Scène I

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Ô Sari Mares

https://www.youtube.com/watch?v=G0yS4lgX8Ks

Le décor présente une rue vue à l'horizontale, où l'on peut y voir une succession de bâtiments. Entre ces dernier se trouve un espace vierge, découpé de façon à ce que les marottes puissent apparaître directement intégrées dans le décor.

Bruits de cris lointains d'une foule (en off). Deux hommes sont endormis profondément, tous deux adossés à un vieux mur branlant, modélisé par une structure en carton représentant la construction. Ce mur se trouve juste devant le drap, de façon à ce que les spectateurs n'aperçoivent pas le décor.

L'un rêve des lieux calmes de son cher monastère qui lui manque ardemment.
L'autre ne rêve que de ripailles, d'agapes, de banquets, et de festins plantureux ; de bonne chère, de vins capiteux, et de jolis brins de personnes appartenant à la délicate gente féminine....
L'un est fin, élancé ; il respire doucement.
L'autre - autant ne point se voiler la face - se trouve être gros et gras comme un cochon et il ronfle si fort que le pauvre mur, illustre vétéran résistant encore et toujours bravement à la redoutable morsure du temps, menace de s'effondrer d'un instant à l'autre.
L'un se nomme Lin.
L'autre se nomme Jing.
Soudainement de forts vivats et ovations se font entendre. Lin s'éveille alors brusquement et regarde partout autour de lui.

Lin : Par les sept étoiles du yang, quel est ce bruit affolant ?

Jing, par la voix de son compagnon, se réveille alors en maugréant. Son visage est horrible à voir : déformé par un excès de boisson la veille, on en déduit bien comme qui dirait qu'il s'est envoyé lui-même à bras ouverts dans les vignes du Seigneur.

Jing, d'une voix empâtée par l'alcool : Oh bah moi ch'ai pas, mais en tout cas mon vieux, ça m'a tout l'air d'une sacrée foule en colère... Et Boudha seul sait qu'une foule en colère c'est pas tout à fait net...ni vraiment clair et....

Lin le coupe brusquement dans sa tirade.

Lin : Hum oui, à moi aussi ça m'en a tout l'air. Mais ce n'est pas ça qui va nous faire rebrousser le chemin, n'est-ce pas mon cher Jing ? Hé hé hé, en avant toute !

Il se lève, baille, s'étire, puis saute soudainement en l'air, pour retomber en pleine forme par terre. Tout guilleret, le voilà qu'il s'exclame !

Lin : Ah, cette bonne nuit de sommeil m'a fait le plus grand bien ! Je me sens même capable de soulever des montagnes à mains nues mon cher Jing ! Et toi alors, espèce de mollusque ? En forme ? Peuh, je serais prêt à parier cent yens que tu ne t'es pas remis de ta beuverie d'hier.

Jing, d'une voix curieusement forte : Ah crois-moi sur parole mon très cher Lin, tu as bien tort !
Il lâche un grand rire joyeux.
Oui, moi aussi je suis en pleine forme, et par la vésicule biliaire du grand Boudha, je suis prêt à te le démontrer maintenant tout de suite !

Il se lève à son tour mais il chancelle et titube, puis passe derrière le vieux mur. Nous pouvons ensuite l'entendre nettement vomir.
Lin lâche un petit sourire et attend patiemment son ami. Celui-ci revient quelques minutes après, en allant cette fois-ci beaucoup mieux. D'un air de fausse gaillardise, il reprend.

Jing : Oh mon ami, cette fois-ci tu n'as rien vu !
Puis il se tourne face à l'auditoire.
Et attention, vous aussi vous n'avez rien vu, hein ! Autrement...

Il esquisse une grimace qui se veut être la plus menaçante possible ; hélas elle n'en est que plus ridicule.

Lin : Allons Jing, arrête tes pitreries ici, et concentrons-nous plutôt sur notre quête. Car je te rappelle que la vie du Grand Shaolin est en jeu, et que nous devons absolument réussir notre mission. Sans quoi...
Sa dernière phrase reste en suspens...
Mais c'est d'une voix forte et enjouée que Lin reprend.
Enfin mettons de côté ces bien sombres pensées, et que l'on y aille ! Parce que je suis tout de même bien curieux de savoir ce qui agite follement cette foule. Une fête locale ?

