From Hell

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" Mary Ann Nichols, Annie Chapman, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes et Mary Jane Kelly."

Ce fut l'été de la Grande Peur des Putains !

L'été de la Grande Peur des Putains !

DES PUTAINS !

" Un imitateur ?, demanda le lieutenant.

- Non. Je ne crois pas. Ce serait stupide.

- Vous croyez ?"

Le lieutenant Sylvie Lyster regardait son collègue et l'inspecteur décédé était hypnotisé par la vision des cheveux de la policière.

Blond avec des mèches roses et vertes.

Incroyable.

" Je vous parle !, claqua la femme. Pourquoi pas un imitateur ?

- Parce que ce n'est pas de vraies copies.

- Il y a copies et copies. On peut vouloir copier sans pour autant remonter toute une rue londonienne de 1888. De toute façon, il manque le brouillard.

- Jack l'Eventreur n'a pas tué dans le brouillard, asséna sèchement l'inspecteur.

- Une pute, ça n'est qu'une pute, c'est cela ? On s'en fout ?"

La salle d'autopsie était froide et vide. Mais là, elle devint glaciale. Les tiroirs mortuaires claquèrent dans leur emplacement. Le lieutenant se mordit la lèvre, désolée et agacée.

" D'accord, d'accord. Je n'aurais pas dû dire ça. Mais parfois, vous m'énervez tellement."

Il avait disparu mais sa voix retentit, partout à la fois.

" MA MERE ETAIT UNE PROSTITUEE. ELLE EST MORTE POUR MOI. MORTE EN PRISON. Pour moi.

- Pardon, pardon. Je ne savais pas."

Le froid avait disparu.

L'inspecteur aussi.

Lyster regarda le corps de la prostituée, proprement éventrée et égorgée, et murmura :

" MERDE.

"Montague Druitt, Francis Tumblety, Aaron Kosminski, Michael Ostrog, John Pizer, Seweryn Klosowski, James Thomas Sadler, Sir William Gull, Albert Victor de Clarence..."

Ce fut la grande chasse à l'homme !

L'été de la Grande Peur des Putains !

DES PUTAINS !

Le lieutenant Sylvie Lyster entra dans la salle des archives et posa précautionneusement une boîte de DVD sur le bureau couvert de dossiers que plus personne ne regardait.

Il s'agissait d'un film appelé Ghost.

" Je ne savais pas. Allez. Vous savez que je ne voulais pas dire cela. Je sais bien que vous ne vous en foutez pas de ces femmes. Vous vous intéressez aux victimes."

Il ne se passa rien.

Un nouveau meurtre et une nouvelle femme.

Eventrée, étripée, ouverte en deux comme un animal de boucherie.

Le lieutenant Lyster était si mauvaise avec ses officiers que chacun l'évitait avec soin. Les réunions étaient houleuses.

Deux jeunes policiers avaient quitté la salle de conférence en claquant la porte, outrés d'être si mal traités. On avait parlé de harcèlement.

La tasse de café se brisa sur le sol lorsque la voix retentit à nouveau.

" Pourquoi des prostituées ?"

Soulagée au-delà de tout, le lieutenant sourit de toutes ses dents.

" Des proies faciles ? Il est prudent et ne laisse pas de traces. Il porte des gants, il ne commet aucun attouchement sexuel, il évite les rues passantes. "

Elle regarda avec émerveillement la silhouette imposante de son collègue naître de la lumière.

Il la contempla sans sourire...puis il hocha la tête.

" Il est intelligent. Il choisit des proies faciles.

- Un prédateur sexuel ?, demanda Lyster.

- Oui. Et un copieur, mais pas un imitateur.

- Il utilise un scalpel et un couteau à nécropsie."

Le policier fantôme sursauta et murmura :

" Mais je suis parti combien de temps ?

- Le temps de trois meurtres."

Il secoua la tête et ajouta :

" Je m'excuse.

- Alors un imitateur ?, reprit Lyster pour recentrer son collègue sur l'affaire.

- Un médecin, un bottier, un boucher, un soldat, un directeur d'une école, un chirurgien royal, un auteur à succès, un peintre, une sage-femme, un policier, un prince...

