Refus et questionnement

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Le chevalier reprend son souffle et se met en tête de partir sur le champ. D’un bond, il se lève pour impressionner son audience. Hélas ! Il ne se souvient pas de la présence de cette grosse branche située un peu plus haut sur le tronc contre lequel il est adossé. Le coup sec sur son crâne fait vibrer ses tempes et ouvrir sa mandibule beaucoup plus largement que d’ordinaire. « CRAC ! ». Aussitôt, une plainte gutturale sort de son goulot. « OUAÏE ! » Malgré cette déroute, il s’est maintenu debout et titube vers sa jument, prêt à fuir au plus vite à califourchon, toute mâchoire béante qu’il ait. Elle s’y oppose. À la une, à la deux et à la trois, elle effectue une surprenante ruade latérale droite qui repousse le cavalier contre le tronc en un « BING ! » et le fait se rasseoir en un « BANG ! » puis refermer la mandibule en un « TCHAC ! ». Il est étourdi et endolori, mais ce dernier coup vient de lui remettre les idées en place. « CRÉVINDIOU ! » lâche-t-il dans un soupir de dépit mélangé à de l’agacement. Il toise du regard sa belle partenaire. Quelle carne !

Encore essoufflé après sa fulgurante cascade, il s’adresse au chef de la bande :

« Toi, le renard, que me veux-tu au juste ?

— Chevalier, je souhaite te retenir de commettre le crime de trop.

— C’est mon devoir, j’ai prêté allégeance au roi Armand !

— Ne te rends-tu pas compte que tu répands le mal partout où tu vas ?

— Je ne tue que des vilains ! » répond notre homme… pas très convaincu. « Et puis c’est mon métier… que veux-tu que je fasse d’autre ? » renchérit-il mal à l’aise, tout en essayant de soutenir le regard pénétrant du renard.

En signe de consternation, tous les animaux présents se prennent la tête entre leurs pattes. Les scarabées baissent leurs antennes contre leurs petites caboches de coléoptère. Le hibou petit-duc fait des rotations de cou de droite à gauche de 270 degrés. Son cheval s’ébroue vivement. Le sanglier secoue son groin plein de bave, éclabousse sa voisine la belette, qui éternue à nouveau sur son voisin le rat des champs, qui lui en a assez d’être postillonné. Un des blaireautins en profite pour demander à sa mère ce qu’il se passe exactement, car il ne comprend pas bien. Pendant ce temps, le renard reste impassible et continue de regarder fraternellement l’homme sur le sommet duquel s’est érigée une grosse bosse.

« Pourquoi te soumets-tu à cet ordre s’il ne s’accorde pas avec tes valeurs ? » reprend l’animal.

Cette phrase fait l’effet d’un boomerang dans l’esprit du chevalier. Il y a bien longtemps qu’il ne s’est pas concentré sur ce qu’il aime faire. Cette question le hante et résonne dans sa cavité cérébrale. Le renard poursuit : « Pars à la recherche de ta véritable mission sur cette terre, pars en quête de toi. »

Le cerf blanc doté du pouvoir de guérison - comme chacun ne le sait peut-être pas - en profite pour l’approcher et lui passe la langue sur sa bosse en train de gonfler. Notre homme en ressent aussitôt l’effet relaxant et une chaleur bienfaisante envahit son corps le temps d’un instant suspendu. Il ne peut qu’admettre qu’une énergie incontrôlable l’empêche de partir loin d’ici. Ses neurones tentent alors de rester mobilisés pour continuer à analyser la situation et ne pas perdre la manche. Ils se posent, par contre, tout un tas de questions, la plus importante d’entre elles étant : où sommes-nous ? Et comme ils ne possèdent pas la science infuse, ils émettent plusieurs hypothèses :

Quelque part entre le réel et l’irréel ?

Sur un nuage ?

Une dimension parallèle ?

Dans l’infiniment grand ou petit ?

À des années-lumière ?

En tout cas, ce lieu — le cerveau du chevalier — ne leur évoque rien. La toile de fond s’avère toujours floue quand bien même ils tentent d’en percer les contours. Aucun ton n’apparaît autre que ce blanc de lait, un blanc lumineux imprégné d’un silence intimidant. Il faut se rendre à l'évidence : l’esprit égaré du chevalier est habité par le néant.

En revanche, ce terrifiant vide sidéral fait jaillir en lui une peur profonde. Il est alors brusquement extirpé du néant. « TCHIC, TCHAC, BOUM ! » Pris de spasmes soudains, il est attiré dans un tourbillon venu de nulle part. Il se met à tournoyer de façon accélérée, la tête à la place des pieds, les pieds à la place des bras, les bras à la place des jambes, les jambes entortillées qui lui fouettent le nez. Son corps tout mou paraît en caoutchouc. Ses tympans sifflent. Il ne maîtrise plus rien du tout. Par contre son esprit continue à accumuler des questions et réflexions en tout genre. Elles sont sur le point de déborder et s’empilent ainsi :

Combien de temps va durer cette interminable chute ?

Vais-je m’écrabouiller ?

Est-ce la fin des haricots ?

Si je m’en sors, où pourrais-je aller manger une bonne estouffade (ancêtre du cassoulet) ?

Ai-je réussi ma vie ?

Pourquoi suis-je toujours en vadrouille et jamais chez moi ?

Pourquoi ai-je accepté cette mission ?

Et si j’avais pris à droite dans la forêt, que se serait-il passé ?

N’est-ce pas trop tard de me demander tout ça maintenant ?

OUH ! Si je croise à nouveau ce renard, je lui dirai ce que je pense !

« BIMBADABOUM ! » Il se fracasse donc tel qu’il l’avait imaginé.

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