9. Perspective

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A peine un mois plus tard, alors qu’Adeline s’habituait finalement à son nouveau quotidien, la tempête s’annonçait. Pour le moment, celle-ci était bien dissimulée derrière les nuages chaleureux d’automne, mais elle approchait à grands pas, et personne ne pourrait empêcher l’orage d’éclater.


Ce matin-là donc, une nouveauté s’annonça dans l’emploi du temps du groupe : les travaux pratiques commençaient. La moitié était très peu motivée à cette idée, tandis que l’autre n’attendait que ça depuis le début de l’année. Adeline était stressée, elle n’avait jamais participé à ce genre d’activités de toute sa scolarité. Déjà au collège, elle s’était toujours débrouillée pour se faire croire malade et esquivait les manipulations d’outils barbares. Un regrettable comportement.

Elle fut même contrainte d’acheter une blouse prévue à cet effet, une grande première. D’ailleurs, elle ne s’était pas privée de la décorer à sa guise à l’aide de marqueurs toutes surfaces. Sa blouse ressemblait plus à un jardin botanique qu’un outil de protection. Les cheveux fermement retenus en une charmante queue de cheval, Adeline ne se sentait pas prête à débuter. Malgré la présence de Martin et Juliette à ses côtés, la confiance en soi d’Adeline était loin d’être à son apogée.

Et ce n’était sûrement pas leur professeur qui allait la rassurer. Celui-ci était un homme aigri et susceptible, dont la couleur et la quantité de cheveux démontraient parfaitement son âge avancé. Cela faisait quelques années déjà qu’on lui promettait la retraite, mais il y avait toujours une nouvelle raison de l’un ou l’autre des partis pour renouveler le contrat. Cependant, ses yeux n’avaient rien perdu de leur potentiel. Tel un vautour, il se faufilait entre les paillasses et repérait la moindre faute d’organisation ou de manipulation, aussi minime soit-elle. Son passe-temps se résumait à faire peur à ses élèves.

A peine ceux-ci posèrent un orteil sur le carrelage fraîchement lavé que le professeur les harponna et les dévisagea attentivement. Il leva une main et la pointa en direction d’une paillasse sous laquelle trois tabourets étaient alignés. Devant l’air ahuri de ses nouveaux sujets, il siffla de sa voix nasillarde :

– Installez-vous par trinôme.

Son impolitesse fit grimacer Adeline. Visiblement, elle ne méritait ni un « bonjour », ni un « s’il vous plaît ». Par réflexe, le trio d’amis s’installa côte à côte et chacun prépara ses affaires. Alors que Juliette posait sa trousse face à elle, le professeur sortit de nulle part et se planta derrière elle.

– Vous ne respectez pas les consignes de sécurité, annonça-t-il calmement alors que Juliette faillit glisser de son tabouret. Si je vous reprends avec ce genre d’affaires sur la paillasse, vous terminerez le TP dehors.

Ce fut au tour de Juliette de grimacer. Comme à son habitude, elle ne put s’empêcher de chuchote un petit commentaire dont elle seule avait le secret :

– On dirait un vampire.

Ses deux amis pouffèrent le plus silencieusement possible, les mains collées contre leur bouche. Lorsqu’enfin tout le groupe fut installé, le professeur stoppa sa ronde pour se place droit comme un « i » devant l’immense tableau noir dégradé. Il observa l’intégralité de la salle longuement, tournant la tête lentement, comme un chasseur cherchant sa proie. Finalement, il empoigna une craie bien trop petite pour ses longs doigts osseux et rédigea le protocole du jour. Les élèves n’y comprenaient rien, même ceux qui avaient soigneusement effectué la préparation chez eux. Lorsqu’il n’y eut plus un centimètre carré libre sur le tableau, le professeur se retourna subitement et débita ces paroles sans respirer une seule fois :

– Ce TP sera certainement le plus simple de votre scolarité, mais ce n’est pas une raison pour le bâcler. Comptez sur moi pour y veiller. La prochaine séance se déroulera dans deux semaines. D’ici-là, vous devrez avoir préparé, avec votre trinôme, un projet d’expérience visant à démontrer une certaine capacité d’un type de plante. Evidemment, il y aura un compte-rendu à faire et une présentation. Si vous avez des questions, lisez ce qu’on vous a donné, siffla-t-il lorsque que quelques mains se levèrent timidement. Bien, commencez, clama-t-il en se retournement de manière théâtrale.

Ceux qui n’étaient pas encore de mauvaise humeur le devinrent rapidement. Les travaux de groupe n’étaient pas appréciés de tous, mais Adeline avait tout de même hâte de s’y mettre, comme si ce genre de projet la faisait grandir un peu plus.


A la fin de ce premier cours réellement ennuyeux, Adeline sortit de la salle avec un millier d’idées lui trottant dans la tête. Son carnet de roses se remplissait plus vite qu’elle ne l’aurait cru, mais une espèce en particulier lui avait valu des veillées jusque très tard. Elle s’empressa d’en faire part à Juliette et Martin alors qu’ils s’installaient à la cafétéria.

– La Rosa quoi ? s’étonna Martin, un morceau de pizza dans la bouche.

– La Rosa Gallica, répéta Adeline qui ne pouvait se retenir de sourire. Elle a plein de vertus médicinales qui sont faciles à démontrer par des expériences, et puis c’est un sujet hyper intéressant !

– Ça m’intéresse très peu ce genre de projets… soupira Juliette en train de remuer ses pâtes sans conviction.

– Si vous avez d’autres idées, proposez-les, provoqua soudainement Adeline. Moi je pense que c’est un super sujet, et le professeur Sorel pourra nous aider !

A cette annonce, les yeux de ses amis s’écarquillèrent. Martin fronça les sourcils et réfléchit un instant, pour ne pas parler trop vite.

– Monsieur Sorel… marmonna-t-il. C’est notre prof de biologie végétale ? Comment tu sais qu’il voudra nous aider ?

– Mais c’est pas la question ! s’exclama Adeline. C’est un professeur, pourquoi il ne voudrait pas nous aider ? Je lui ai demandé la dernière fois, et il a dit que s’il pouvait il aiderait n’importe qui qui lui demanderait de l’aide.

– Ça peut être sympa, se releva Juliette. Et puis, ça peut nous assurer une bonne note, non ?

Martin ne semblait toujours pas convaincu par ce rapprochement soudain. Depuis le premier jour, Adeline était admirative de Raymond. Un peu trop peut-être. Etait-ce pour lui qu’Adeline laissait en plan ses amis de temps en temps ? Devant les visages insistants de ses amies, Martin n’eut pas d’autre choix que d’accepter la proposition. Il soupira et sourit sincèrement.

Martin s’inquiétait-il trop, où la relation entre Adeline et ce professeur le rendait-il simplement jaloux ?

Cette année n’allait pas être de tout repos.

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