- La liste des suspects de Jack l'Eventreur ?

- On peut déjà éliminer le prince," fit simplement l'inspecteur.

Et il réussit un exploit.

Le lieutenant se mit à rire.

"Mary Jane Kelly, née vers 1863 et morte assassinée le 9 novembre 1888, fut la cinquième victime de Jack l'Eventreur. Elle vivait au numéro 13 de Miller's Court, dans le quartier de Whitechapel."

Une belle femme, encore jolie, encore agréable.

L'été de la Grande Peur des Putains !

DES PUTAINS !

Les policiers étaient partout, à quadriller le quartier.

Les voisins étaient interrogés, encore et encore. Et encore.

En vain.

Le lieutenant Lyster avait des yeux durs et sombres. Elle contemplait le salon de la victime, dévasté et détruit. Tout avait été écrasé et broyé. Les malheureux souvenirs de la femme avaient été brisés. Quelques photos.

Quelques fleurs.

Comme si la tuer ne suffisait pas, il fallait en effacer le moindre souvenir.

Et parmi ce chaos, un vent brutal et glacé faisait voler les papiers déchirés et les rideaux moisis.

" Calmez-vous !, ordonna le lieutenant.

- Une femme. Une pute. Il me faut sa tête !

- DIEU ! CALMEZ-VOUS !

- LA VEUVE ! LAISSEZ-MOI LUI FAIRE SA FÊTE ! JE PEUX FAIRE DU MAL ! JE PEUX !"

Les yeux clairs de son collègue fou réapparurent juste devant le visage du lieutenant et la firent reculer instinctivement.

" Je peux lui faire du mal.

- Ce n'est pas une solution, murmura la policière.

- De mon temps. De mon temps, on n'accordait pas beaucoup d'importance aux femmes. Encore moins aux prostituées. Moi-même... Moi-même..."

Les yeux disparurent et le vent reprit sa danse macabre, faisant voler les souvenirs et les pages des magazines.

" Il a pris son temps, lieutenant, ce salopard, annonça un policier à sa collègue. Elle est morte lorsqu'il l'a égorgée.

- Oui, je sais, approuva Lyster en caressant nerveusement ses cheveux bariolés.

- Il a pris son temps. Ce doit être un médecin.

- Un médecin ?"

Le vent fit voler les rideaux et glissa tout contre les deux policiers.

" Ben oui. Elle a été étripée. Qui peut faire cela ? Un médecin sûrement.

- Sir William Gull..., souffla une voix dans l'oreille du lieutenant, attirant un sourire amusé sur les lèvres de la femme.

- Ou alors une sage-femme," proposa Lyster.

Le policier sursauta et regarda sa supérieure comme si elle avait sorti une vérité incroyable.

Le vent se transforma en éclat de rire.

Et le lieutenant chassa son officier d'un geste nerveux.

" Un médecin ?, murmura l'inspecteur décédé.

- Un soldat avec une baïonnette ?

- Un boucher ?

- Un Juif ?

- Un prince royal ?

- Un policier ?

- Merde !"

Les deux policiers se mirent à rire.

" Non, décidément. Ce n'est pas possible. Il faut faire quelque chose."

L'inspecteur approuva.

"Mary Ann Nichols, née Walker (26 août 1845-31 août 1888), dite Polly. Ce fut la première victime de Jack l'Eventreur."

Une femme, touchée par l'alcool et la tuberculose, vite tuée.

L'été de la Grande Peur des Putains !

DES PUTAINS !

" La première victime est Marie Thieblemont, dans le quartier Saint-Michel. Il a eu le temps de l'égorger mais il n'a pas réussi à l'éviscérer complètement."

L'inspecteur se pencha sur le rapport d'autopsie, sur les photos et les dessins.

" Oui. Il n'a pas réussi à la décapiter, non plus.

- La décapiter ?

- Regardez les traces autour du cou. Il essaye de le faire mais il ne sait pas.

- Il n'a pas la bonne arme.

- Il veut tout faire, le jobard. Egorger, décapiter, étriper. Cela lui prend du temps.

- Et nous ne sommes pas à votre époque, très cher inspecteur. Il y a de la lumière, des analyses ADN, des caméras."

