De l'art d'accommoder un prévenu

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Fatou Traoré était une magnifique jeune femme.

Noire de peau et sourire large.

Yeux étincelants et ronde de corps.

Des formes, des cuisses, des hanches.

Une policière en stage, nommée à la Criminelle, sur la demande du lieutenant Lyster.

Souriante, Fatou Traoré interrogeait le prévenu :

" Ainsi, lorsque vous avez vu pour la dernière fois M. Simonnet, il s'entretenait avec un futur client ?

- Oui, madame, répondait l'homme, inquiet d'être convoqué au siège de la police et inquiet devant tant d'uniformes réunis.

- Et de quoi parlaient-ils ?

- D'un voyage en Asie. Hong-Kong, Shanghai. Le circuit habituel.

- Un passionné d'Asie ?, demanda Traoré en penchant gracieusement la tête, faisant tinter les perles placées au bout de ses multiples tresses, ses braids.

- Nous avons plusieurs circuits en Asie. La Chine est un pays demandé. Sinon, les clients se rabattent sur la Thaïlande, mais elle est moins en vogue en ce moment."

L'homme s'apaisait, il voyait que l'enquête se portait sur le client et non sur lui-même, la tension et la peur diminuaient et cela se voyait dans ses épaules qui se relâchaient.

Mais la voix de Ghost retentit tout près de l'oreille de Fatou Traoré :

" Le contrat a-t-il été conclu ? Il n'est pas clair ce gonze !"

Toujours souriante, Fatou chassa Ghost d'un geste délicat de la main.

" M. Simonnet paraissait-il effrayé par ce client ?

- Non, pas du tout," répondit le prévenu, amusé par cette idée.

Fatou rit, comme si l'idée était en effet ridicule.

" Comment était-il ce client ?

- Un homme normal. J'ai rien vu de bizarre. Il était...pas vieux. Mais pas jeune non plus. Des cheveux noirs. Mais..."

L'homme levait les mains, désolé de ne rien pouvoir dire de plus utile.

" Normal quoi, ajouta-t-il, inutilement.

- Fatou, demande si le contrat a été conclu !," insista Ghost.

Le prévenu vit la main de la policière se lever et frapper l'air, comme pour tuer un moustique.

" Avez-vous revu ce client ?

- Non, jamais. M. Simonnet est mort après. Je sais pas quand après, mais après. "

L'inspecteur leva les yeux au ciel et s'écria :

" Evidemment, jobard, qu'il est mort après ! Fatou ! Vire-moi ce foutriquet !"

Fatou Traoré se leva et se tourna vers le mur. Invisible du prévenu, elle fit un clin d'oeil à son irascible collègue décédé.

Elle déposa un dossier devant l'homme et l'ouvrit avec soin.

" Ce client ressemblait-il à un de ces hommes ?"

Le prévenu se leva à son tour et détailla les visages, assez flous, pris par des caméras de surveillance, filmés de trop loin pour être vraiment clairs.

" Non, je ne crois pas. C'est pas clair vos photos."

Le même mouvement des mains. Tellement désolé de ne pas pouvoir aider mieux.

Fatou Traoré se plaça tout contre Ghost et regardait l'homme interrogé avec bienveillance.

" C'est quoi ces photos ?, demanda l'inspecteur décédé, désarçonné. Le godelureau a trouvé des pistes ?

- Je suis désolée pour l'état des photos, monsieur Jondrette. On ne peut pas mieux, hélas.

- Je ne peux pas dire mieux, madame."

L'inspecteur allait tempêter et faire voler le dossier en l'air et se muer en tempête, lorsque Fatou Traoré, toujours aussi gentiment, demanda :

" Que faisiez-vous dans la nuit du 14 au 15 août, monsieur Jondrette ?

- Mais ? La nuit du 14 août ? J'étais chez moi ! Enfin !

- Oh ? Vous n'avez pas rencontré M. Simonnet ?"

Délicatement, Traoré sortit une nouvelle page du dossier et elle en sortit une feuille.

" Vous n'aviez pas rendez-vous avec M. Simonnet le 14 août au soir, à 21 heures, pour, je cite : " Prendre une bière et lever une nana." ?

- Je suis marié et Simonnet, non. On parlait souvent ensemble après le boulot, mais c'était une plaisanterie. Nous n'avons jamais...

- Avez-vous rencontré M. Simonnet le 14 août ?"

Le silence se fit pesant et M. Jondrette avoua :

" Oui."

Douce et délicate, Fatou Traoré lança au prévenu :

" Je ne saurai trop vous conseiller d'appeler un avocat, M. Jondrette."

Puis, se tournant vers le mur vide, elle ajouta :

" Au fait, le contrat a-t-il été conclu ?

- Je n'en sais rien," grogna Jondrette.

M. Jondrette était parti.

Il devait revenir le lendemain avec une nouvelle convocation en poche et un avocat à ses côtés.

L'inspecteur décédé se taisait, il contemplait ce petit bout de femme et était impressionné.

Fatou Traoré le savait, mais elle l'ignorait superbement.

" Là, la gamine ! Va falloir m'expliquer !

- Expliquer quoi ?, fit innocemment la jeune policière.

- Ca ! Ce cirque ! On a vu l'adjoint de Simonnet avec lui ? Le jour de sa mort ? Qui a découvert ça ?

- Adrien ! Il a soigneusement examiné le téléphone de la victime. Son Whatsapp a été très utile ! Et tu devrais arrêter de l'appeler godelureau, Ghost ! Adrien est un bon policier !"

Mais Fatou avait dit cela en souriant, toujours aussi gentille et bienveillante.

" Bon, bon. Je vais arrêter ! Jondrette a été vu en compagnie de Simonnet et il nous l'a caché ! Comment se fait-il que ce sagouin ne soit pas à la Force ?

- L'enquête est en cours, Ghost ! Le lieutenant attend les ordres du Parquet. Tu connais les lenteurs administratives, non ?"

Ils rirent tous les deux.

Et le vieux policier, mort depuis trop longtemps et bien au fait des lourdeurs paperassières gémit :

" De mon temps, on avait déjà des tonnes de dossiers à rédiger pour chaque arrestation. Aujourd'hui, c'est pire. La paperasse tuera ce pays ! Cela fait deux cents ans que je le dis !

- Alors, il tiendra encore deux cents ans !," se moqua Fatou.

Mais le rire ne vint pas.

La pièce, si chaude au soleil de l'été, se refroidit.

" Non, je n'espère pas être encore là dans deux cents ans, souffla l'inspecteur. Je suis fatigué, moi."

Fatou s'approcha et posa sa main sur l'épaule de son collègue, si glacé et si seul.

" Et si on essayait de te libérer, Ghost ?

- Je...je cherche quelque chose... Si je trouve...si je trouve, je pourrais partir...si je trouve, je pourrais..."

Et la jeune femme vit pour la première fois disparaître dans la lumière l'imposante silhouette de son collègue décédé et coincé dans ce monde qui n'était pas fait pour lui.

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