Épopée: Chapitre XVII

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XVII: Confrontation

La clameur des Ombres devenait assourdissante. Orm gardait un œil suspicieux sur l'amas cliquetant qui encerclait la grande place où ils se trouvaient. Leur groupe était bel et bien encerclé. Leur seul échappatoire étaient les portes colossales débouchant sur le désert de poussière et l'étau des créatures se resserrait de plus en plus. Le barbare reporta son attention sur Anton. Le mercenaire allait devoir en finir rapidement, sinon ils seraient définitivement pris au piège. Elio était fasciné et ne se souciait guère de leur situation, tout ce qu'il voyait était les mouvements d'Anton alors que les deux adversaires se tournaient autour.

Le géant caparaçonné adoptait une démarche nonchalante et dessinait des cercles dans les airs avec son arme hideuse. Anton jaugeait son opposant, il cherchait les points faibles de son armure. En dépit de son esthétique douteuse, elle ne présentait aucune lacune en matière de protection. Cela ne lui laissait que deux options : se concentrer au niveau des articulations en espérant trancher un membre, porter un coup d'estoc en plein visage ou au niveau du flanc, où le métal était le moins épais, mais cela signifiait se rapprocher dangereusement. Au pire, il lui restait toujours l'improvisation... Dans tous les cas, il n'avait clairement pas l'avantage technique dans ce duel et il lui faudrait encore compter sur les pouvoirs surnaturels du guerrier colossal. Ce dernier s'arrêta et pointa de nouveau son arme dans la direction du mercenaire. Il frappa de son poing cuirassé sur son torse produisant un raisonnement métallique étrange, comme si le son parcourait toute la surface irisée de son armure. Puis il l'apostropha dans le même langage incompréhensible qu'auparavant. Anton comprit qu'il le saluait et entendit distinctement un nom : Oscar Neruda.

« Ce monstre fait malgré tout preuve d'un certain sens de l'honneur... pensa le mercenaire. »

Il remarqua alors les Ombres se resserrant vers les portes dans le dos du géant. Ce dernier avait dû voire le regard d'Anton se durcir, il ricana , un rictus mauvais sur son visage parcouru de ténèbres. Anton serra les dents en ravalant ses pensées. Ce duel ne servait qu'à amuser la créature maléfique lui faisant face. Il ne comptait pas les laisser partir vivant et assurait ses arrières avec l'aide de ses mignons. Peu importe, Anton tendit son bras et braqua sa lame vers son adversaire.

— Moi, Anton Sang d'Acier, j'accepte ton défis, Oscar Neruda. Que le meilleur gagne.

Le mercenaire se mit en garde tandis que le géant chargeait droit sur lui épaule en avant, faisant trembler le sol. Anton fit un pas chassé sur le côté. Emporté par son propre poids, le mastodonte continua sa route avant de déraper sur le sol de terre battue, creusant un sillon. Le mercenaire n'attendit pas que le mastodonte se retourne, il empoigna fermement son épée, une main sur la poignée, une autre tenant la lame et frappa l'encoignure du genou en utilisant son arme comme un épieu. Il entendit un vrombissement dans l'air. Vite, il ramena Faucheuse à lui et se baissa. Son adversaire venait d'effectuer un coup vers l'arrière en se retournant. La masse heurta Faucheuse un peu au-dessus de sa garde. Le cri du métal rencontrant le métal retentit et une nouvelle salve d'ovation s'éleva dans les rangs des ombres. Anton sentit les vibrations douloureuses dans son bras et fut projeté en arrière, perdant l'équilibre. Ce monstre possédait une force surhumaine, une épée normale aurait sans doute volé en éclat... et son bras avec. Le mercenaire tituba en reprenant ses esprits. Un coup direct et c'était la fin. Mais pas le temps de penser, déjà Neruda se ruait à nouveau sur lui, sa masse levée pour lui enfoncer le crâne. Anton vida ses poumons et plongea droit sur le géant, Faucheuse contre son corps. La masse s'abattit, il se fendit et plongea sa lame vers l'avant. Surpris, le géant eut un mouvement de recul et dévoila son flanc. Anton frappa de toutes ses forces pour percer une éventuelle cotte de mailles. Mais Faucheuse ne rencontra aucune résistance. Une ombre passa devant les yeux du mercenaire et son épée se planta dans la poussière. Plus aucune trace du géant. Les Ombres exultèrent dans un concert de gargouillements immondes et un rire tonitruant s'éleva dans le dos de Anton qui se retourna vivement, Faucheuse de nouveau en position de garde. Oscar Neruda le toisait de toute sa hauteur en s'esclaffant, faisant couiner les pièces de son armure hideuse. Anton s'aperçut que de la brume noire courait sur le sol pour s'enrouler autour des jambes de son adversaire pour pénétrer sous son plastron. Le mercenaire fronça les sourcils, l'imposante protection de l'immense guerrier devait cacher bien plus que le corps de ce dernier. Il décida de changer de tactique et profita de l'éclat de rire du géant pour repérer les attaches de son armure. Il y avait en tout quatre sangles, deux de chaque côté de ses flancs et deux autres au niveau des épaules. Les premières étaient les plus exposées, les deux autres étaient en partie protégées par les épaulières imposantes de Neruda. Il allait devoir être rapide et extrêmement précis.