L'inspecteur sourit, pas plus impressionné que cela.

" Oui. Et il y a les faux pas. Ça aide !"

Marie Thieblemont.

Tout le monde l'appelait la Marie. Une vieille prostituée, gentille et agréable.

Elle participait à des actions dans quelques associations, elle aidait les jeunes femmes plongées dans la prostitution à s'en sortir.

Elle informait la police sur les réseaux et les trafics de femmes.

Elle s'était retrouvée deux fois aux urgences, la Marie.

Pour des violences contre elle. Nez cassé, bras fracturé.

Mais la Marie avait une grande gueule et la volonté de défendre les jeunes femmes...et les jeunes hommes...

Marie avait le coeur large.

Elle était seule depuis que sa fille l'avait abandonnée pour faire ses études.

Alors, elle défendit au grand jour la cause des prostitués de tout sexe, allant jusqu'à passer à la télévision et briser son anonymat.

Marie était une femme courageuse !

Son corps se retrouva sur le sol sale d'une arrière-cour crasseuse où elle mourut, après avoir été terriblement défigurée.

Le visage était en lambeaux et les yeux restèrent ouverts sur une expression d'horreur.

Le lieutenant reçut un rappel officiel de ses supérieurs lorsqu'elle s'en prit violemment au journaliste qui osa traîner dans la boue la malheureuse victime.

Une prostituée qui sort de son anonymat, elle l'avait un peu cherché, non ?

Lyster accepta de se calmer.

Son collègue fut moins facile à convaincre.

Il réussit à crever les quatre pneus de la voiture du journaliste en faisant voler des couteaux.

On informa les associations, on protégea les rues et on surveilla avec soin.

Le spectre des comités populaires renaquit.

On vit des hommes armés de bâtons parcourir les rues des quartiers pauvres et des voix demandaient : " qui va là ? "

"Ce n'est pas la solution !

- Vous ne faites rien !

- Si, mais laissez du temps à la police !"

Et on commença à s'en prendre aux étrangers, aux immigrés...oubliant qu'ils étaient nés en France, ce n'était plus des étrangers mais des Français.

On parla des religions et des couleurs de peau.

On évoqua l'exclusion des uns pour protéger les autres.

From hell
Mr Lusk
Sor
I send you half the
Kidne I took from one women
prasarved it for you tother pirce
I fried and ate it was very nise I
may send you the bloody knif that
took it out if you only wate a whil
longer.

signed
Catch me when
you Can
Mishter Lusk.

De l'enfer
M. Lusk
Monsieur,
Je vous ai envoyé la moitié du
rein que j'ai pris d'une femme
conservé pour vous l'autre partie
je l'ai frite puis mangée ; c'était très bon. Je
pourrai vous envoyer le couteau ensanglanté qui
l'a pris si seulement vous attendez un peu plus
longtemps.

signé
Attrapez-moi quand
vous pourrez
Monsieur Lusk.

L'été de la Grande Peur des Putains !

DES PUTAINS !

" Mais ce n'est pas possible !, claqua le lieutenant. Que s'est-il passé ?"

Deux policiers ramenaient un jeune homme, énervé et rouge de rage.

" Il nous a insultés, lieutenant.

- Mais pourquoi ?"

Le jeune homme leva la tête et fièrement, il lança :

" Vous arrivez à rien. On va le trouver, nous, ce connard.

- Bureau, avocat et des rapports très détaillés !, ordonna le lieutenant. Je veux qu'on soit clean !"

Les officiers disparurent, entraînant sans douceur le jeune homme qui hurlait de rage.

" Qu'ils sont tous cons..., soupira le lieutenant, lasse.

- Il y a un moyen..., murmura son collègue, resté assis durant toute la scène affligeante.

- Si vous me dites de porter une robe et d'aller jouer les putes rue de Saint-Denis, je vous remercie de votre proposition. Mais je vais décliner."

L'inspecteur gloussa de rire.

" Non. Marie, rétorqua le policier.

- La première victime. Et bien ?

- Revoyons son dossier et recoupons-le avec les autres. La première victime est souvent choisie par le tueur dans un rayon très proche de lui, voire dans son propre entourage.

