1.8 Retour à la maison

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Je viens de finir mon allocution. La salle devant moi est blanche. Suis-je allée trop loin ? J'essaye de rester calme et sereine en apparence, mais tremble de nervosité de tous mes membres. Il faut que je paraisse sûre de moi. Mon discours reflète ce que j'ai toujours voulu faire. C'est un bouleversement de ce qui est fait depuis quasiment un millénaire maintenant. Avec Cassandra, le niveau de sadisme était tel que la situation était vouée à l'échec sur la durée. La révolte se serait faite et certainement au détriment de la vie.

Je sais que ce que j'ai annoncé est un changement radical, extrême. Si j'ai su être convaincante, je pense que les ex Zêtas de mon État me suivront. Elles représentent la majorité des femmes de cet État. Mes sœurs espionnes, celles qui protègent la vie vont me soutenir, j'en suis sûre. Mon discours résout bien des problèmes à la source de la rébellion et du refus de procréer masculin.

Croisons les doigts pour que mes mots aient atteint les dirigeants rebelles et de nombreux reproducteurs. J'ai besoin d'un climat de paix pour débuter mon remodelage. J'ignore ce que les Gammas et Epsilons penseront de tout ça. En revanche, les Deltas et surtout les Alphas des autres États vont détester et pour l'instant, elles ont encore le contrôle. Quant aux délatrices, il faudra que je la joue finement, qu'elles me croient toujours de leur côté.

Suprême Déborah se lève et me fixe. Elle a les larmes au bord des yeux. Est-elle furieuse ? En colère ? Triste ? Je n'arrive pas à savoir ce qu'elle pense. Va t'elle me lyncher ? Ordonner ma pendaison ? Elle est encore la Suprême. Elle m'a prise en amitié durant mes trois mois de formation. Lui ai-je brisé le cœur? S'apprête-t-elle à donner un ordre qui lui fend le cœur ? La salle est silencieuse. Tout le monde la regarde. Les caméras filment notre affrontement de regard. De sa réaction dépendra en grande partie le commencement de mon nouveau gouvernement.

Déborah se met à applaudir à ma grande surprise. Une grande majorité de la salle l'imite, se lève et acclame. La Suprême me rejoint sur l'estrade et malgré les caméras, m'enlace avec tendresse. Elle se retient de pleurer et je sens toute la tension de son corps contre le mien. Déborah me serre comme une mère serrerait son enfant et elle verse une larme qu'elle tente d'essuyer sans succès, une autre lui succédant aussitôt.

— Alpha Inès, tu es une horrible cachottière. À cause de toi et de ton discours si émouvant et sincère, je suis en pleurs. Tu ruines mon maquillage fillette. Je suis si fière de toi. Tu as pensé aux femmes. Toutes les femmes. Tu as pensé aux enfants. Ceux déjà nés et ceux à naître. Tu fais tout pour relancer la natalité. J'aurais aimé avoir tes idées. Je suis jalouse de ton altruisme, ta compassion et ton empathie.

J'aurais aimé être ta mère. Laisse-moi être ta conseillère. Je te laisse carte blanche pour ton État cette année. Tu pourras compter sur mon soutien. Tu seras une merveilleuse Alpha. Une merveilleuse Suprême. Je suis fière que tu prennes bientôt ma succession. Tu accompliras de grandes choses. L'histoire ne se souviendra pas de moi. Mais elle se souviendra de toi. J'en suis sûre. Je suis tellement fière de t'avoir connue. De t'avoir côtoyée et si tu le veux bien de pouvoir continuer à te côtoyer, à te seconder. BRAVO

La Suprême se remet à applaudir en pleurant à grosses larmes, se tournant vers l'assemblée, elle incite les autres femmes à l'imiter. BORDEL DE MERDE ! J'ai réussi mon coup. J'ai dévoilé quatre-vingts pour-cent de mes intentions sans me faire trucider. Je me suis mis l'Alpha Suprême dans la poche. Plusieurs femmes pleurent, d'autres sont furieuses.

Les policières, des Gammas, sont de mon côté. Je le vois à leurs sourires et leurs larmes. Une de mes sœurs espionne, que j'ai identifié de suite dans la salle puisque nous venons du même orphelinat, me fait un signe, un code entres sœurs pour me dire qu'elle approuve. Je note mentalement les Deltas et Alphas dont je devrais me méfier. Les caméras filment les questions. Les Alphas et Deltas de la salle se présentent et me saluent.

