Si...

6 minutes de lecture

Si tu avais raté le train de 8h pour Genêve, tu ne serais pas parti.

Si tu n'étais pas parti, tu serais resté avec moi, tu serais revenu à la maison, et tu serais retourné au lit.

Si tu étais retourné au lit, tu te serais relevé environ deux heures plus tard, vers 10h, comme à ton habitude, et tu m'aurais rejoins dans la cuisine, pour le petit-déjeuner.

Si tu m'avais rejoins dans la cuisine, pour le petit-déjeuner, je t'aurai servi un café et un croissant frais.

Si je t'avais servi un café et un croissant frais, tu aurais attendu que ta tasse refroidisse, tu te serais saisi du journal et tu aurai lu les nouvelles en patientant.

Si tu t'étais saisi du journal et que tu avais lu les nouvelles, tu aurais lu jusqu'à la page 13, page des annonces.

Si tu avais lu la page des annonces, tu aurais vu ce que j'avais entouré, avec mon stylo favori, celui avec l'encre violette.

Si tu avais vu cela, tu m'aurais demandé ce qu'il y avait de si intéressant là-dedans, pour que j'y trace un cercle.

Si tu m'avais demandé ce qu'il y avait d'intéressant là-dedans, je t'aurais répondu : "Partons ! Partons ensemble, là-bas ! Je ne veux plus vivre ici, dans cet appartement miteux et affreux, je veux partir avec toi et mourir là-bas ! Partons, partons, sans rien dire à personne, disparaissons comme si nous n'avions jamais existé, et aimons nous jusqu'à la fin des temps !", les larmes aux yeux.

Si je t'avais répondu cela, les larmes aux yeux, tu aurais refermé le journal et l'aurais reposé sur la table, et, les yeux dans le vide, fixant le mur de la cuisine, tu aurais réfléchi quelques secondes.

Si tu avais réfléchi, tu aurais dit, comme à ton habitude : "Bah... Pourquoi pas, eh ?"

Si tu avais dit cela, j'aurais sauté de joie ; j'aurai fais mes bagages, je n'aurai pris que l'essentiel ; toi aussi, tu l'aurais fait, et nous serions partis à la tombée de la nuit, lorsque l'air se rafraîchit ; lorsque le ciel s'obscurcit.

Si nous étions partis à la tombée de la nuit, nous nous serions engouffrés tous les deux dans ta vieille Renault Modus mal repeinte en bleu charron et tu aurais allumé le moteur, qui aurait commençé à ronronner ; puis, nous aurions roulé sur la route.

Si nous avions pris ra vieille Renault Modus et que nous avions roulé sur la route, peut-être que nous serions tombés en panne.

Si nous étions tombé en panne, nous aurions dormi dans la voiture, en attendant le matin.

Si nous avions attendu le matin, nous aurions téléphoné à un dépanneur, pour qu'il vienne nous aider, et sans doute nos téléphone n'auraient-ils pas capté le moindre réseau téléphonique.

Si nos téléphones n'avaient pas capté le moindre réseau téléphonique, nous aurions marché le long de la route, le coeur battant, autant par amour que par détresse, et nous aurions tenté de trouvé un garage ou un dépanneur.

Si nous avions cherché un garage ou un dépanneur, nous aurions fini par en trouver un, et nous aurions demandé à quelqu'un de nous aider.

Si nous avions demandé à quelqu'un de nous aider, il nous aurait aidé, moyennant finances, et nous serions repartis peu de temps plus tard, sur la route.

Si nous étions repartis sur la route, nous aurions parlé du futur ensemble, pendant tout le trajet : tes rêves, les miens, l'avenir, le bonheur.

Si nous avions parlé du futur ensemble, nous aurions sans doute réalisé que ce que nous souhaitions n'était pas si différent, au fond ; je t'aurai dit que je t'aimais, et tu m'aurais répondu la même chose, et nous aurions encore discuté, pendant plusieurs kilomètres.

Si nous avions discuté pendant plusieurs kilomètres, nous serions arrivés au sujet du mariage et des enfants : nous en avions déjà parlé de cela plusieurs fois, nous voulions tous les deux nous marier, et nous voulions un enfant ; peut-être que nous aurions décidé de nous marier en petit commité, ou bien, mieux, tous seuls, sans que personne d'autre ne le sache.

Si nous avions décidé de nous marier seuls, nous nous serions dirigé à la petite chapelle des mariages, similaire à la Chapel Of Love de Las Vegas, et nous nous serions marié le jour de notre arrivée, dans la plus grande intimité, puis nous aurions passé la nuit à chercher une de ces magnifiques cabanes abandonnées pour lesquelles l'endroit était si réputé.