Il commence alors à s'en aller, mais Jing lui reste sur scène. Une certaine hésitation est gravée sur son visage.
Lin, sentant bien qu'il y a un problème se retourne vers son ami.

Lin, étonné : Bah, mon cher Jing ! Pourquoi diable restes-tu immobile comme cela ? Viens donc mon ami !

Jing, non vraiment rassuré par cette foule bruyante, pressent bien que quelques hostilités iront s'abattre très prochainement sur eux. En fin négociateur - ce qui, du reste, est son plus grand atout - il tente donc de parvenir à un compromis lui permettant d'éviter ces quelques menus soucis...

Jing, hésitant mais essayant d'être le plus convaincant que possible : Ben euh.... Euh...T'es sûr ?
Hochement de tête de la part de son compagnon
Bah euh... Sûr de sûr ?
Nouvel hochement de tête
Vraiment sûr de sûr ?
Lin hoche à nouveau, mais cette fois-ci une expression agacée apparaît sur son visage.
Plus que sûr de sûr ?
Silence éloquent. Jing pousse un soupir de résignation.
Bon, très bien, mais pas de précipitation brusque hein ? Nous sommes tout de même d'accord là-dessus n'est-ce pas ?
Parce que d'un, c'est mauvais pour la santé – boh évidemment ça c'est bien connu eh eh – et puis de deux, eh ben euh... Ah oui, eh bien justement, figure-toi qu'un jour le frère Qi nous enseigna près de la fontaine du monastère cette maxime suivante « rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Alors dans ce cas mon vieux, il m'est avis que nous devons...

Mais Lin n'a pas attendu le reste de sa réplique pour partir, et déjà il disparaît derrière le drap côté cour
Jing regarde l'assemblée, le découragement apparaissant son visage. Dépité, il frappe alors le mur avec son pied, provoquant par là même l'effondrement du mur, modélisée sur scène par la chute de la structure. Mais, hélas pour lui, son pied gauche en a fait les frais aussi... C'est donc en hurlant et en traitant de tous les noms ce pauvre vieux mur innocent qu'il saute à cloche pied, tenant son pied gauche dans ses mains....
Plusieurs fois il fait le tour de la scène, puis disparaît finalement derrière le drap, rejoignant Lin.
Un court laps de temps se marque.
Puis du côté cour surgit brusquement un vieux chinois. Portant le lourd poids du temps sur ses épaules, il avance courbé avec difficulté, s'appuyant sur un frêle bâton menaçant de se craquer à chaque instant. Voilà qu'il arrive alors devant les vestiges du mur.

Vieux chinois, touché au fond de son âme par la destruction du noble mur : Allons, n'a-t-on aucunement ce mordant sentiment qu'est la honte lorsque l'on voit une chose pareille ? Un vestige de notre glorieuse civilisation ; une vénérable structure, dernière empreinte sur terre d'un de ces fameux bâtiments qui autrefois faisaient le faste de notre empire et la fierté de nos talentueux bâtisseurs ; un témoin muet mais ô combien révélateur de ces grandes années désormais passées auprès des nouvelles générations ; l'un des derniers représentants de l'ancienne suprématie architecturale de l'Empire Céleste hélas à jamais perdu : ce glorieux monument détruit et jeté honteusement à terre ! Ah, que je sois maudit si je ne puis rien faire !

Il reste alors pensif durant quelques instants, réfléchissant à un moyen de sauver le mur. Un éclair de génie le traverse soudainement, semblable à celui qui avait saisi en un temps lointain et en un lieu éloigné presque oubliés de tous le docte et savant Archimède, tandis qu'il prenait son bain... Eûreka, eurêka, crie silencieusement le visage tout illuminé et radieux du vieillard !

Vieillard, joyeux : Mais oui, la voilà la solution ! Je vais prendre ce mur et le porter à un de mes amis maçon de profession ! Lui au moins, doué comme il est, saura rendre à cette altière structure son ancienne vigueur, son ancienne splendeur !
Oui, la voilà l'idée du siècle, et qu'importe si je suis aussi vieux que le Temps lui-même ! Grâce à l'élixir de jeunesse que m'a fourni ce brave apothicaire, je possèderai de nouveau ma vigueur d'antan, et accomplirai maints prodiges, à commencer par soulever ce mur imposant !

