Tu quoque mi fili

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Il y a eu trois hommes dans ma vie.

Trois hommes merveilleux.

Mon père.

Mon oncle.

Mon frère.

Et un tyran.

Mon beau-père.

" Combien de coups de couteau ?, demanda l'inspecteur devant un nouveau corps étendu à la morgue.

- Trente-six. Et ce n'est pas un couteau mais un poinçon, Ghost.

- Dieu ! Au moins, il est sûr de l'avoir eu."

Un rire, connu maintenant, retentit dans la salle glacée et aseptisée.

L'employé leva le nez de son rapport et regarda le lieutenant Lyster. Il la voyait si souvent rire devant des cadavres qu'il ne le relevait plus.

Il y a eu trois femmes dans ma vie.

Trois femmes merveilleuses.

Ma mère.

Ma tante.

Ma soeur.

Je les ai toutes perdues.

Il ne me restait que Lui.

Mon beau-père.

" Identité de la victime ?, demanda l'inspecteur.

- Un employé de bureau. Un homme bien noté par ses chefs.

- Famille ?

- Plus personne sauf un fils."

L'inspecteur leva les yeux et regarda sa collègue.

" Où est-il ?

- Aucune idée, Ghost.

- Alors, il faut le trouver !"

Il y a eu trois périodes dans ma vie.

Trois périodes si différentes.

Mon enfance.

Mon adolescence.

Ma prison.

Il fallait vivre avec Lui.

Mon beau-père.

" Le jeune a disparu le jour du meurtre. Un jeune de dix-sept ans, annonça Lyster.

- Trente-six coups de poinçon. Cela peut signifier la haine, la peur, la colère...

- La préméditation. La folie.

- Le jeune a disparu. Ce n'est pas bon pour lui. Où peut-il se cacher ?, demanda le policier en tirant sur ses favoris si touffus.

- Il n'a plus de famille.

- Mhmmm ?

- Ils sont tous morts aujourd'hui. Le père dans un accident de voiture. Il était avec son autre fils ainsi que l'oncle et la tante. La mère s'est remariée, mais elle est morte d'un cancer. La soeur..."

Le lieutenant fouilla dans le rapport et asséna :

" La soeur a disparu.

- Elle aussi ?

- Retrouvée morte dans la forêt. Violée et massacrée."

Les deux policiers se regardèrent et eurent chacun la même idée.

" Se pourrait-il ?

- Il se pourrait.

- Je brûle d'impatience d'interroger le gamin.

- Ghost ! C'est mon travail !

- Vous ne m'avez jamais vu à l'oeuvre, lieutenant !"

Il y a eu trois bouleversements dans ma vie.

Trois bouleversements qui m'ont changé.

La mort de mon père, de mon frère, de mon oncle et de ma tante, si dure et si violente.

La mort de ma mère, si longue et si douloureuse.

La mort de ma soeur, si inattendue et si cruelle.

Et Lui m'apprenait à vivre avec.

Mon beau-père.

" Pour la troisième fois, je te demande pourquoi tu as tué ton beau-père."

Le jeune homme restait silencieux et ses yeux regardaient fixement le mur du fond de la salle des interrogatoires.

Le lieutenant Lyster chercha les yeux de l'avocat du jeune homme.

Et y lut la même tristesse désappointée que la sienne.

" Je ne veux pas te faire de mal, je veux juste comprendre."

Le silence continuait et l'avocat poussa un long soupir découragé.

J'ai changé trois fois d'esprit dans ma vie.

Trois esprits totalement différents et qu'il est impossible de retrouver.

Je fus un enfant, heureux et insouciant.

Je fus un adolescent, triste et tourmenté.

Je fus un tueur, impitoyable et cruel.

Mais ce fut bon de le tuer, Lui.

Mon beau-père.

Les tasses de café s'amoncelaient sur le bureau du lieutenant et il n'y avait aucun résultat.

" Je ne peux rien pour lui. Il n'a rien avoué mais ses ongles, ses habits ont parlé contre lui. On a même retrouvé l'arme du crime.

