Voyage à Java

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" Ce n'est pas possible ! On est maudits !, s'exclama Sylvie Lyster en secouant sa longue chevelure argentée.

- Je me le demande depuis deux cents ans," rétorqua en riant le policier.

Une famille assassinée.

Egorgée et abandonnée dans une cave.

Une redite de la dernière fois.

Sauf que là, il ne manquait personne.

Le père, la mère, le fils, la fille...jusqu'au chien...

Tous morts.

" Je ne comprends pas cette blessure, murmura l'inspecteur en examinant les cadavres. Une telle déchirure...

- Une lame dentelée ?

- Plus que dentelée. Elle ondule !

- Ondule ? Que veux-tu dire Ghost ? "

L'inspecteur fit mouvoir sa main selon les ondulations du serpent.

" Tu as trop bu ?

- Je ne peux plus boire, claqua sèchement le policier mort depuis trop longtemps.

- Une lame qui ondule ! On aura tout vu, tiens."

Sylvie Lyster rit doucement pour se moquer de son collègue.

Et les lampes basse consommation longue durée explosèrent toutes ensembles.

" Susceptible !"

" Expérience !," annonça Sylvie Lyster en déposant sur son bureau une panoplie d'armes blanches.

Un poulet prêt à cuir se retrouva à trôner sur le bureau du lieutenant.

" Je préfère même pas imaginer de quoi parlent les collègues, s'amusa l'inspecteur.

- On s'en fout ! On commence par le couteau à cran d'arrêt !"

On essaya le couteau à cran d'arrêt, on essaya la scie, on essaya le couteau de chasse, on essaya la machette...

A la fin, le poulet ne ressemblait plus à rien.

Et les deux policiers étaient frustrés.

" Merde ! On ne doit pas savoir comment frapper !, s'énerva Sylvie Lyster.

- Je crois plutôt que c'est une autre arme.

- Une arme à lame dentelée et ondulante, je sais."

Les diverses armes blanches se mirent à léviter et doucement, elles formèrent une arabesque.

Sylvie Lyster applaudit et lança :

" Je te préviens, si tu fais un trou dans mon plancher, Ghost, tu le répares !"

Comme presque toujours dans les affaires d'homicide, la solution se trouva...dans l'entourage de la famille.

" Un voyage à Java ?, répéta le lieutenant, étonnée. En quoi cela nous intéresse-t-il ?

- Cela a tout à y voir si j'ai bien saisi les faits.

- Vas-y Ghost ! Impressionne-moi !"

La voix impersonnelle de l'inspecteur retentit :

" Le kris est un poignard traditionnel de l'archipel indonésien. Il était utilisé lors des puputan, des suicides collectifs rituels, des rois de Bali et de leur entourage en cas de défaite militaire. Il appartient à la tenue rituelle des habitants des îles de Bali, Java, Sumatra, Bornéo...

- Joli cours d'ethnologie, Ghost. Je t'en remercie grandement."

Le bureau du lieutenant perdit plusieurs degrés et la jeune femme frissonna de froid.

" Le kris est un symbole d'autorité et de pouvoir, c'est aussi un objet magique qui fait le lien entre le visible et l'invisible. Il a plus de valeur que l'homme.

- Bon, bon. Un objet important et sacré. J'ai compris. Donc ?

- Que se passe-t-il si un kris est volé dans un temple ?"

Le lieutenant ne souriait plus.

Elle se redressa d'un bond et s'écria :

" MERDE ! Il faut surveiller les aéroports ! Quel avion pour Java ?"

A Bali et à Java, le kris est un objet si précieux qu'il ne faut pas le sortir en-dehors des cérémonies. On croit que certains kris ont été directement donnés par un dieu. Le kris est utilisé pour entrer en relation avec les esprits... Il appartient à des familles et on se le transmet de génération en génération. Plus le kris est ancien, plus il est puissant.

Précieux, si précieux.

Plus précieux que la vie d'un homme.

On ne touche pas un kris. On ne vole pas un kris. On ne rêve pas d'un kris.

A Bali et à Java, le kris est associé avec le naga et la lame ondulée du poignard symbole le mouvement du serpent. Un kris ondulé est un serpent en mouvement, agressif et vivant.

Il frappe comme un serpent.

" Tu avais raison, Ghost ! Un serpent !"

Le lieutenant Lyster était impressionnée, elle tournait et retournait entre ses doigts un long poignard sculpté d'une tête de serpent près de la base. La queue de l'animal suivait les ondulations de la lame jusqu'au bout. Sept ondulations, ce qui en faisait une arme symbolisant la perfection divine.

Une arme que le commun des mortels ne devait pas contempler ou toucher.

" L'assassin est en prison, mais il refuse de parler.

- Il a fait son devoir, murmura l'inspecteur décédé. Il peut mourir maintenant.

- Non, non. Il est surveillé ! Pas de suicide !"

Mais il y avait d'autres moyens de mourir.

Et l'assassin resta muet durant tout son procès, malgré son avocat et son interprète.

" Adrien. Fais attention à toi, mon chéri.

- Je vais bien. Ne t'inquiète pas tant."

Des paroles !

En réalité, le jeune policier était heureux de tous ces soins empressés à son égard.

Sylvie Lyster l'avait installé sur son canapé et lui apportait du café et des croissants.

" Rien d'autre, monsieur le grand blessé ?

- Un baiser ?"

Le lieutenant s'exécuta en riant.

Un vent impératif passa sur le jeune couple et fit voler les cheveux devenus gris souris de la jeune femme.

" Il y a vraiment un problème d'isolation dans ton appartement, Sylvie, asséna le jeune homme.

- Certainement. Allez, je te laisse avec la télécommande et le téléphone.

- Je t'aime, ma Sylvie."

Elle sourit en entendant ces mots et les répéta.

" Vous allez vous marier ?, demanda l'inspecteur fantôme en voyant enfin sa collègue abandonner son petit ami.

- Nous marier ? Comment cela ?

- Hé bien, il t'aime, tu l'aimes. C'est logique, non ?"

Sylvie Lyster se mit à rire en sortant sa voiture de la place de parking.

" Non. Ce n'est pas logique. Plus maintenant, monsieur l'inspecteur du XIXe siècle. J'aime beaucoup Adrien, mais je ne l'épouserai pas. Et il ne va pas me demander en mariage.

- Pourtant, pourtant..."

Lyster vit avec amusement l'imposant policier se troubler en lui parlant de sexe.

" Nous couchons ensemble, oui, monsieur. Et nous aimons beaucoup ça ! Mais si j'avais dû épouser tous les hommes avec qui j'ai couché..."

L'inspecteur tombait des nues, elle le regarda gentiment :

" Mais vous avez connu les années 60 et les années 70 ! Vous faisiez quoi alors ?

- Je suivais les affaires d'assassinat politique liées à l'OAS. Et Jacques Mesrine m'a occupé de nombreuses années.

- Tu ne sors pas beaucoup de la Préfecture, hein Ghost ?

- J'avoue. Je suis casanier.

- Deux cents ans de prison. On va te faire sortir de là !"

Le silence retomba dans la voiture et tout à coup, Sylvie Lyster avoua en riant :

" J'ai même couché avec Pierre.

- Pierre ?

- Rivette."

L'inspecteur eut un regard abasourdi qui ne lui allait pas du tout et le rendait stupide.

" Allez ! Soirée cinéma ! Il y a un marathon Indiana Jones. Cela ne vaut pas le kris javanais mais on rencontre des assassins Thugs."

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