Joignant alors l'acte à la parole, il sort d'une petite besace une fiole de verre, contenant un étrange liquide lui-même verdâtre. Peu engageant à boire, le vieil homme sent bien que la mixture n'aura pas très bon goût. Il a ouvert la fiole, et a senti l'odeur repoussante. Mais le devoir appelle le devoir....
En se bouchant le nez, il avale l'élixir entier, puis il rebouche la fiole et la range délicatement dans sa besace.
Soudainement, sans aucun signe avant-coureur, le vieil homme se cambre puis saute en l'air en poussant un rugissement sauvage retentissant, ainsi que le fit jadis le guerrier d'un certain peuple gaulois...
Il retombe finalement à terre complètement transfiguré, et il lâche un immense rire.

Vieillard, qui littéralement « pète la forme » : Ah ah, me voilà aussi fort et vigoureux que le jeune saule plongeant ses racines dans les eaux fortifiantes du Fleuve Jaune. Attelons-nous maintenant à notre tâche dictée par le devoir d'un bon et respectueux citoyen de l'Empire Céleste. Allons !

Il retrousse ses manches et se met au travail. Il soulève très facilement la structure en carton et quitte la scène, pour disparaître à gauche du drap. Quelques secondes après avoir passé le drap, le vieillard s'effondre et pousse un long cri d'agonie en direction de l'auditoire. Il décède dans d'atroces souffrances.
Par la suite plusieurs personnages, sous forme de marottes apparaissent dans le trou du drap-décor. Il s'agit d'un petit groupe de manifestants décidément bien mécontents. Leur disposition est la suivante : à gauche, la marotte du premier manifestant, qui de par sa position, dominera les autres. Plus en retrait et vers la droite, seront présent les autres manifestants, au nombre de quatre. Il est aussi à noter qu'un sixième manifestant sera présent, mais apparaîtra et interviendra à la fin de la scène. En chœur, ils scandent différents slogans que nous parvenons à saisir. Tous insistent particulièrement sur le mot « riz » ...

Premier slogan : Du riz, on veut du riz, à bas Basmati et toujours plus de riz !

Deuxième slogan : Riz-cannez bien dans vos palais, riz-paillez bien sur vos banquettes, mais bientôt ce seront nous qui vous riz-rons au nez.

Troisième slogan : Oui, ce sont nos vaches qui riz-ront lorsque vous serez la riz-sée du pays !

Si au départ, les slogans se suivent, une fois qu'ils ont tous été criés ils sont de nouveau scandés mais cette fois-ci tous ensemble : une véritable cacophonie !
Au milieu de ce remue-ménage assourdissant, Lin et Jing débarquent un peu déboussolés par ce qui se passe autour d'eux. Lin essaie alors de comprendre le comment et le pourquoi de la situation, et donc se dirige vers les marottes...

Jing, très inquiet par la situation après avoir regardé tout autour de lui : Par ma foi Lin, je pressens bien que tout cela va mal tourner. Oui, il me semble déjà entendre les chicots pourris de la garde impérial trembler sous l'effet d'une marche commando... M'est avis qu'ça va faire boum très prochainement, il nous faut donc partir vite fait bien fait du beau bazar se profilant à l'horizon !

Lin, d'un ton brusque et autoritaire : Ah non, pas avant de savoir ce qui se passe ici-même Jing, sommes-nous d'accord ? Si tu tiens vraiment à ta petite bedaine, eh bien tant pis pour toi, ce sera pour elle l'occasion de se dégonfler puisque son propriétaire est un vrai dégonflé.

