Chapitre 11

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Il était sept heures quarante-trois, très précisément, lorsqu’Emilie arriva à l’école de danse. La jeune ballerine avait généralement l’habitude d’être en avance, mais depuis la rentrée, cette manie s’était muée en une véritable obsession. Elle voulait à tout prix arriver plus tôt, pour être sûre d’être bien vue par les enseignants, dans l'espoir de décrocher un rôle dans le spectacle de Noël, ce qui lui fournirait la garantie de pouvoir réaliser son rêve. Et quand Emi voulait quelque chose, elle se donnait toujours les moyens de réussir.

La lycéenne leva son petit visage vers l’immense bâtiment qui accueillait les cours et fronça les sourcils. Elle n’avait pas envie d’aller en math, c’était tellement nul comme matière ! La jeune fille soupira doucement, et se dirigea vers sa salle. En chemin, elle croisa Marc, l’ami du godelureau sans éducation. Emi lui sourit gentiment et, se rappelant qu’ils étaient voisins de classe, lui proposa qu’ils s’y rendent ensemble.

« Oh poupinette, pourquoi es-tu ici si tôt ? Tu es tombée du lit ? s’enquit le grand garçon. »

La jeune fille redressa le menton et bomba la poitrine.

« Non, je mets mon réveil à cinq heure trente-deux tous les matins de cours. Cela me permet de me préparer calmement, de faire mon yoga et de prendre une douche. Je tiens à être au top de ma forme, et je compte bien décrocher un rôle dans le ballet de Noël ! »

Marc lui jeta un regard amusé. Il la trouvait vraiment charmante, cette petite dame aux grands yeux chocolat qui s’exprimait comme si elle sortait d’un film historique. Emi rayonnait de naïveté.

Soudain elle leva son regard vers lui.

« Tu m’écoutes, dis ? Parce que je n’aime pas parler dans le vide ! »

Il lui sourit innocemment, et elle claqua la langue, produisant un son assez étrange. Peut-être n'était-elle pas si coincée et timide...

En arrivant dans la salle de classe, les élèves reprirent les mêmes places que lors du cours précédent. Le professeur arriva en même temps qu’eux, et démarra rapidement son cours.

« Mais non Marc, Platon est le philosophe de la Raison. C’est Nietzsche, le philosophe de la volonté de puissance. Et selon le premier, la connaissance ne s’acquière qu’à deux. Donc si nous voulons comprendre ce cours, il faut que nous travaillions ensemble.

-Bah vas-y, explique donc ça a notre prof de math ! Il ne comprend déjà ni la psychologie humaine ni la pédagogie, alors la philosophie... »

Les deux acolytes se turent pendant un instant. Ils contemplèrent le problème qui venait de leur être soumis et se regardèrent, avant de reporter leur attention sur la feuille.

« Jérôme a décidé de faire exploser des tomates. Sachant qu’il habite dans un immeuble de quatre étages et que chaque étage fait trois mètre cinquante, à quel étage doit-il se placer pour que les tomates explosent correctement ? »

Les regards des adolescents se croisèrent, et ils durent se retenir d’éclater de rire.

« Mes chers élèves, vous allez aujourd’hui travailler en binôme sur le problème que je viens de vous soumettre. Bonne chance. »

Bon, peut-être leur professeur était-il un peu platonicien, finalement. Rapidement, la classe se mit à bruisser des murmures de tous les jeunes travailleurs. Malheureusement, le sujet inspira certains plus que d'autres...

« Mais si ! Je t’assure que si tu lances une aubergine du troisième étage, il y a dix pour cent de chances qu’elle soit intacte !

-Mais cesse donc de raconter n’importe quoi, Marc ! C’est impossible ! Ma mère a fait tomber des courgettes et elles ont explosé.

-Certes, mais la consistance n’est pas la même ! Une courgette est plus dure, alors que l’aubergine a le coeur plus tendre ; ça absorbe mieux le choc. »

Alors que Marc allait ajouter une remarque brillante à propos du lancé de tomates, le professeur se racla la gorge, interrompant leur passionnant débat. Et, malheureusement, ils ne purent le reprendre ; ils étaient surveillés.

