Le boucher

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" Une arme par destination ou arme improvisée est un objet dont la fonction première n’est pas d’être une arme, mais qui est utilisé, ou destiné à être utilisé, comme tel dans certaines situations. Elle est opposée aux armes par nature.

- Mhmmm, fit le lieutenant, sans prêter plus attention que cela aux propos de son collègue fantôme.

- En l'occurence, une tronçonneuse, des couteaux de cuisine sont des armes par destination.

- Mhmmm, répéta le lieutenant en tournant une nouvelle page du rapport qu'elle lisait.

- Ou un hachoir !," claqua la voix fâchée de l'inspecteur.

Mais il fallut que les pages du rapport se referment toutes seules devant son nez pour que Sylvie Lyster lève les yeux sur son collègue.

" Allons Ghost, j'ai été à l'école ! Je sais !

- Et donc ?"

L'inspecteur croisa ses bras sur sa poitrine et leva les yeux au ciel, laissant retomber sa colère et les stylos qu'il faisait voler autour de lui.

Elle le regarda et se mit à rire, amusée, les mains glissées sur son menton et ses cheveux noirs, coupés à la garçonne, lui donnaient un joli air mutin.

" Si on a utilisé une arme par destination, cela peut signifier que le crime n'était pas prémédité. Le meurtrier a agi sous le coup de la colère, de la peur ou de la folie. Mais !"

Elle leva un index, l'ongle verni de noir et constellé d'étoiles argentées.

" Cela peut aussi être l'arme désignant la profession du tueur. Ou un simple piège pour tromper les enquêteurs. J'ai bon inspecteur ?"

Il se mit à sourire, obligé.

" Oui...et non... On peut trouver des armes partout et tout peut devenir une arme. Ces catégories sont ridicules. On tue aussi bien avec une fourche qu'avec un revolver.

- Oui, conclut sentencieusement le lieutenant en retournant à son rapport. Mais cela permet de rédiger nos dossiers et de les classer plus facilement aux archives."

Un silence passa.

Puis le lieutenant Lyster lança, la voix autoritaire :

" Et vous me ramassez TOUS les crayons que vous avez fait tomber !"

L'inspecteur leva la main et des dizaines de crayons se mirent à voler dans tous les sens avant de rejoindre bien gentiment le bureau du lieutenant.

" Merci Ghost. Tu es adorable."

L'inspecteur grogna de dépit et sa forme disparut dans la lumière.

Elle se mit à rire.

Cela dit.

Un homme avait été tué avec un hachoir. Une vraie boucherie.

L'inspecteur avait examiné le corps, aidé par le lieutenant Lyster.

La victime était inconnue des services.

Mais on allait chercher.

" L'arme est un couteau hachoir avec une lame de 17 centimètres.

- Une belle arme, sourit l'inspecteur. Vive l'improvisation !"

Lyster regarda autour d'eux. Ils étaient dans une ruelle, peu passante et le corps avait été dissimulé sous des cartons.

" Cette arme d'improvisation ne me semble plus vraiment un choix fait sous le coup de la panique.

- Mhmmm, fit l'inspecteur en regardant fixement derrière la policière.

- Le corps a été caché. Là, on peut faire ça sous la panique.

- Mhmmm, répéta l'inspecteur.

- Ghost !, fit Lyster, fâchée, si c'est pour me foutre en rogne et bien cela marche très bien mais..."

Il ne l'écoutait plus.

L'imposant policier s'avança dans la ruelle et s'approcha d'un mur, devant lequel, naturellement, il n'y avait rien.

Lyster contempla son collègue, le voyant hocher la tête et croiser ses bras dans le dos. Il marcha quelques pas en parlant dans le vide.

" Lieutenant, murmura une voix tout près d'elle. Nous pouvons remballer ?"

Lyster sursauta.

La policière du service scientifique sourit avec appréhension.

" Oui, oui. On a fini."

Les équipes se mirent aussitôt à tout emporter pour laisser la place nette.

