Cléanthe et le chemin tortueux

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Cléanthe était une jeune bergère dont les journées étaient rythmées par ses brebis et le travail à la ferme. Elle vivait seule ce qui, pour son époque, relevait de l’exploit. Cette vie en solitaire lui valait de nombreux regards désapprobateurs et était sujette à de nombreuses rumeurs. Certains l’accusaient d’être une sorcière, d’autres une femme de peu de vertu. Toutes ces accusations étaient évidemment infondées, mais les rumeurs étaient régulièrement alimentées, tant et si bien que Cléanthe avait pris la décision de vivre à l’écart du bourg afin d’éviter de croiser les regards des habitants et d’entendre les ragots. Cela, bien que lui valant une certaine tranquillité n’avait fait qu’accentuer les jugements que les gens du bourg portaient à son sujet.

Une fois par semaine néanmoins, elle se rendait dans la ville la plus proche où les rumeurs n’étaient pas encore parvenues afin d’y vendre ses fromages. Ce marché était reconnu et très fréquenté, il était très rare que Cléanthe en revienne avec des invendus, et elle en tirait un grand bénéfice financier. Le seul problème de ce marché venait du chemin qui permettait d’y accéder. Cette route était bien connue et son surnom était révélateur de ce qu’elle était : « la route mouvante ». Il était toujours un peu risqué d’emprunter cette route car, étant mobile, vous pouviez parfaitement parcourir seulement quelques kilomètres pour vous rendre à la ville ou bien devoir usait vos chausses le long d’un sentier tortueux plein de détours allongeant le trajet.

Afin d’éviter d’arriver en retard, la bergère partait toujours très tôt, avant même le lever du Soleil. Malgré les mouvements de ce chemin, Cléanthe aimait à l’emprunter car elle y était souvent seule, sans aucun autre bruit que ceux que la nature lui offrait à entendre. Certes elle atteignait parfois le marché fatiguée et les jambes usées mais elle trouvait toujours quelque chose pour s’émerveiller. Quand le marché prenait fin, elle remballait ses affaires et rentrait chez elle en empruntant la même route qui, souvent, avait déjà bougé.

Un soir, alors qu’elle retournait chez elle, elle trébucha sur une pierre qui dépassait à peine du sol. Sa robe était déchirée au niveau de son genou qui saignait légèrement et cela l’irritait quelque peu, elle devrait la recoudre ce qui lui ajoutait du travail. En se relevant, elle remarqua la pierre qui l’avait faite tomber, cette pierre était d’un bleu turquoise magnifique.

Elle n’avait jamais vu de pierre aussi belle. Elle se dirigea vers celle-ci et tenta de l’arracher du sol, en vain. Elle tira un peu plus fort et c’est alors qu’elle entendit un léger cri de douleur.

« Qui est là ? Qui donc se plaint de douleur ? »

Aucune réponse ne venant à son oreille, elle tenta à nouveau de détacher la pierre, et le même cri se fit entendre. Cléanthe chercha à nouveau à savoir qui était ici présent et cette fois elle obtenue une réponse, mais cette réponse semblait venir du sol lui-même. Croyant halluciner, la bergère se redressa et surveilla les alentours.

« Montrez-vous ! Êtes-vous un videur de bourse ?

-Je ne peux me montrer, et en réalité tu me vois déjà, et je ne suis nullement un videur de bourse.

-Je ne vois personne autour de moi.

-C’est parce que tu me marches dessus. »

Cléanthe ne comprenait pas ce qu’il se passait. La voix semblait réellement venir du chemin.

« Oui, c’est bien moi qui te parle. Cette pierre que tu cherches à arracher, aussi belle soit elle est mon esprit. Jadis, j’étais un sorcier, et j’ai utilisé ma magie pour satisfaire ma vie et nuire à celle des autres. Le conseil des sorciers a décidé de me punir et ont enfermé mon esprit dans cette pierre qu’ils ont liés à jamais à ce chemin.