Jing, de mauvaise grâce : Très bien très bien, je te prouverais que le vieux Jing possède encore fierté, honneur, et bravoure, même si je ne suis en vérité qu'un simple et pauvre tripaillon de moine bouddhiste, forcé lui-même à servir un shaolin pour la simple et bonne raison que ses fautes méritent châtiment. "Aux grands mots les grands remèdes" qu'ils ont dit... Mon oeil.
Il marque un temps de pause, puis reprend avec mauvaise foi.
Ses fautes, peuh ! Étais-je vraiment en faute lorsque l'on m'a surpris en train de festoyer durant le jeûne mensuel en compagnie de plusieurs membres de la délicate mais non moins agréable gente féminine à qui, « paraît-il », je contais gentiment fleurette ? Alors que pourtant je ne faisais qu'obéir à mon très saint ministère ! Car je n'étais après tout qu'en train de prêcher l'enseignement du Bouddha à de si douces créatures qui en avaient tant besoin !
Mais non, bien entendu il a fallu que ces vieux bonzes du Haut Conseil remettent ma parole en doute.... Bien entendu on a puni le pauvre Jing en lui faisant prêter serment sur la tête de Bouddha d'accompagner et de protéger un jeune shaolin.
Et bien entendu, il ne peut rompre son serment, car le parjurer reviendrait à perdre son honneur... Ah, misère de misère, pauvre homme que je suis...
Un temps se marque à nouveau. Jing semble réfléchir. Soudainement, il se redresse et crie d'une voix forte.
Enfin qu'ils aillent se faire voir là où je le pense ces foutues vieilles peaux de bourricots ; moi au moins je suis loin de ces puritains, et que l'orteil gauche de Bouddha soit loué, tu es bougrement plus sympathique Lin que ces affreuses têtes d'hiboux.
Mais sache néanmoins que je demanderais réparation pour toutes ces dangereuses mésaventures, ah ! Alors ? À combien estimes-tu ce dédommagement ?

Lin, soupirant de mauvaise grâce : Un godet de baiju dans le tripot du coin conviendrait-il au moine taoïste glouton Jing Sankhara ?

Jing, soudain tout joyeux : Mais bien sûr que cela me convient ! Ah ah, j'ai toujours su que t'étais un chic type Lin, et m'est avis que...

Lin, agacé : Oui oui c'est bon, épargne-moi ton baratin Jing le veux-tu ?

À contrecœur ce dernier hoche la tête.

Lin, satisfait : Bien, et maintenant renseignons-nous sur cette étrange agitation.

Il s'approche alors du premier manifestant, qui semble être l'instigateur de ce mouvement contestataire. Cet homme, ou plutôt ce fauteur de trouble, est le parfait exemple de l'illuminé par excellence, croyant passionnément dans la justesse de la cause pour laquelle il se bat.

Lin, d'un beau sourire : Holà mon brave ! Pourquoi donc vous et vos compagnons de fortune vous trémoussez-vous et hurlez dans tous les sens ?

Premier manifestant, plus que surpris : Comment ? Ne connaissez-vous donc point la nouvelle ? Ah ça par alors, d'où venez -vous camarades ? N'êtes-vous donc point au courant ?

Lin : Hélas non, nous ne savons pas ce qui se passe ici, ni même quelle en est la cause !

Premier manifestant, s'exclamant : Eh bien dans cas, apprenez camarades que le grand jour est enfin arrivé !
Il lâche un bref rire glaçant, presque mégalomaniaque, puis il poursuit d'un ton sauvage, illuminé, fanatique, criant et postillonnant abondamment sur Lin et Jing. Une bête !
Oui la Glorieuse Révolution est en marche ! Fini Basmati et ses riz-bambelle de taxes écrasantes ! Au feu, au bûcher, à mort les larves corrompus qui saignent à blanc le peuple et manipule notre jeune empereur !
Et à nous le monopole du riz ! Oui du riz et du riz, encore du riz, toujours plus de riz ! Ils n'auront plus le monopole du riz, à nous celui-ci et à eux les riz-sques et pé-riz-l ! Ils nous affament en récupérant la majeure partie des récoltes, eh bien aujourd'hui, demain, ou après-demain nous riz-boterons de leur sang dans un bon bol de riz !

La foule salut et ovationne bruyamment cette déclaration tandis que Lin fronce les yeux face à cette étrange réponse

Jing, agacé de ces cris intempestifs et voulant quitter au plus vite le coin : Par les sept boutons d'acné sacrés du jeune Boudha, ils commencent fichtrement à me taper sur les nerfs avec leur « riz » hurlé à tout bout de champ.

Premier manifestant, furieux de cette insulte à son glorieux projet : Silence chien galeux, ne profère pas de telles abominations en ce lieu ! Car ici se trouve être le point d'origine glorieux de notre Glorieuse Révolution.
Nous luttons pour le riz, et nous aurons ce même riz quel qu'en soit le p-riz. Vive la Glorieuse Révolution !

