I - Au-delà du vide - 5/9

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 La tempête vient, le ciel est menaçant, des cumulus géants s'érigent en maelström, au loin la lumière prend la teinte du déluge. Ici, c'est encore calme, le dirigeable semble perdu dans la quiétude de l'immensité, arrimé à son rocher. L'Escapade, profite d'un subsistant et presque anormal paradis. Ce crépuscule paisible et dorée au nord, tandis qu'au sud, l'enfer fait face. Quelques éclairs muets révèlent des gargouilles fantasmagoriques dans les masses nuageuses suintantes. Les nuages de l'apocalypse, noirs comme l'encre, porteur de mort céleste et de la résurrection des terres arides galopent. Les terres du sud vont subir la mousson. Contrairement aux fermiers troglodytes du désert, nos amis ne peuvent s'abriter sous la terre. L'atmosphère à bord est électrique.

 " Les petites avaries de la chaudière sont réglées, mais le compresseur est mort, donc les mitrailleurses pneumatiques sont hors d'usage. Il reste quelques cartouches à gaz pour les semi-automatiques et les bonnes vielles munitions à poudre, mais c'est tout, énonce Marius, ancien membre du magistère de mécanique.

 — C'est fâcheux... réponds un voyageur laconique, sa voix grave et pensive traînant quelques secondes puis il poursuit :

 — Nous devons partir au plus vite, ne perdons pas de temps avec le compresseur pour le moment. Si combat face aux soldats de la régence il y a, nous n'aurons aucune chance, nous devons nous hâter de partir. Il y a t'il d'autres problèmes empêchant la navigation ? "

 Alors un jeune homme surgit d'une des coursives et déboule dans le château arrière. Habillé d'un bleu de travail, son visage est noir de suie. Il s'adresse à Marius.

 " Je viens de finir l'inspection chef, le vaisseau est une véritable passoire, on a inspecté et calfeutré avec de l'étoupe, mais si il pleut, on sera rapidement tous au courant, dehors comme dedans !

 — Il y a des blessés ? questionne une Élia le nez fourré dans les planisphères, rivée à son compas.

 — Je remonte de l'infirmerie, il y en a deux, Simon le canonnier, il a bien failli tombé quand sa nacelle a explosé, mais sa corde de vie la retenu. Il est salement amoché. L'autre est un gosse du village, il souffre d'une sale brûlure à la jambe, une gaine de vapeur percée par les tirs en est la cause. Il y a quelques bobos dans l'équipage, mais rien d'immobilisant, ces autres-là restant opérationnels. "

Quelques bobos, le voyageur se remémore alors les quelques personnes qu'il a croisé le visage en sang, l'arcade sourcilière fendu, les pommettes tuméfiées, les doigts cassé ; et ce dit qu'en terme de mercenaires, le « bobo » est relatif. Le voyageur réitère alors sa question, quelque peu agacé par son éludement factuel :

 " Jeune homme, l'aérostat est-il en capacité de partir derechef ?

 — On ne se connaît pas encore, je m'appelle Joe, artisant-mécanicien, assistant opérateur et membre du génie de l'Escapade, les moteurs tournent monsieur. Je dirais qu'on peut partir de suite, mais je ne garantis pas un pépin avec tous ces dégâts. Un radiateur qui fuit et la surchauffe flinguera la mécanique, répond t-il.

 — Joe est aussi mes bras et mes jambes dans la vieillesse, et je suis là pour lui transmettre l'expérience. Nous pouvons partir, mais j'ajoute à ce qu'a dit mon apprenti qu'il faut mieux nous laisser inspecter constamment le moteur durant le trajet et nous décharger des autres taches, afin de prévenir toutes avaries irrémédiables, explique Marius.

— Accordé, monsieur Vaeginjar, conclut Élia. Notre client à raison, nous partons dans 7 minutes, transmettez l'ordre s'il vous plaît. Ah, et une dernière chose Joe, dite à Halba d'utiliser l'ambroisie sur le jeune blessé et une dilution pour Simon. Ce gosse n'a pas à subir une vie d'estropié de notre faute. "

 Joe acquiesce, étonné, mais heureux d'avoir une capitaine si magnanime. L'ambroisie guérit presque tout, mais coûte une véritable fortune et ne s'obtient qu'au terme de longs et périlleux voyages. Il sert généralement là où la médecine usuelle s'arrête, il ne sert que pour les vies les plus précieuses. Quand le kidnappé à l'impolitesse de s'abîmer sévèrement lors de son enlèvement, une petite dose permet de le mettre promptement dans un état "rançonable". Un proche en bon état et un proche qui se négocie plus cher. Son usage sur un quidam lambda, pour lui assurer une vie sans infirmité est plus que généreux.