-Mais… Cela ne se peut.

-C’est pourtant vrai. Oh évidemment je ne me suis pas laissé faire, je me suis défendu, mais ma magie n’était pas suffisante, et ils étaient trop nombreux pour que je puisse les combattre. Ils ont finalement réussi à me capturer et ont décidé que le sort que je subis maintenant serait une juste punition pour mes actes.

-Pourquoi ne vous ont-ils pas simplement tué si vous étiez si mauvais ?

-Car, vois-tu, l’ordre des sorciers a imposé des lois afin de limiter les effets de notre magie et de nos pouvoirs. Parmi ces lois, l’une d’elle interdit à un magicien d’utiliser sa magie pour tuer. Ils ont donc été obligés de me punir autrement, et me voilà donc prisonnier de ce chemin depuis des centaines d’années maintenant.

-Est-ce donc vous qui faites se mouvoir le chemin ?

-Oui. Mais j’y suis contraint par la soif car en plus de m’enfermer dans ce chemin ils ont jugé bons de me faire ressentir la soif. Alors régulièrement j’utilise le peu de magie encore accroché à mon esprit pour aller m’abreuver jusqu’à la rivière qui s’écoule plus bas. Je fais affleurer le bord du chemin contre la rivière et l’eau vient hydrater la terre qui est mon corps.

-C’est un châtiment bien cruel. Vous deviez être une bien mauvaise personne pour être ainsi puni.

-Je n’étais pas un exemple de vertu, loin de là, mais si j’ai été si sévèrement puni, c’est à cause de ce maudit Varuss. Nous avons eu le même maître d’apprentissage mais j’étais bien meilleur que lui dans l’exercice de la magie et il me détestait pour cela. Seulement il y avait un art qu’il maîtrisait bien mieux que moi : la politique. Il était très éloquent, plein d’idées et il a su avoir des relations qui lui ont permis de devenir le président du conseil des sorciers. Il a donc profité de son statut pour se venger. Je n’ai jamais tué, mais j’ai volé et aidé certains d’entre vous à accomplir diverses choses peu élogieuses.

-Mais, pourquoi ne pas rester près de la rivière et cesser de vous mouvoir ?

-Car je ne suis pas juste posé ainsi sur le sol, j’ai des racines. Et ces racines me ramènent chaque fois à mon point de départ. Mais je sens que ma magie m’abandonne, bientôt je ne serai plus capable de bouger, et je ressentirai alors une soif perpétuelle.

-Il vous faudra attendre les jours de pluie.

-L’eau de pluie ne peut assouvir ma soif, cela fait partie de mon châtiment.

-Et si quelqu’un versait de l’eau sur le chemin ? Auriez-vous moins soif ? Et cesseriez-vous de bouger ainsi ?

-Si je n’ai plus soif, je n’aurai plus aucune raison de rejoindre la rivière et je resterai donc sur place.

-Très bien, alors je verserai chaque jour un sceau d’eau sur le chemin, mais si vous bougez encore, je cesserai de vous donner à boire et alors quand votre magie vous aura abandonné vous serez contraint de subir la soif éternelle à laquelle vous étiez destiné.

-Ton cœur est bon, je t’en remercie, je ne bougerai plus d’une pierre. Demain j’aurai retrouvé mon emplacement originel et alors j’y resterai. »

Le lendemain, la route retrouva sa place originelle, et Cléanthe commença à l’arroser. Elle tint sa promesse, et le sorcier aussi, la route devint alors fixe mais garda son surnom. Le sorcier ne connut plus la soif, et Cléanthe n’avait plus besoin de parcourir des kilomètres pour vendre ses fromages.

Cependant, le chemin étant devenu fixe, il fut plus régulièrement emprunté, et rapidement des voleurs et autres bandits se cachèrent sur ses abords pour détrousser les passants et Cléanthe n’échappa pas toujours à leurs méfaits.

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