Elles font leur speech. J'écoute leurs paroles poliment. Certaines me critiquent à demi-mot, sans oser le dire vraiment. Alpha Sophie, la vice Suprême, est l'une des plus critiques et son intervention est des plus diplomates. Je sais qu'elle vénérait Cassandra, je devrais m'en méfier comme de la peste. Cette femme est dangereuse, maligne et sadique à la fois. Il me faudra placer une meilleure espionne à ses côtés, celle actuelle n'est pas très efficace.

Je sais que je pourrais m'appuyer sur mes sœurs pour mes réformes. Dès mon premier jour, j'ai reçu des messages pour me féliciter d'avoir expulsé le tyran Cassandra. Les délatrices ont fait la même chose, pas pour les mêmes raisons. Je dois en imposer tout de suite à mes Deltas et aux autres Alphas. Je rabroue les contestataires pas vraiment à demi-mot, Sophie subit un recadrage de manière spirituelle et cruelle, ce qui fait taire les autres très vite.

D'autres femmes sont en adoration devant moi et me proposent leur aide. Elles évoquent des tonnes d'idées plus ou moins foireuses. Je plaque un sourire figé sur mon visage. Ces mondanités me gonflent, toutefois, elles font partie de mon nouveau rôle d'Alpha et de mon futur rôle de Suprême. Je prends mon mal en patience. La conférence se termine enfin. Je peux rentrer chez moi. Je suis enfin en week-end et vais pouvoir apprivoiser Chen.

Lorsque j'arrive, la TV est allumée. Chen a suivi la conférence de presse. Il l'éteint aussitôt et vient m'aider à porter les cartons de documents dans mon bureau. Il est impassible. Je meurs d'envie de savoir ce qu'il pense de mon discours. Il reste sur la défensive depuis une semaine. Cassandra a vraiment dû lui en faire baver. J'aimerais tant qu'il me parle. Je suis épuisée de ma semaine.

Je lui propose de prendre un bain avec moi. Il sourit et pousse un petit soupir ironique. Il ne cesse de penser que j'en veux à son corps. Alors de mauvaise humeur, je lui dis clairement que bien sûr que s'il était consentant, je serais ravie, toutefois ce n'est pas le cas. Donc, il faut qu'il se détende. Il se marre en silence devant une telle franchise et devant mon ton ronchon. Mon sale caractère commence déjà à poindre, le pauvre, je n'ai même pas tenue une semaine avant de ronchonner. Pour ma défense, elle était super stressante cette semaine.

Chen me fait couler mon bain. Il galère un peu avec les commandes de la radio. A force de miniaturiser, il n'y a plus la place pour les gros doigts sur les boutons. Il me laisse me mettre en sous-vêtements et me glisser dans l'eau chaude et la mousse épaisse, cependant, il ne rentre pas. Il ne sort pas non plus de la pièce. Je crois qu'il ne sait pas trop quoi faire. Je ne lui fournis aucune indication non plus.

Je veux qu'il fasse ce qu'il veut, qu'il ne se sente pas obligé d'agir à mon bon vouloir. C'est important pour qu'il me fasse confiance que je lui laisse une marge de manœuvre. Premièrement, pour qu'il guérisse. Deuxièmement, je veux gagner son affection et dernièrement, par son biais, je serais observée de près. Si Chen paraît heureux, cela renforcera ma crédibilité auprès de tous, rebelles, espionnes, et le reste du peuple.

Après quelques hésitations, Chen s'installe derrière moi, ses jambes de chaque côté de mon corps, ses pieds dans l'eau. Exactement, comme je l'ai fait le premier soir, il prend l'éponge et me lave le dos en silence. M'aidant à me shampouiner et me massant les épaules et la nuque, il parvient enfin à allumer la radio. Chen prend soin de moi comme j'ai pris soin de lui dimanche.

Je savoure avec délectation le contact de ses paumes sur moi, ne cachant pas le soulagement des tensions qu'il me procure. Mes soupirs de détente le font sourire. D'une main, je lui caresse un de ses mollets, où je pose ma tête. Il me laisse faire sans broncher. Le contact est minime. Toutefois, la légère crispation m'indique qu'il ne l'apprécie guère. Je m'éloigne donc.