 Les ténèbres approchant depuis le sud invitent l'équipage à ne pas prendre de retard sur le départ. Pressé par le temps, on pousse dans l'abîme l'excès — heureusement minime — de butin ; n'ayant ni la place pour le charger, ni le temps de l'enterrer. Les survivants du train sont regroupés dans le tunnel avec un peu d'eau et de vivre, pour tenir jusqu'aux secours. Ils sont ensuite menés puis enfermés dans les coursives latérales du tunnel : ils pourraient, à l'air libre, faire comprendre la situation aux aérostiers de leur faction. Les avions d'inspections passeront fissa sans pouvoir explorer le tunnel ; il faudra ensuite des jours aux survivants pour espérer rejoindre la civilisation lointaine, au-delà des immenses landes minérales.

***

 Les jumelles, en tenue de vigie, entrent dans la pièce, l'une d'elles prend la parole :

 " Capitaine, un vaisseau sans pavillons nous fait signe en morse avec leurs photophores.

 — Que disent-ils donc ? "

 L'autre jumelle dicte le message :

 « On a tout vu, nous somme les maîtres chanteurs, les colporteurs de nouvelles, les musiciens du ciel. Nous pouvons vous aider, nous sommes la multitude et signons de notre nom : Les Rossignols. »

***

Les rossignols, ils ne manquait plus que ces saltimbanques, c'est bien ma veine... pense en premier lieu le voyageur, la moue que fait Élia à cette annonce suggère un avis similaire à celui de son commanditaire. Un dialogue s'annonce sur l'Escapade avec les appareils optiques de communications, mais il faut préalablement, changer quelques ampoules et catadioptres, brisés lors de l'assaut.

 À bord, on craint un piège presque autant que cette tempête ltalonnante. De phrases en question transmises, la terreur se dissipe. Le voyageur transmet au standardiste une étrange question, il demande leur vrai nom. La réponse ne tarde pas :

 " Près du mont lointain chantent une compagnie de joyeux lurons. Leur musique est un murmure. La mélodie est une armure. C'est une ballade de trompettes, une litanie de violons, un tumulte de tubas. La contrebasse est notre maître d'orchestre, l'orage, notre inspiration, le ciel, une partition, et l'équipage une percussion. Nous sommes des mélomanes virtuoses, bannis, car nos notes étaient honnies des académies étatiques, désormais anonymes, nous jouons pour forbans et nuages à bord du Flûtard. "

 Alors que les doigts et l'esprit de l'opérateur fument presque sous l'effort de rapidité et de complexité pour cette transcription, le voyageur qui lit les lignes surgissant de la biduleuse automatique à écritoire l'affirme :

 " Ils ne mentent pas sur qui ils sont ; il ne s'agit ni d'agents impériaux, ni d'une force de la régence. Je conseille de les écouter.

 — Ils voudront une part du butin, je crois que l'équipage ne sera pas enchanté, Élia fait part de ses doutes.

 — On aura l'air fin une fois mort avec tout notre or, je vais m'occuper de convaincre nos béotiens, Capitaine Élia, avec votre permission... rétorque Marius, figure de respectabilité. "

 Le visage de Joe surgit du poste télégraphique :

 " Bon, et moi je leur réponds quoi au final ? Ils trépignent d'impatience en face, ils viennent de me contacter sur ondes courtes, à bout de patience d'attendre la réponse au photophore qu'ils me disent. "

 On entend effectivement un morse binaire, sans codages, mais démontrant bien le désire d'une réponse rapide.

 " Je suis le commanditaire, il semble que c'est à moi de décider... 20 %, transmettez Joe, mais avant cela, avez-vous une objection Élia ?

 Cette dernière blêmit, mais ne répond pas. Elle finit pas acquieser, elle n'a pas la force de parler ; c'est la somme adéquate, donner moins serait offensant. Joe s'affaire, et l'opérateur double la demande au photophore.

 J'ai une réponse, s'exclame Joe.

 "Pour ceux qui s'attaquent à la régence, 10 % suffira."

 Élia semble retrouver des couleurs sur ses joues ridées. Joe reprend la parole :

 " Ils ajoutent ceci : «Suivez-nous à l'Est, c'est la seule solution, ne chercher pas à distancer la tempête vers le nord, c'est sans espoir. » "

 Cette réponse laisse toute la pièce dans la torpeur, puis Élia, fixant le vide ordonne d'une voix monotone et détachée :

 — Halba, prévenez l'équipage de la manœuvre, Marius, vous pouvez expliquer ce négoce de 10 % à l'équipage."

 La capitaine sort alors à la balustrade du château arrière, elle disparaît dans le cadre de la porte et les ténèbres du ciel. Une lumière nocturne et sélénite subsiste, mais au sud, face à elle, de l'encre semble se diffuser dans les tumultes cotonneux.

***

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