« Si j'arrive à le toucher avec sa foutue magie... » songea-t-il.

Depuis le Carrosse, ses cinq compagnons n'avaient rien perdu du début de ce duel. Jambar gardait les bras croisés, ses yeux perçants détaillant le moindre enchaînement. Elio était tendu, il se mordait l'intérieur des joues.

— Ce monstre est beaucoup trop puissant. Nous devrions lui venir en aide !

Orm lui empoigna l'épaule et lui jeta un regard dur.

— Les créatures nous tomberaient dessus au moindre mouvement. Tout ce que nous pouvons faire... un sourire malicieux se dessina sur le visage du barbare. C'est que notre ami en finisse vite.

Tous, sauf Jambar, détournèrent leur attention du combat pour fixer Orm avec étonnement.

— Vous êtes si sûr de sa victoire ? demanda Sol, incrédule. Cette montagne emplie de haine et de magie noire est venue à bout d'un mur de terre que même un bélier renforcé aurait mis des heures à faire tomber. Excusez-moi de paraître défaitiste, mais les chances de messire Sang d'Acier me semblent plutôt faible face à un tel monstre.

Orm soupira. Anton et Oscar Neruda se faisaient toujours face. Le géant en armure fit tournoyer sa masse et assura ses appuis, puis il agita la main, faisant signe à Anton d'approcher. Il ricana encore. L'ancien Commandant de la Garde Pourpre prit une lente inspiration, releva son immense épée sur le côté de son visage, il regretta à cet instant de ne pas avoir pris de casque. Ses épaules se relevèrent, il pouvait sentir chaque os, chaque tendon, chaque muscle de son corps, l'épée dans ses mains. Il sentait leur poids, leur mouvement, il entendait l'air crisser le long de sa lame. Tout son être était maintenant tourné vers son adversaire. Ses traits se détendirent, son regard se fit impassible. Anton s'élança.

— Admirez ce dont le plus grand épéiste des Quatre Royaumes est capable, dit Orm, les yeux emplis de fascination.

Le mercenaire se trouvait maintenant devant Neruda, il esquissa un mouvement de taille sur le flanc du géant. Ce dernier positionna son arme pour parer, mais Anton feinta et le coup partit droit au visage du guerrier colossal. Surpris, ce dernier décala sa tête sur le côté. L'une des lanières de son armure apparut alors, du côté gauche. Faucheuse continua sa course et fit sauter l'attache de cuire dur dont la boucle vola plus loin avec un tintement métallique. Neruda, pour la première fois depuis le début du combat, parut déstabiliser un court instant. Puis ses yeux reptiliens s'étrécirent et sa masse fendit l'air en direction de la tête d'Anton, maintenant au contact avec le géant. Comme si de rien n'était, le mercenaire profita de cette proximité et de la haute taille de son opposant pour se baisser, esquivant de justesse l'arme cauchemardesque qui vrombit au-dessus de sa tête. Il se releva ensuite et se plaça derrière Neruda qui se fendit de nouveau coup vers l'arrière. Anton bondit, esquivant encore. Il se détendit et frappa de plus bel. La lanière du flanc droit sauta à son tour.