Chen est doux, pas affectueux. Il se force à se montrer tactile avec moi. Son sort continue de l'inquiéter, mon attitude douce et mon discours n'ont pas rassuré ce grand dadet. Chen a dû en baver énormément avec Cassandra pour se montrer autant à fleur de peau.

Une semaine déjà et aucun signe de détente ou d'apaisement de sa part. Cela me rend triste. Mon compagnon a l'air d'être adorable mais traumatisé. Ne sachant pas ce qu'il a vécu, je ne peux trouver les mots pour l'apaiser. Je ne peux faire que des suppositions qui n'ont pas l'air d'être exactes quand je vois le regard triste et le sourire crispé de mon compagnon.

Cassandra va morfler grave, je m'en fais la promesse intérieurement. J'ai déjà de sérieux arguments contre elle, des preuves pour chacune des personnes que je veux rallier à ma cause et j'en découvre chaque jour. Les ex Zêtas n'ont pas besoin de preuves. Des autres signes d'implications dans les meurtres envers des femmes, y compris des Deltas devraient rallier les espionnes et les Deltas, Epsilons et Gammas de mon État.

Quelques actes de vol envers d'Autres Alphas et de corruption de leurs proches, m'assureront le soutien de la majorité des Alphas. Quant aux délatrices, après avoir trouvé quelques notes personnelles dans son bureau, je suis en train d'enquêter pour apporter des déclarations de tentative de coup d'État. Cassandra a essayé de doubler la chef des délatrices, elle voulait aussi, une fois en place, assassiner les Alphas qui l'auraient aidé, afin de s'assurer une suprématie ultime. Oui, la réputation de Cassandra va voler en éclats.

Ragaillardie par cette idée, je me détends un peu dans mon bain. Quand je sors de l'eau, Chen quitte la pièce pour me laisser me changer. Je prends les pansements avant de sortir. Chen est en train de vider les cartons et de poser les classeurs sur l'étagère. Je m'assois sur le bureau et lui prends la main. Lui posant le bracelet de biceps, je commence à lui soigner le poignet, puis l'autre. Je le fais asseoir sur le fauteuil et soigne ses chevilles.

De lui-même, il va vers le mur magnétique dans l'entrée. Chen me laisse lui soigner le cou. J'ai envie de lui voler un baiser comme la première fois. Son air détaché m'en dissuade. Je passe mon pouce sur ses lèvres pour lui faire comprendre combien j'ai envie de l'embrasser. J'éteins le magnétisme et lui enlève le bracelet de biceps. Je pose mon front sur son torse quelques secondes.

Puis, je pars vite en direction de la salle de bain pour ranger les pansements, avant de me mettre à pleurer. Bon sang ! Qu'est-ce qui m'arrive ? Je comprends sa colère envers les femmes. Je sais que cela prendra du temps. Pourtant, sa froideur me blesse. Ce type me remue les tripes. Chen me remue les tripes de manière inexplicable. Ce n'est pas mon genre. Je n'ai pas été formée pour avoir des sentiments.

J'enrage de ma faiblesse. Je ne peux pas me permettre de flancher. J'ai une mission de grande ampleur qui m'attend. Je dois rééquilibrer les choses dans cet État, il me faut redonner de l'espoir à des milliers de femmes et d'hommes, la rébellion est amenée à disparaître et le plus important, je dois démanteler un réseau de délatrices et couper la tête de leur chef qui n'est autre que ma propre grand-mère. Le tout sans me faire repérer et trucider par qui que ce soit. Ma tête est déjà mise à prix par Alpha Sophie, j'en suis certaine. Elle sera bientôt sous surveillance, j'ai envoyé deux de nos meilleures sœurs auprès d'elle.

Je regagne la cuisine, morose. Nous mangeons en silence. Je n'ai pas la force ni l'envie de faire la discussion ce soir. Je suis tellement triste qu'il refuse de me parler, en colère contre moi de me laisser aller à autant de sentimentalisme. Il faut que je me reprenne vite.

Je me triture les méninges pour savoir ce qui ferait plaisir à Chen et que je suis en droit de faire. Je décide de lui offrir sa propre chambre avec son lit rien que pour lui demain, alors que j'adore dormir avec lui. Je dois vite arrêter cette dépendance pour garder les idées claires. Il appréciera de ne plus avoir de contacts physiques et son propre espace personnel. Espérons que cela lui rendra confiance en la gent féminine et ma clarté d'esprit.

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