Fuite

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L’hôpital de Nemocnice ne désemplissait pas depuis quelques semaines, les urgences étaient surchargées et la salle d’attente était constamment bondée. Des manifestants y venaient pour se faire soigner de commotions cérébrales ou de fractures et des jeunes adolescents suicidaires y arrivaient de plus ou plus nombreux. Le personnel médical s’épuisait, le manque d’effectif y était criant et les horaires de travail s’allongeaient continuellement pour faire face aux nouvelles vagues de violences dans la ville. Nul ne savait quand allait arrêter cette cadence infernale.

Lorsque Vilem ouvrit les yeux, une infirmière aux longs cheveux noirs était penchée sur lui, un tensiomètre enroulé autour de son poignet. Vilem, crispé, tenta de se relever mais sa tête était incroyablement lourde et ses membres accusaient une faiblesse musculaire conséquente.

— Monsieur, calmez-vous, je prends votre tension.

— Retirez ça, s’il vous plait.

— Monsieur, vous venez de subir un sérieux traumatisme.

— Je ne peux pas rester là, je dois partir, ils sont sans doute à mes trousses.

— Vous êtes en état de stress. On vous a amené au Nemocnice Na Frantiku. Restez tranquille. Connaissez-vous des gens ici ?

L’infirmière semblait excédée mais elle s’efforçait de rassurer Vilem.

— Ce n'est pas la question, vous ne savez pas qui je suis, je suis en danger ici, rétorqua Vilem.

— Nous n’avons trouvé aucun papier sur vous et je dois vous garder en observation.

Soudain, Vilem eut des flash de la veille, cette salle lugubre, ces gens cagoulés et la carte SD. Cette fameuse carte, pensa-t-il.

— Laissez-moi partir de suite !

Vilem se releva et projeta les draps sur le sol.

— J’ai besoin de vous, chuchota l’infirmière dans son talkie-walkie avant de sortir dans le couloir.

Vilem en profita pour se lever et ouvrit l’armoire proche de son lit, sa chemise était en vrac, déchirée et tachetée de sang et son pantalon complètement arraché au niveau de l’entre-jambe. Il fouilla toutes ses poches. Rien. Plus de portefeuille, pas une pièce d’identité, ni même la SD. Cette carte, il se souvenait désormais. Il ne l’avait plus lorsque ces brutes l’avaient fouillé. Lubor l’avait-t-il trompé ? Vilem sortit de sa chambre en courant et entendit des pas affolés dans son dos.

— C’est lui, ne le laissez pas sortir !

Deux hommes en blouse blanche accouraient derrière lui. Vilem fit un effort surhumain pour prendre de l’avance sur ses poursuivants. Ceux-ci furent définitivement distancés lorsqu’un plateau repas d’une aide-soignante leur bloqua le passage. Vilem courut vers la sortie sans prêter attention au regard médusé des standardistes de l’accueil. Il se reprit à deux fois avant d’ouvrir le SAS d’entrée et s’enfonça rapidement dans le dédale des rues. Après avoir constaté ne plus être poursuivi, il s’arrêta, haletant. Sa tête semblait prête à exploser et ses jambes tremblaient. Il s’avachit contre le mur et vomit un liquide vert acide et sans consistance. Une voiture grise banalisée s’approcha à grande vitesse de Vilem et s’arrêta à ses côtés. La vitre descendit et le visage de Vlad, particulièrement amoché, apparut. Un de ses yeux tuméfié était fermé et sa chemise était noircie par endroit.

— Montez Vilem, nous n’avons pas de temps, exhorta-t-il.

Vilem ne réagit pas. Il fustigeait Vlad du regard.

— Vilem, vous êtes tombé dans une embuscade, c’est moi qui vous ai sauvé de ces sauvages. Regardez-moi ! Comment croyez-vous que vous ayez atterri dans cet hôpital ? s’expliqua-t-il tout en jetant des regards dans ses rétroviseurs, visiblement inquiet d’être poursuivi lui aussi.

— Et la carte, Vlad ! Et cette putain de carte ! hurla Vilem.