Le guerrier gigantesque enragea. Des filaments d'ombre suintant par tous les interstices de son armure, grimpant le long de son visage jusqu'à ne laisser apparaître que ses yeux toisant Anton avec une haine infinie. Le mercenaire préféra s'éloigner un peu, gardant son adversaire à distance avec son épée. Il sentait au fond de lui que le géant préparait quelque chose, il était déjà assez étonné que cet être démoniaque n'ait pas encore donné l'ordre aux Ombres de les mettre en pièces. En quelques secondes, il ne distinguait déjà plus la silhouette du géant, avalé par l'obscurité. Il ne restait plus qu'une dernière sangle à trancher pour faire tomber son plastron, mais cette magie l'empêchait de voir où elle se trouvait. Il avait bien une vague idée mais le mercenaire avait appris qu'on ne remportait pas un assaut sur des suppositions. Un grondement sourd sortit des ténèbres, comme un bloc de pierre immense roulant au bas d'une montagne. Les Ombres se turent et la marée noire qui entourait la place s'immobilisa. Les ténèbres s'étendirent, dévorant la lumière déjà faible autour d'elles.

— D'accord mon grand... on sort le grand jeu.

Anton prit une position défensive, campant ses appuis et levant sa lame de façon à protéger son corps. La charge allait être brutale et il ne pourrait certainement pas esquiver. Il sentit l'adrénaline affluer dans son sang, cette sensation grisante de puissance couler dans ses muscles, exacerber ses sens jusqu'à leur limite. Ainsi lorsque l'orage de ténèbres se rua en avant plus vite qu'un cheval au galop, Anton put suivre son déplacement aussi précisément que si chacun de ses mouvements avait été découpé dans la trame même du temps. Il garda sa position, prêt pour l'impact. Il vit tout d'abord quelque chose bouger au milieu du linceul d'obscurité. Le nuage était sur lui. Faucheuse se mit en mouvement. Il dévia un premier coup. Une gerbe d'étincelles bleutées jaillit quand la lame enchantée rencontra la masse démesurée qui passa à un cheveu du crâne d'Anton. Pendant ce bref instant, où la lumière perça les ombres, Anton aperçut sa cible. Il sentit un autre coup arriver. Le monstre avait augmenté sa vitesse. Il para une deuxième fois, puis une troisième, de plus en plus vite, chaque coup faisant voler une nouvelle gerbe d'étincelles. Plus il frappait, plus Anton se rapprochait de son ennemi.

Dans le Carrosse, personne n'osait parler, le silence de la place seulement troublé par le choc furieux des armes au centre du nuage noir.

— Vous arrivez à voire quelque chose ? demanda Emilia, médusée.

— Comment est-ce qu'il peut se battre là dedans ? souffla Elio.

Orm les bras croisés sur son large torse, gardait son sourire confiant.

Au cœur de la tempête, Anton ferraillait toujours. Il pouvait maintenant voir les yeux rouges de Neruda, semblables à deux îlots rouges flottant côte à côte au milieu d'une mer déchaînée. Mais la fatigue gagnait ses bras, le rythme de sa propre respiration écrasait ses poumons, lui brûlant la gorge. Il ne devait pas faiblir, il ne pouvait pas faiblir. Le poids du médaillon pendant à son cou lui rappelant pourquoi il c'était toujours battu.

Un unième coup, dévié de justesse.

Il s'était battu pour lui-même. Il s'était battu pour la Garde Pourpre. Il s'était battu pour ses compagnons d'arme. Maintenant, il se battait pour survivre. Faucheuse s'abattit, la troisième lanière fut tranchée. Neruda poussa un cris de rage et envoya un violent coup de pied à Anton qui vola hors du nuage de ténèbres et atterrit lourdement sur le dos dans la poussière.

— Allez relèves-toi ! Fais pas semblant, lui lança Orm depuis leur véhicule.