Lorsque la cloche sonna, annonçant la pause du matin, Marc se tourna vers sa voisine et lui lança brusquement :

« Je te propose que nous testions nos théories après les cours. Je me charge d’acheter les cobayes, mais de ton côté, il va falloir que tu prépares l’expérience. On finit à seize heure trente, il faut vingt minutes pour rejoindre mon appart et mes parents rentrent à dix-neuf heures. On aura donc deux heures pour mettre le protocole en place et pour faire les tests. Prête ? »

La jeune fille le fixa sérieusement :

« Je tiens à te prévenir : si tu te fais choper, tu risques trois cent cinquante euros d’amende.

-Euh, balbutia le garçon, un peu surpris. Comment tu sais ça ?

-Maman s’en est pris un certain nombre, soupira-t-elle avec un sourire las. »

Marc la fixa, l’air un peu apeuré, avant de lâcher un petit ricanement nerveux qui se mua rapidement en fou rire. Sacrée Emi !

*****

En plein cauchemar, en plein cauchemar… Adrien était en plein cauchemar. En. Plein. Cauchemar.

« Olala, qu’est ce que je vous aime ! Je sens déjà qu’on va devenir les meilleurs amis du monde ! s'enthousiasmait la jeune fille pendue à son bras. »

Elle jeta un regard espiègle au garçon, ne semblant pas s’apercevoir de l’effroi qui se peignait sur son visage.

« Voire plus, si affinités... »

Le beau brun dégagea son bras de l’étreinte de l’inconnue aux cheveux roses, exaspéré. La lycéenne haussa les épaules avec nonchalance et se tourna vers les autres occupants de leur table. Son sourire charmeur ne quitta pas ses lèvres lorsqu’elle s’adressa à ces derniers d’une voix chaleureuse :

« Alors, laissez moi récapituler. Si j’ai bien compris, on a Edouard le comique, Marc le nounours et Adrien l’Adonis grognon ? »

Edouard et Marc faillirent s’étouffer sur leurs boissons. La punk gothique leva un sourcil. Elle n’eut aucune autre réaction aux paroles de son amie. Au grand regret d’Adrien d’ailleurs, car ce fut l'autre qui répondit. La petite blonde. Celle qui s'était permise de critiquer son comportement ; vraiment, l’hôpital qui se moque de la charité. Médecins sans Frontières qui se moque d’Amnesty International.

Cette peste adressa un sourire radieux à son amie aux cheveux roses, puis s’adressa à Marc d’un ton qui faillit donner la nausée à Adrien :

« La description de Chacha m’a l’air tout à fait adéquate. Quant à notre trio, vous avez bien dû remarquer depuis le début du repas qu’il se compose de Chachou la dépravée, M. A. la ténébreuse et puis… moi. »

Elle se tourna avec un sourire fier vers son amie « ténébreuse », qui leva les yeux au ciel.

« Ah, toi… Comment te décrire, Emi ? »

Adrien ne l’avait jamais entendu prononcer une phrase aussi longue, depuis que Marc - ce traître - les avait toutes les trois invitées à déjeuner avec eux. Sa voix ne correspondait pas vraiment à son apparence. Certes, la jeune fille s’exprimait sans grande émotion, sans vraie variation de hauteurs dans le ton. Mais alors qu’Adrien s’attendait à entendre chez la gothique un volume faible, des accents légèrement éraillé et un ton plutôt triste et sombre, il fut surpris de s’apercevoir que son timbre était plutôt chaud, et agréable. Sans réfléchir, le garçon posa la question qui le taraudait à voix haute, interrompant la conversation - tellement passionnante - qui avait été en cours :

« Tu chantes ? »

M. A. le fixa d’un regard vide, dénué d’intérêt.

« Non. »

Dommage. Et extrêmement gênant. D’autant que toutes les personnes présentes à la table s’était tournées vers Adrien d’un air étonné. C’était la première fois qu’il avait daigné adresser la parole à quelqu’un, ce midi-là.

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