" Enfin, j'espère," ajouta pour elle seule le lieutenant.

" Les armes blanches sont plutôt des armes de prédilection des attaquants, dit "solitaires", en partie parce que cela demande une faible planification. Tuer avec un couteau a malheureusement un impact psychologique important, car il fait peur à tout le monde. On a peur des espaces confinés, des inconnus, on a peur d'être blessé ou tué. Cela crée une peur collective."

Lyster secoua ses cheveux coiffés à la Louise Brooks et essaya de ne pas regarder son collègue, assis à ses côtés et qui cachait mal un bâillement à s'en décrocher la mâchoire et qu'elle était la seule à voir.

Connard !

" Insinuez-vous que nous avons affaire à un tueur en série, lieutenant ?, demanda un des journalistes présents dans la salle de conférence.

- Deux meurtres. Cela me semble trop tôt pour le dire.

- Est-ce un attentat terroriste ?, ajouta un autre journaliste.

- Cela semble trop tôt pour le dire.

- Mais qu'est-ce que vous pouvez nous dire à la fin ?, s'énerva le premier journaliste.

- Que le hachis ne doit pas être bon."

Un concert de cris outrés retentit dans la salle.

L'inspecteur se mit à rire, amusé.

Le journaliste, scandalisé, voulut reprendre la conférence de presse, mais il dut abandonner... Son téléphone portable venait de glisser de sa poche et de se pulvériser sur le sol.

Dommage.

" Un café ?, proposa gentiment l'inspecteur à sa collègue lorsqu'elle revint dans leur bureau.

- Ce serait bien gentil de ta part, Ghost. Le condé est un connard.

- Il vous a collé un blâme ?

- Non. Mais il m'a sermonné sur la diplomatie et la liberté d'expression...surtout pour la presse..."

Elle prit le café dans ses mains et savoura la chaleur qui en découlait.

Puis elle se rendit compte de ce que son collègue avait fait pour elle.

" Vous avez réussi à prendre un café à la machine ?! Comment vous avez fait ?

- Secret professionnel !

- Allons ! Je n'ai jamais réussi à escroquer la machine. Dites-moi comment vous avez fait ?"

Le policier caressa ses favoris et se mit à rire.

Il fallait avouer que l'arme était imposante.

Le lieutenant manipulait le type de couteau hachoir que les services scientifiques avaient identifié.

Une belle arme en effet.

Tout le monde n'avait pas cela dans sa cuisine en réalité.

" Nous revenons à une des possibilités, murmura le policier fantôme.

- Un professionnel. Mais pourquoi un boucher viendrait tuer des gens ?

- Folie ? Sa femme ? Son boulot ? Les deux victimes ont-elles un point commun ?

- Non. Pas selon nos dossiers. Pas selon les témoignages, répondit Lyster.

- Il tue au hasard ?

- Il semblerait.

- Merde ! Cela va être dur de le trouver."

Puis, les yeux amusés de la jeune et jolie femme regardèrent le vieux policier, caché derrière ses larges favoris.

" Que vous a dit la victime l'autre jour dans la rue ?"

L'inspecteur sourit et approuva la question.

" Il n'a pas vu son agresseur mais il a entendu une insulte.

- Une insulte ?

- " Sale végan !"

- Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ?"

Une histoire simple.

Une simple histoire.

Une boucherie victime de commérages.

Des gens parlant à tort et à travers.

Une mauvaise réputation.

De la diffamation.

Une boucherie qui a fait faillite.

Il suffit de trouver laquelle.

Et de reprendre les témoignages.

Les rapports.

Les dossiers.

" Delicatessen ?, s'écria l'inspecteur en examinant le coffret du DVD.

- L'un des meilleurs rôles de Jean-Claude Dreyfus.

- Que fait-il ?

- Boucher."

Le rire de Sylvie Lyster se mêla à la musique du générique.

Tandis que Midnight se trouvait une place entre les deux policiers...devenus collègues...en train de devenir des amis...

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