Tous les manifestants répètent alors en chœur « Vive la Glorieuse Révolution ! » plusieurs fois. L'un d'eux, simplet, se détache de la cohorte, pour ensuite s'approcher du premier manifestant.

Deuxième manifestant, d'une voix fluette : Mais ô grand manitou suprême, pourquoi nous battre pour du riz ? Nous en avons pourtant du riz, et en dépit des taxes des Grands de l'Empire, notre production reste suffisante, et...

Premier manifestant, le coupant passablement agacé : Parce que ce n'est pas notre riz, espèce de rhizome croquignolesque à la galette de riz ! Par définition, tout le riz de Chine est le riz de l'Empereur, et ça tu le sais bien. Par conséquent celui-ci et ses laquais peuvent en disposer à leur bon vouloir. Mais songe que si nous possédons notre propre riz, alors nous en aurons enfin à volonté, et nul ne pourra le prendre sans notre consentement. Tu intègres ça dans ta misérable petite caboche ?

Deuxième manifestant, après un long temps de réflexion : Non.

Premier manifestant, en colère : Raaah, mille milliards de mille millions de mille grains de riz, tu le fais exprès ? Mais parbleu, c'est parfaitement logique non ? Ah, que le dragon du Rock m'emporte dans les neufs cercles de l'enfer si je ne te fais pas donner la bastonnade !
Il pousse un soupir de rage contrôlé, puis reprend ses explications à une vitesse folle, perdant par cela et l'attention de Lin et celui des spectateurs.
Bon, pour faire simple nous avons du riz que nous ne possédons pas. Ainsi, nous nous trouvons dans le besoin d'avoir de nouveaux plants de riz, afin que nous puissions avoir notre propre riz et non pas un riz qui s'étend à nos pieds et qui n'est pas du riz à nous comme devrait l'être n'importe quel grain de riz. Compris ? Tu me suis ?

Deuxième manifestant, toujours un peu hésitant : Euh, compris, ça fait beaucoup de "i" mais... Pourquoi avons-nous besoin de d'autres quantités de riz afin d'avoir notre propre riz ? Parce justement, nous l'avons déjà ce riz, il suffit juste d'en produire et...

Un silence écrasant règne. D'une voix de plus en plus petite et hésitante, le deuxième manifestant reprend.

Deuxième manifestant : Et nous pouvons en faire pousser d'autre pour ensuite le dissimuler, et donc le garder pour nous, et...

Complètement écrasé par le silence, il s'arrête. Le premier manifestant ne sait pas quoi répondre, abasourdi par un raisonnement auquel il n'avait jamais pensé. Pendant ce temps-là Jing glisse une remarque innocente en aparté au public.

Jing, sur un ton confidentiel en aparté au public : Eh bien mes amis, je crois qu'avec ces gars-là, le célèbre proverbe suivant se vérifie : « Il n'y a rien de plus conséquent qu'une logique inconséquente » ...

Premier manifestant, d'abord hésitant puis rugissant de rage du fait de son incapacité à répondre : Euh... Bah... Euh... Oh, et puis par mille milliards de feu céleste, tu commences à me taper sur les nerfs, misérable ! Hors de ma vue cloporte roulant sur patte !

Le deuxième manifestant s'enfuit paniqué en poussant des cris étouffés.

Premier manifestant : Excusez-moi compagnons, mais je vous prie de rester avec nous, car après avoir harangué nos vaillants camarades de la Glorieuse Révolution, j'aurais à vous parler.

Lin, aimable : C'est d'accord camarade.

Jing, méfiant : Mouais, disons plutôt que nous sommes à peu près d'accord.

Premier manifestant, guilleret : Excellent, excellent, camarades de la Glorieuse Révolution...

Puis se tournant vers la foule toujours agitée.

