Jonaz

3 minutes de lecture

Vilem évita le centre de Bratislava et préféra longer le Danube, ce fleuve majestueux qui faisait vibrer toutes les contrées qu’il traversait par son courant tonitruant. Les petites vaguelettes qui ondulaient de façon anarchique à sa surface renforçaient l’aspect rugueux de sa surface. Aujourd’hui, le grand fleuve connaissait très peu de fréquentations, les bâtiments de croisière étaient à l’arrêt permanent sur le quai et les navires de transport, rares en ces temps de commerce difficile, n’étaient remplis qu’au minimum. Plus en amont, un pont ferroviaire n’avait pas été achevé. Des poutrelles métalliques s’élançaient au-dessus du lit du puissant fleuve.

Vilem n’était pas loin de la vieille ville, et pourtant, déjà, les édifices étaient délabrés, gagnés par la végétation qui grimpait sur les façades et recouvrait petit à petit ce qu’avait construit l’homme. C’était un spectacle à la fois désolant mais d’une rare beauté. La nature reprenait le dessus sur une civilisation qui l’avait laissée de côté trop longtemps. Sa reconquête était lente mais déterminée. Une autre surprise attendait Vilem au détour d’une rue. Emergeant telle une apparition divine dans un lieu désolé, haute et gracieuse, rayonnante d’un bleu inattendu, une construction intensifiait le contraste avec son environnement.

— C’est notre belle église bleue ! lui répondit un passant avec une grande fierté.

— Oui, je dois avouer qu’elle est somptueuse. Qui a eu cette lumineuse idée ? demanda Vilem.

— Ah ça, je ne sais pas, vous m’en demandez trop, c’est dédié à la bonne reine Elisabeth en tout cas.

Elisabeth, la reine de Hongrie, vécut au XIIIe siècle et dédia sa vie et son argent aux pauvres de son royaume, ce qui ne l’empêchât pas de mourir prématurément à vingt-quatre ans. D’habitude, Vilem n’aimait que très peu l’Art Nouveau mais il fallait admettre que ce bâtiment surprenait. Il se postait comme un phare, à la tour cylindrique, mais dont la croix au quatre bras rappelait son appartenance religieuse. Pour autant, Vilem pensait avoir déjà vu cette église. Elle lui était étrangement familière. Il essayait de chercher dans sa mémoire et des images lui apparurent, diffuses. Il se souvenait d’avoir tenu la main de sa mère et d’avoir été guidé dans cet endroit. Sa mère était habillée dans une belle robe bleue et portait sur elle un bébé. C’était comme si ce souvenir n’était pas le sien mais pourtant il avait la sensation forte d’avoir vécu un moment spécial. Comment en était-il arrivé là ? Aujourd’hui, il n’était pas en visite mais en exil, son père était parti et sa mère disparue. Il était désormais dans ce quartier sans plus aucune attache, loin des siens, loin de sa ville de cœur. Ce n’était assurément le rêve d’aucun garçon. Pouvait-on parler d’un choix ? Un orphelin embarqué dans un complot politique, qui déambulait dans un endroit qu’il avait traversé lorsqu’il avait une famille unie. Non, le choix n’a rien à voir là-dedans, se dit Vilem. Il fit une pause sur la terrasse d’un bar, avec une vue imprenable sur le joyau du jour. Une jolie serveuse brune, trop à l’étroit dans son pantalon, lui adressa un sourire plein de bienveillance et lui tendit une Suris fraîche.

— Autre chose ? demanda-t-elle.

— Je vous remercie, une seule bière me suffit à contempler votre quartier.

Elle hocha la tête en retour, ne comprenant probablement pas tout de ce que Vilem racontait, l’accent tchèque étant quelques fois mal compris des slovaques. Assurément, les femmes slovaques étaient plus gracieuses que leurs voisines pragoises. Physiquement, elles présentaient de fortes ressemblances bien que les slovaques de l’Est aient des traits de visage plus saillants, tirant vers le physique russe. Elle lui avait discrètement posé sur la table un petit menu dans lequel était proposée une dizaine de soupes différentes. Décidément, les slovaques pouvaient boire des soupes à toute heure de la journée. Vilem referma le menu sans avis, il était seulement 18h et la température ne s’y prêtait pas. Il ouvrit son petit ordinateur portable et consulta sa boite e-mail via la connexion wifi du bar. Sa curiosité s’arrêta sur un objet quelque peu singulier.

« Monsieur Dvoracek, ensemble pour un nouvel avenir ». L’émetteur s’appelait John.

« Nous héritons d’une situation peu enviable mais nous sommes jeunes et nous souhaitons construire un avenir sûr pour notre pays. Nous attendons un signe de votre part pour frapper un grand coup contre la tyrannie et l’obscurité qui saisissent notre pays bien-aimé. Mon collectif et moi-même vous remercions d’avoir l’intelligence de ne pas vous poster comme un homme politique et d’éviter les clivages partisans. Je pousse l’audace pour tenter de vous rencontrer et de faire partie de votre prochaine action pour changer notre société, nous sommes à votre disposition et attendons votre retour avec impatience.

Au plaisir de vous rencontrer.

Jonaz, du collectif Action commune. »

Il avait reçu ce message comme un baume au cœur. Il était toujours bon de recevoir des démonstrations de soutien, surtout lors de périodes d’exil.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jordi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0