa celui, sévère et réprobateur, d’un homme d’âge mûr. Comment ne l’avait-il pas remarqué plus tôt ? Le garçon se tendit, tandis que l’homme s’approchait.

« Adrien. »

Le jeune homme leva les yeux. Le visage du nouveau venu était fermé, même si ses yeux le trahissaient. Une profonde déception s’y lisait, faisant naître en son fils un habituel sentiment de honte. Rapidement suivi d’un frisson de colère.

« Re-bonjour Papa, grommela Adrien avec un sourire cynique, J’imagine que tu es toujours furieux que je sois arrivé en retard à ton superbe discours ? »

Son père lui saisit l’épaule et, les dents serrées, lui siffla qu’il ne souhaitait pas « laver leur linge sale en public ». Son fils se libéra sans peine de son étreinte et détourna le regard. Il maudit intérieurement ses yeux, qui s’étaient mis à le piquer. Non, ce n’étaient pas des larmes. Sûrement la pollution et la poussière du métro.

Le reste du trajet se fit en silence, sans grande surprise. Dès que les deux hommes furent entrés dans leur imposante demeure, le père d’Adrien lui fit signe de le suivre.

« En silence, je ne veux pas déranger ta mère. »

Adrien acquiesça, sans grand entrain. Quand il était plus jeune, l’idée même de se rendre dans le bureau de son père le faisait trembler. Il se souvenait encore du parcours pénible à travers les couloirs à moquette précieuse, jusqu’à l’imposante porte à laquelle il fallait frapper, comme s’il n’était pas chez lui dans la maison de son père. A l’époque, ce rituel le tétanisait. Désormais, debout derrière son père, Adrien se surprit à la trouver petite, cette porte. Peut-être était-ce lui qui avait grandi. Toujours est-il que le jeune homme avait mal au ventre. Pourtant, cette fois-ci, ce n’était pas la peur qui lui tordait les entrailles, mais la rage. Une fureur terrible. Détestait-il son père ? Ce dernier le lui avait demandé lors d’une précédente altercation. Adrien avait été incapable de répondre.

C’était un grand bureau. Rien d’étonnant, dans un hôtel particulier de cette taille. Ce genre de bâtisse était un luxe auquel peu de personnes pouvaient prétendre, surtout à Paris. Adrien trouvait cet étalage de richesse risible et pompeux.

« Assieds-toi, l’invita son père d’un ton cordial. »

Quand est-ce qu’il avait lâché le ton familial pour adopter cette distance vaguement affable envers son propre fils ? On aurait dit qu’il s’occupait d’un client. Encore quelque chose qui restait sans explication pour Adrien, et lui laissait un goût amer de défaite.

Son père non plus n’avait rien d’un vainqueur, à ce moment. Le dos raide et les bras croisés, comme pour se donner une contenance, l’homme ne semblait pas plus ravi que son fils de se retrouver en tête à tête avec lui. Il hésita un peu, puis pris la parole d’un ton las :

« Tu n’as rien écouté au discours. »

C’était un constat, pas une question. Adrien savait qu’il ne servirait à rien de le démentir ; Franz Silberdorn n’était pas dupe. Mais le garçon avait pris la fâcheuse manie, depuis quelques temps, de chercher à provoquer la colère de son père. Un profond sentiment de satisfaction le submergeait lorsqu’il voyait la réaction qu’entraînait son insolence chez son père. C’était puéril, il en avait conscience, mais tellement réjouissant. Il prenait un malin plaisir à lui taper sur les nerfs, et cela lui procurait une grande fierté, une impression de puissance face à l’agressivité que son père n’arrivait plus à contenir. Sa confiance en lui en sortait renforcée. Comme si, au fond, c’était lui l’adulte et son père, l’enfant irritable et déraisonnable. Un plaisir qui, bien qu’éphémère, n’en était que plus appréciable. Adrien eut un sourire moqueur.

« Oh zut, c’est bête. C’est vrai qu’il devait être si différent, et tellement plus intéressant, que celui de l’année dernière. Et du discours de l’année d’avant. Et encore avant. »

Une chaleur familière emplit le coeur du garçon. Une grosse veine était apparue au centre du front de son père et il avait pris une longue inspiration, visiblement irrité. Paf, la girafe, comme dirait Marc ! Ça n'avait pas loupé.

Franz Silberdorn soupira, exaspéré. Il n’avait eu qu’un seul enfant, et c’était son plus grand échec. Lui qui était tout de même mondialement célèbre, pour ses talents de danseur, de chorégraphe et de pédagogue, n’arrivait même pas à s’entendre avec son propre fils. Il avait honte de ne pas réussir à faire régner l’ordre dans sa maison. Il n’en pouvait plus de voir les yeux tristes de son épouse se poser sur lui quand il haussait la voix contre Adrien, à table. Pourtant, elle était du même avis que lui, au fond. Leur garçon était un ingrat, et ni l’un, ni l’autre, ne savait pourquoi il avait si mal tourné.

« Comme tu le sais, déclara M. Silberdorn d’une voix qui se voulait forte, Les auditions auront bientôt lieu pour le spectacle de Noël. Tu as intérêt à les prendre au sérieux. J’espère bien que tu interpréteras le rôle principal. »

Adrien eut un haut-le-coeur. Son père le fusilla du regard.

« Comme tu le sais, ta mère et moi-même avons fondé de grands espoirs en toi. Tâche de ne pas les décevoir. »

Le garçon haussa les épaules et risposta avec humeur.:

« Je suis loin d’être le meilleur danseur de l’école. Trouve-toi un autre clown à ridiculiser sur scène. »

Franz Silberdorn se leva, agacé. C’en était trop !

« Tu travailleras, Adrien. Tu seras le meilleur. Je t’interdis de dire des choses pareilles. Un fils doit suivre le chemin tracé pour lui par son père. Et si tu refuses, c’est que tu n’as aucune reconnaissance pour tout ce que nous faisons pour toi depuis ta naissance, ta mère et moi. »

Adrien serra les dents. Son père était si proche qu’il pouvait sentir son souffle sur son visage. Son corps entier était tendu et ses poings, serrés. Un instant, Adrien eut peur qu’il ne le frappe. Rester assis devant cet homme au visage grave le rendait plus vulnérable et toute l’assurance que lui avait prodiguée son attitude effrontée s’était complètement envolée. Il baissa les yeux, son cœur d’enfant complètement brisé. Son père avait gagné, comme toujours.

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