Premier manifestant : MESSIEURS ! Un peu de calme s'il vous plaît, nous ne sommes après tout aucunement de misérables gueux braillant comme de vulgaires gorets que l'on égorgerait.
Il attend que l'agitation de la foule prenne fin. Une fois cela fait, il reprend.
Le calme est présent ?
Ah non, je vous vois Ping. Oui mon petit Ping, ou Pong si vous préférez (la marotte concernée a fait un geste agacé), ne faites pas l'innocent avec moi, je vous vois très bien, hein !
Comme à votre habitude on joue au petit malin, n'est-ce pas ? On s'amuse bien à jouer le trouble-fête ?
Il marque une pause puis reprend sur un ton aussi sec qu'un vieux pruneau.
Allez-vous placer devant moi.
Le dénommé Pin/Pong ne semble pas obéir. Le premier manifestant reprend alors sur le même ton, cependant teinté cette fois-ci d'un petit éclat de colère.
Allez-vous placer devant moi.
La mort dans l'âme, Ping Pong se déplace et se place devant l'orateur. Celui-ci pousse un soupir d'aise puis revient soudainement à son état originel.
Et la chose vaut aussi pour vous Soja ! Fermez votre clapet ou moulez-là, à votre guise, mais n'allez surtout pas déranger votre voisin !
Et puis vous Bimtitti ! Encore vous ? Mais mille dieux Bimtitti, on ne mord pas ses petits camarades enfin !
Allez hein ! Ah ça suffit, pas de tergiversations hein, vous vous placez devant moi, et c'est tout ! Allez, au pas camarade Bimtitti ! Au pas au pas, au pas, au pas, au pas.... Voilà.
La marotte de Bimtitti se déplace en fonction des indications du premier manifestant.
Tout est bon ? Parfait.
Il s'éclaircit la gorge
MESSIEURS ! La seconde de la minute de l'heure du grand jour du mois de l'an est enfin arrivée ! Oui, c'est aujourd'hui que nous entamons notre croisade de libération ! Sous la bannière du Grain de Riz, nous briserons le joug des puissants ! Car il est écrit dès maintenant dans le ciel « Au nom du glorieux et tout puissant Grain de riz, tu t'élèveras pour reprendre les rênes de ce monde en son saint nom ».
Et pour cela, pour nous élever, il faut abaisser la grandeur des raclures qui nous servent de dirigeants ! Oui mes enfants, tel est le commandement du Très Haut. Car sachez que j'ai plongé les mains en eaux troubles, et que lorsque que je les ai retirées, la vérité m'a enfin été révélée ! Les premiers seront les derniers et les derniers les premiers, les riches seront les pauvres et les pauvres les riches, la victime sera le bourreau, et le bourreau la victime, le rassasié sera l'affamé et l'affamé le rassasié !
D'immenses hourras et clameurs jaillissent de la foule en proie à une excitation et une folie quasi meurtrière.
Mais encore faut-il, avant de se débarrasser des puissants, éliminer les plus faibles, se débarrasser de ces valets qui ne sont que les serviles pantins de leurs maîtres corrompus. Et le saviez-vous mes très chers enfants ? Le saviez-vous que par la toute-puissante volonté de notre saint et vénéré Grain de Riz, deux des fourbes laquais du misérable ministre des finances et de la police Tching-Tcheng Basmati ont été retrouvés ici-même ?
Et en l'occurrence, sachez que ces effroyables démons se trouvent être les deux hommes que voici !

La marotte du troisième manifestant se penche vers Lin et Jing. Ces derniers poussent alors des « oh » à la fois de stupeur et de d'indignation.
La foule crie alors et répète inlassablement : « à mort ».

Premier manifestant : Oui à mort camarades, à mort les suppôts de Basmati et de toute sa clique.
Puis hurlant de toutes ses forces.
Lynchage !

Alors que la foule commence à se jeter sur les deux malheureux moines, un manifestant hystérique intervient, interrompant le mouvement meurtrier de la foule.

Troisième manifestant, totalement paniqué : Alerte, alerte, la garde impériale arrive, la garde impériale est là ! Armée jusqu'aux dents, et prête à tous nous massacrer. Fuyez pauvres fous !

Et se produit ainsi une véritable débandade, même les cris forcenés du premier manifestant ne parviennent pas à faire régner l'ordre. Profitant du chaos, Lin et Jing s'enfuient rapidement.

Fin de la scène. Le maître chanteur arrive alors et lance le chant Qui veut chasser une migraine avec l'auditoire. Pendant ce temps-là, les gars des coulisses changent les décors

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