Si nous avions passé la nuit à chercher une cabane abandonnée, nous en aurions sans doute trouvé une, peut-être suffisament grande, et nous aurions dormi dedans ; nous aurions imaginé mille manières de la "retaper" et d'en faire quelque chose de beau, et nous aurions tout changé, dans cette cabane.

Si nous avions tout changé, dans cette cabane, nous aurions créé l'espace de vie idéal : nous aurions ajouté de la tapisserie, un lit, une table, un tapis ou de la moquette, et nous aurions bâti un grill, à l'extérieur, pour pouvoir manger, et nous aurions vécu là-bas pendant quelques années.

Si nous avions vécu là-bas, nous aurions eu un enfant, une petite fille, peut-être ; mais, à son arrivée, tout aurait commençé à devenir affreux : nous nous serions battus au sujet de l'école, nous nous serions disputés, l'un aurait pensé que l'y inscrire était mieux, et l'autre aurait jugé que l'école à la maison était préférable.

Si nous nous étions battus au sujet de l'école, nous aurions commencé à nous battre au sujet d'absolument tout, et soudain, notre amour aurait volé en poussière.

Si notre amour avait volé en poussière, nous en aurions eu marre, de cette cabane refaite, de cette tapisserie démodée, des cours de la gosse, de la bouffe infamme cuite au grill.

Si nous en avions eu marre de toutes ces choses, j'aurai pris une décision pour m'en sortir.

Si j'avais pris une décision pour m'en sortir, une nuit, je me serai rendue à la cuisine.

Si je m'étais rendue à la cuisine, j'aurai saisi le plus long couteau.

Si j'avais saisi le plus long couteau, je l'aurai glissé dans ma poche et je serai venue te rejoindre dans le lit.

Si je t'avais rejoint dans le lit, j'aurai attendu que tu t'endorme.

Si j'avais attendu que tu t'endorme, j'aurai vérifié chacun de tes ronflements, pour voir si tu dormais vraiment.

Si tu dormais vraiment, j'aurai planté le couteau dans ton cou et aurai vérifié que tu étais bien mort, avant d'aller dans la chambre de la petite.

Si j'étais allée dans la chambre de la petite, elle aurait eu droit au même sort ; en plein milieu de la nuit, je serai sortie de la cabane et j'aurai marché jusqu'à la ville la plus proche.

Si j'avais marché jusqu'à la ville la plus proche, j'aurai cherché une voiture et un endroit où dormir.

Si j'avais trouvé un endroit où dormir, j'aurai passé la nuit à réfléchir à tout ce que j'allai faire après. Si j'avais réfléchi à tout ce que j'allai faire après, j'aurai réalisé que, là où vous étiez, toi et la petite, ni les flics, ni personne, ne vous retrouveraient, de toute façon, et que je pouvais continuer ma vie comme bon me semblait.

Si j'avais continué ma vie comme bon me semblait, j'aurai cherché une maison et une voiture, et peut-être que j'aurai trouvé également un nouveau petit-ami à qui chanter mes louanges.

Si j'avais trouvé un nouveau petit-ami, je l'aurai aimé beaucoup, passionèment, à la folie, autant que je t'aimais.

Si je l'avais aimé autant que je t'avais aimé, je lui aurai dit qu'il était beau, que je voulais vivre toute ma vie avec lui, et que je ne voulais pas mourir dans cet appartement.

Si je lui avais dit que je ne voulai pas mourir ici, je lui aurai dit que je souhaitai l'aimer ailleurs.

Si je lui avais dit que je souhaitai l'aimer ailleurs, nous aurions décidé tous les deux d'aller nous installer quelque part.

Si nous avions décidé de nous installer quelque part, nous l'aurions fait dans une maison isolée, à un ou deux kilomètre des autres maisons.

Si nous nous étions installés dans une maison isolée, nous aurions eu un enfant.

Si nous avions eu un enfant, la vie serait devenue horrible.

Si la vie était devenue horrible, comme toi, je les aurait tué tous les deux.

Je pense que tu l'avais senti venir, et c'est sans doute pour cela que tu as décidé de me quitter, ce matin, sans rien me dire ; tu ne m'as même pas laissé un mot.

Tu n'aurai pas été le premier, et tu n'aurai pas été le dernier à mourir.

Reviens, je t'aime tellement !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Morley Douglas ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0