Le mercenaire se releva sur les coudes en grimaçant.

— J'aurais dû écouter Sœur Éléonore et devenir boulanger. Ça me serait bien allé boulanger... Oh merde.

Anton roula sur le côté. Neruda avait quitté son nuage noir et bondit dans les airs, sa masse s'écrasa exactement où se trouvait le mercenaire quelques instants plus tôt.

Les yeux du géant étaient à présent deux brasiers ardents, son visage ténébreux crispé dans une grimace de colère sourde. Il se releva de toute sa hauteur, son plastron se détacha et tomba bruyamment au sol. Anton fronça les sourcils d'étonnement quand le monstre se retourna vers lui en levant bien haut sa masse pour l'achever. Beaucoup trop haut la masse. Anton n'eut qu'à ramener les bras vers l'avant et Faucheuse se ficha en plein torse du géant. Il y eut un crépitement, suivit d'un bruit de verre brisé. Neruda fut pris de tremblements affreux. Il ressemblait à un pantin désarticulé essayant de rester debout. Le géant lâcha sa masse et ses doigts cherchèrent quelque chose au niveau de sa poitrine. Petit à petit, les ténèbres l'entourant se dissipèrent jusqu'à le quitter totalement. Son armure apparut alors terne et rouillée, des trous apparaissant dans le métal irisé devenu gris.

Enfin, Oscar Neruda tomba. Chaque élément de sa cuirasse tombant les uns après les autres, révélant son corps.

— Par les arcanes...

Emilia porta la main à sa bouche, horrifiée.

— Ben putain... dit Orm.

La peau du géant était d'un gris cadavérique écœurant, pire, ses membres n'étaient pas entiers, ou plutôt, on y avait greffé d'étranges parties mécaniques cuivrées aux articulations et aux extrémités de ses membres. Mais le plus indescriptible était son torse. D'impressionnantes tiges de métal rentraient dans sa chair blafarde, des plaques du même métal avaient visiblement été vissées à même la peau. Un cercle orné de glyphes était tatoué sur sa poitrine, en son centre était imbriqué une demi-sphère creuse, comme un bol. Anton se releva en grognant et ramassa ce qui ressemblait à une poignée de cailloux plats. Il claudiqua en direction du Carrosse, s'appuyant sur son épée.

— Démarre Jambar, qu'on puisse enfin quitter cette maudite ville !

Orm aida leur compagnon à monter dans le Carrosse. Le mercenaire s'affala sur un siège, exténué.

— Regardez les Ombres, dit Sol en pointant les créatures du doigt.

En effet, les Ombres ne bougeaient plus, elles levaient toutes les bras vers le ciel, sans bruit. Toutes levaient la tête, scrutant le nuage de ténèbres s'étant échappé du corps meurtri de Neruda.

— Oui et bien profitons en pour déguerpir, s'écria Jambar en démarrant le véhicule.

Ils franchirent les portes sans encombre. Se sachant hors de danger, Anton laissa reposer sa tête contre le dossier du siège. Il porta la main là où se trouvait son médaillon.

« J'ai survécu... encore. » pensa-t-il en souriant.

Puis il se rappela se qu'il tenait dans sa main droite et se retourna vers Sol.

— J'ai récupéré ça sur lui. C'est se qui se trouvait dans sa poitrine. Il est mort quand je l'ai brisé.

Dans la paume tendue du mercenaire, reposaient deux morceaux de pierre taillée. À première vue, cela ressemblait aux fragments d'un vase ou une poterie quelconque, mais le contour d'une bouche souriante, garnie de dents pointues, était clairement reconnaissable. En posant ses yeux dessus, le vieux mage eut un mouvement de recul et sembla nauséeux.

— Un artefact magique assurém... assurément. Enchanté par la magie la plus brute et la plus sombre que j'ai jamais vu...

L'érudit se pencha sur les fragments pour les regarder de plus près. À côté de lui, Elio grinça des dents et sa mine s'assombrit, une expression de colère passa sur le visage du jeune homme.

— Je sais exactement ce que c'est, lâcha-t-il.

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