La carte SD

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Quand Vilem sortit de sa chambre sans fenêtre, le ciel était déjà haut dans le ciel. Tech n’était pas là. Qui était réellement cet homme ? Aucune affaire personnelle n’aurait pu répondre à cette question. Pas de photos, de notes laissées sur la table, de posters accrochés au mur. De nombreux condiments étaient entamés, des restes de pates moisissaient dans une casserole et un cendrier était à moitié rempli. Il s’agissait sans doute d’un deuxième logement pour Tech et ponctuellement d’une planque. Un ascète qui recevait des réfugiés politiques alors ? Qu’y gagnait-il ? Et comment avait-il connu Lubor ? Des énigmes auxquelles son appartement ne pouvait, à première vue, donner aucune réponse. Mais Tech avait probablement le plus important pour Vilem, une cafetière, des filtres et du café qu’il s’empressa d’utiliser pour pouvoir s’adonner à sa mission. Après avoir allumé l’ordinateur que lui avait laissé Vlad, il y glissa la carte SD. Apparurent sous ses yeux des choses qu’il aurait eu du mal à imaginer même s’il avait été un écrivain de science-fiction. Des conversations entières étaient retranscrites, e-mails, skype, courriers, conversations téléphoniques.

« Cher Edgar, j’ai contacté mon acolyte, les réseaux associatifs sont prêts, tellement souples ces gens-là… je te tiens au courant pour la réunion du 22. »

« On approche du but, plus de 40 parlementaires, c’est plutôt encourageant, que dit l’exécutif ? »

« Attention, il semble y avoir des remous du côté de la majorité, il faut se méfier, à bientôt pour le 22 »

« Pourquoi n’a-t-on toujours pas de nouvelles de Bratislava ? Que foutent-ils là-bas ? »

« C’est bon, j’ai modifié les dossiers, vivement que cette démocratie complaisante disparaisse… »

Et quand certains émettaient un doute sur la stratégie à tenir, on lisait plutôt des messages d’explication.

« Nous ne sommes pas des ennemis du peuple, nous tentons de redresser une situation politique chaotique, et si la démocratie ne peut pas nous apporter cela, alors nous devons prendre d’autres mesures »

« Laisser faire, c’est être complice. Si la méthode forte est la seule pour résoudre cette situation et sauver notre pays du marasme, alors je m’implique totalement dans cette dynamique »

« Les plus grandes révolutions se sont constituées par coup d’état, nous devons prendre nos responsabilités aujourd’hui ou être coupables à jamais des conséquences de nos inactions »

Des photos montraient également des hommes en costume se serrer la main à la sortie du Parlement ou encore en grande conversation dans des restaurants des quartiers huppés de la capitale.

Vilem aurait pu croire à un faux tant les messages étaient explicites et les preuves de culpabilité évidentes. Mais il était journalise et avait appris à distinguer par quelques techniques logiques et intuitives les vrais documents des faux. Il y avait plus de quarante pages de retranscription de conversations et de messages de tout genre. Le tout avait été compilé de manière rigoureuse, les conversations étaient classées par noms, dates et objets, un document d’une grande clarté. En lisant un extrait de conversation épistolaire, Vilem eut une curieuse sensation. Il y reconnut une syntaxe familière et un propos qu’il avait déjà lus maintes et maintes fois. Il ne pouvait s’agir d’une coïncidence. Vilem avait passé des heures à écrire avec lui, il connaissait par cœur sa façon de dire les choses, ses tournures de phrases et les mots singuliers qu’il employait pour appuyer ses idées. Il avait bien pensé à des personnalités capables de tremper dans un complot comme celui-ci mais pas à lui. Celui qui dirigeait le soi-disant quotidien alternatif tchèque en faisait partie. Il n’en revenait pas. Evzen, son ancien directeur, apparaissait comme une personne cynique qui démontrait avec véhémence l’incapacité de ce pays à évoluer sans ce complot abject. Cela confirmait d’autant plus la véracité des documents.

Vilem alluma une cigarette et se laissa tomber sur le fauteuil. Me voilà un lanceur d’alertes, pensa-t-il. Ce document méritait d’être diffusé. Il écarterait des gens dangereux pour la démocratie pragoise, dangereux pour l’équilibre des pays d’Europe centrale et de l’Est. C’était peut-être un arrêt de mort pour sa personne mais un souffle de liberté pour son pays. Et désormais conscient de ce complot, il ne pouvait faire machine arrière. Se taire ou laisser passer ce document aurait été un crime contre son pays. Sa vie ne valait que très peu à côté de la vie des millions de ses concitoyens qui subiraient les conséquences de son inaction. Il écrasa sa cigarette sur la table, releva l’écran du PC et transmis l’e-mail d’invitation aux deux journalistes.

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