Pris en otage

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Déstabilisé et impuissant, le chevalier décide alors de s’éloigner un peu de sa bourrique de jument. Il n’a plus qu’à patienter maintenant.

Dépité, il s’assoit au pied d’un beau châtaignier, se déleste de son épée et cherche à comprendre par quel chemin repartir. Il regarde au loin entre les arbres, et essaye de se convaincre que ce doit être tout droit là-bas devant… À vrai dire, il n’en sait plus rien. Il a surtout l’intuition que cette mission est bien mal partie. Il est d'ailleurs si préoccupé qu’il n’entend même pas les chants d’oiseaux qui retentissent de partout en chœur. Il est si anxieux qu’il ne sent même pas la brise légère souffler et se propager jusqu’à ses narines en un subtil méli-mélo de plantes aromatiques : passiflore, verveine, sarriette. Pourtant, il inhale ces substances à plein poumon, mais sans s'en rendre compte. Les hormones végétales, elles, savent ce qu'elles font. D’abord flottant gaiement autour de ses muqueuses, elles finissent par se frayer un chemin le long de leurs sillons. Le mélange de ces molécules odorantes envahit aussitôt son corps et son esprit et... la magie opère tout là-bas à l'intérieur.

Soudain, il remarque qu’on le regarde. Il distingue un nombre incalculable de petites billes de différentes tailles et des battements de paupières en pagaille. Plus étonné qu’inquiet, il se surprend à formuler tout haut : « Est-ce que quelqu’un aurait l’amabilité de m’aider à trouver mon chemin ? » Il tend l’oreille. Aucune réponse, évidemment. « HA HA HA ! » Il s’esclaffe tout seul. S’attendait-il à un miracle ? Ce ne sont que des animaux et, c’est bien connu, les bêtes sauvages ne parlent pas. Sa confusion commencerait-elle à le rendre fou ?

Une chose est sûre, il devrait se remettre en selle. Il jette un coup d’œil à sa jument. Toujours coincée dans son coin, son expression est cependant moins boudeuse qu'avant. La vue de ses semblables semble la réjouir.

Pendant ce temps, la harde d’yeux s’est rapprochée de notre chevalier et l'encercle. Il a l’impression d’être dans une de ces histoires que l’on raconte aux enfants avant de s’endormir où tout est merveilleux mais il se méfie quand même, car il y a toujours un méchant sur le point de débarquer.

Il les regarde tous et admire leurs pelages brillants, leurs plumes soyeuses, leurs fourrures chatoyantes, leurs vives couleurs, et surtout leurs yeux si expressifs et aimants. Il se sent alors submergé d’une émotion qu’il n’a jamais ressentie auparavant. Une sorte de grâce mêlée à une appréhension. La prestance d’un flamboyant renard se détache du lot. Il s’avance vers le brave et lui dit :

« Que cherches-tu, humain ?

— Ma route, répond le cavalier happé par le timbre profond de la voix de l’animal.

— Où te diriges-tu ?

Le chevalier se remémore l’objectif de sa mission et, pas très fier de lui, tente de chasser de son esprit les images de meurtre qui l’assaillent.

— Que penses-tu de ta mission, chevalier ? »

À ces mots, il comprend que le renard lit dans ses pensées. Il ne sait que répondre, balbutie quelques sons inaudibles puis se tait. En silence, l’animal l’accompagne de son regard bienveillant, bien qu’un peu troublant, à savoir, à mi-chemin entre la bonté et la malice. Bref, un regard du genre anesthésiant, donc pour éviter de s’y engouffrer, notre homme détourne les yeux vers ses nombreux compères : le sanglier noir, le cerf blanc, la belette bleue, le campagnol des champs, les scarabées, la blairelle et ses blaireautins et le hibou petit-duc.

En leur présence, il remarque que sa jument lui paraît bien plus chevaline que d’habitude. Elle a d'ailleurs réussi à se lever et la voilà qui s’approche, fière et rayonnante, comme si de rien n'était. Sa crinière blonde ondule sous les rayons du soleil et ses longues dents scintillent et l’éblouissent. Il perçoit en fait, pour la première fois, la beauté évidente des êtres qui l’entourent et observe la magnificence de la nature toute puissante.

Enrhumée, la belette bleue éternue et interrompt sa contemplation. C'est alors qu'un bref éclair de lucidité traverse la brume de son esprit. Il se frotte les yeux et non, il ne rêve pas. Aucun doute là dessus, il est bien cerné au milieu de cette forêt mystérieuse. Il pencherait même pour « retenu en otage par une légion de bestioles possédées par on ne sait quel pouvoir surnaturel qui leur donne la faculté de parler comme les hommes conversent » !

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