- Famille...

- Ami...

- Un homme qui hait les femmes et les prostituées en particulier. Un homme qui a rencontré nos cinq victimes. Un homme qui a quelques connaissances anatomiques mais sans plus.

- Un homme qui vit dans le quartier où sont mortes les victimes.

- Pourquoi cela ?, demanda Lyster, intéressée.

- Pour le sang. Il doit nécessairement vivre tout près. Ou alors il porte un sac pour cacher un deuxième vêtement.

- Un couteau à nécropsie, c'est grand. Un scalpel, cela se glisse dans une poche. Mais un couteau à nécropsie...

- Un homme qui déteste ces femmes au point de vouloir détruire leurs souvenirs.

- Leur visage.

- Leur symbole de féminité.

- Les yeux.

- Le ventre.

- Un client tombé malade ?, souffla Lyster.

- Un fils de prostituée ?," opposa l'inspecteur.

Terrain dangereux.

Le lieutenant ne dit rien, mais son collègue ajouta doucement :

"J'ai souvent voulu tuer ma mère pour ce qu'elle était. Mais j'étais jeune et con.

- Aujourd'hui ?

- Aujourd'hui, je regrette."

Lyster s'écria en riant :

" Deux cents ans pour en arriver là ! Il vous a fallu longtemps, inspecteur."

Il rit aussi.

Bien entendu, le rein envoyé à la police se révéla un rein animal.

Mais cela permit aux journaux de débattre avec soin du problème de la prostitution et de jouer sur la paranoïa.

Un tueur en série !

Mais il ne tuait que les femmes de mauvaise vie.

Ouf !

" Mary Ann Nichols, Annie Chapman, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes et Mary Jane Kelly."

Cinq prostituées ! Cinq putains !

Correctement massacrées lors de l'été de la Grande Peur des Putains !

DES PUTAINS !

Pas un ancien client.

Non.

Pas un fils non plus.

Non.

Mais quelqu'un de l'entourage des prostituées, en effet.

On interrogea, on recoupa, on analysa les rapports et les dépositions.

Et on découvrit un suspect.

Quelqu'un de la famille de Marie.

Tout simplement.

Sa fille.

La fille de Marie.

Et des années de honte devant le métier de sa mère et de ses amies.

Ce métier que la gamine avait dû endurer.

Accepter et tolérer.

Surtout en voyant sa mère ne pas s'en cacher et soutenir ses compagnes de la rue.

Les défendre.

Les protéger.

Parler en leur nom.

Se mettre en avant.

Il fallait la faire taire.

La fille faisait des études de médecine.

La haine la tint durant des années.

Ce qui la poussa à passer à l'action ?

Ce fut sa mère se pavanant à la télévision devant tout le monde, au mépris des amis de sa fille, pour parler des prostituées et de leurs droits.

Là, elle se décida à tuer toute cette sale engeance.

Imiter Jack l'Eventreur ne fut qu'un moyen de brouiller les pistes.

" Vous voulez voir From Hell ?, proposa Sylvie Lyster en savourant sa bière avec un bonheur profond.

- Je crois que j'en ai assez des femmes assassinées. Mais vous aviez un film pour moi, il me semble."

Le lieutenant sourit en passant ses doigts dans ses cheveux blonds et colorés aux pointes.

" Ghost. Mhmmm. Patrick Swayze et Demi Moore. Oui. Vous me direz.

- Je vous dirais quoi ?

- Vous verrez !"

Le film tint l'inspecteur sur son canapé scotché une bonne partie de la nuit.

Midnight ne le quitta pas d'une semelle et s'était posté devant lui.

Le lieutenant appréciait la belle et triste romance en souriant gentiment.

" Alors ?, demanda-t-elle à la fin à son collègue.

- Alors ?

- Des remarques ?

- Je ne peux pas toucher les gens.

- Même en faisant de la poterie ?"

La tension disparut.

Et ils se mirent à rire ensemble.

" Maintenant, je vous propose Fantôme avec chauffeur, Philippe Noiret et Gérard Jugnot.

- Allez, impressionnez-moi lieutenant."

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