- Laisse-moi lui parler..., souffla la voix du fantôme.

- Ghost ! Il va finir dans un hôpital psychiatrique.

- Laisse-moi lui parler, s'il te plaît.

- Mon Dieu, tu as intérêt de réussir ! Si on apprend que j'ai parlé à un suspect sans son avocat, je suis bonne pour le blâme.

- S'il te plaît ?"

Il y a eu trois hommes dans ma vie.

" Il n'y a pas eu de père dans ma vie, annonça l'inspecteur de police décédé depuis si longtemps. Il y a eu une mère et la prison. Il y a eu la violence et le fouet."

Trois hommes merveilleux.

" Le seul homme merveilleux que j'ai connu fut le directeur de la prison. Il a fait de moi un messager et m'a protégé des abus."

Le jeune homme tourna enfin la tête vers...le vide...

Près de lui se tenait l'inspecteur, invisible, et il le regardait fixement.

" Mais il était trop tard pour toi. N'est-ce pas ?," asséna le policier.

Mon père.

Mon oncle.

Mon frère.

Et un tyran.

Mon beau-père.

" En prison, je fus victime de violences. J'ai souvent rêvé de tuer mes bourreaux, je n'en ai jamais eu le courage," souffla l'inspecteur, revenant dans des souvenirs vieux de plus deux cents ans.

J'ai changé trois fois d'esprit dans ma vie.

Trois esprits totalement différents et qu'il est impossible de retrouver.

" On ne peut pas revenir en arrière ! Il faut aller de l'avant et essayer d'oublier son passé. Ou alors l'apprivoiser ! "

Je fus un enfant, heureux et insouciant.

Je fus un adolescent, triste et tourmenté.

Je fus un tueur, impitoyable et cruel.

" Je suis entré dans la police et je me suis juré de punir tous ceux qui faisaient souffrir les innocents. Je fus cruel et terrible, impitoyable et insouciant. Mais je me suis vengé !"

Le jeune homme se leva doucement et ses yeux cherchèrent dans le vide. Là où se tenait le policier qui lui parlait ainsi dans l'oreille.

Lentement, il appela :

" Qui me parle ? Qui est là ?"

Le lieutenant s'approcha doucement du prévenu et eut un sourire apaisant.

" Personne. Ne t'inquiète pas," lança Sylvie Lyster, inquiète malgré tout.

Lentement les larmes coulèrent sur les joues du jeune homme.

Mais ce fut bon de le tuer, Lui.

Mon beau-père

" Comme ce fut bon de frapper et d'arrêter ces salopards qui abusaient des enfants. N'est-ce pas ?"

Le policier fantôme se tenait derrière le jeune meurtrier et il murmura :

" Ton beau-père était un salopard.

- Oui," répondit le tueur vieux de dix-sept ans.

Et le jeune homme avoua les années de maltraitance, les abus sexuels et le meurtre de sa soeur par son beau-père qu'il avait fallu taire...

Le lieutenant Sylvie Lyster se tenait sur son canapé.

Adrien était dans la cuisine, il préparait un repas simple avec une joie toute juvénile.

" C'est vrai ce que tu as dit, Ghost ?, demanda le lieutenant.

- Oui, répondit l'imposant policier en baissant les yeux.

- Et personne n'a rien fait ?

- Une autre époque, un autre temps. On ne protégeait pas autant les enfants avant. Et je suis fils de galérien et de gitan.

- Et alors ?

- Alors...rien..."

Adrien apparut, un large plateau dans les bras et un sourire attendri pour l'accompagner.

" Ce soir, salade Caesar et tex-mex, annonça le jeune policier, heureux de vivre. Et pour le cinéma, que dirais-tu de Cléopâtre ? Elizabeth Taylor en Cléopâtre, Richard Burton en Marc Antoine et Rex Harrison en Jules César.

- Vingt-trois coups de poinçon, lança le fantôme. On est bien loin du compte."

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