Il tentait de se mettre debout mais dut se contraindre à s’aider du mur pour ne pas s’écrouler.

— Lubor connaissait le risque de vous donner toutes les informations, il vous a probablement sauvé la vie.

— Il m’a sauvé ? Regardez dans quel état je suis !

— Il ne pouvait pas prendre le risque de vous faire savoir toute la stratégie, moins vous en saviez et mieux c’était.

Qui croire désormais ? Vilem eut un moment de doute, peut-être que tout cela n’était qu’une machination pour que Vilem soit attrapé. Mais pourtant, il avait été amené à l’hôpital, et il s’en était sorti. Il tentait d’oublier les mots de Svetna et la trahison potentielle de Lubor. Dans ce genre de circonstances, la raison importait peu et l’intuition primait. Après tout, Vlad n’était peut-être qu’un pion lui aussi. Il monta à l’arrière de la berline.

— Je suis désolé, s’excusa ce dernier, il y avait peu de chances que ça arrive.

— Même si ce que vous me dites est vrai, vous m’avez volontairement mis en danger !

— Vilem, vous aviez été prévenu, vous aviez donné votre accord.

— Que s’est-il passé Vlad? Je comptais sur vous !

— Lorsque j’ai vu qu’on vous emmenait, j’ai voulu les poursuivre mais ces ordures avaient crevé mes pneus. J’ai volé une autre voiture dans la rue et les ai suivi jusqu’à leur point de ralliement. Après avoir refroidi deux gardiens, j’ai réussi à rentrer dans la planque, j’ai abattu l’ensemble du groupe et je vous ai retrouvé dans cet état, attaché et bâillonné. Je vous ai ramené au véhicule, mais n’étant pas en état de conduire, je vous ai laissé sur le trottoir et j’ai appelé les secours.

— Vous voulez dire que vous n’étiez pas au courant ?

— Bien sûr que non Vilem ! Pensez-vous que nous vous aurions délibérément envoyé dans les griffes de l’ennemi avec le doute que vous balanciez des infos sur notre mission ?

— Vous n’avez donc pas envoyé le mess… ?

Vilem s’arrêta, il était inutile de dire qu’on avait tenté de le prévenir, ceux qui l’avaient fait allaient peut-être aussi l’avertir contre Lubor et Vlad.

— Quand vous dîtes que vous avez abattu l’ensemble du groupe, y avait-il Svetna dedans ? demanda Vilem.

— Il n’y avait que des hommes.

Cette peste a réussi à s’enfuir, pensa Vilem, aigri.

— Combien de temps suis-je resté dans cet hôpital ?

— Quelques heures, tout au plus, vous avez été drogué, cette substance qu’utilisait l’URSS pour ses prisonniers politiques.

— Comment savez-vous cela ?

— Je connais leurs méthodes et c’est leur signature.

Etrange de laisser un indice aussi flagrant, pensa-t-il. Mais Vilem était toujours perplexe quant aux méthodes employées par Lubor.

— Où m’emmenez-vous ? s’inquiéta-t-il.

— Je dois vous conduire au convoi, il part dans une demi-heure. Prenez ce portable.

— Quel convoi ? Où allons-nous ?

— Un convoyeur fait le trajet jusqu’à Bratislava, Lubor m’a indiqué que vous seriez plus en sécurité là-bas et que vous pourrez y rencontrer les deux journalistes sans risque. Ils sont d’ailleurs briefés sur la rencontre et son objet.

— Bratislava ?! Non mais vous plaisantez ? Je n’ai rien sur moi, aucune affaire. Et pourquoi Bratislava ? Qui me dit que je serais en sécurité là-bas ?

Vlad se gratta le front.

— Je pensais que Lubor vous en avait touché deux mots. C’était le plan B. Mais au vu de la situation, il est préférable pour vous de quitter le pays. Au moins pour un temps. Lubor a un contact là-bas qui pourra vous cacher.

— Oui, comme il l’a fait jusqu’à maintenant, railla Vilem.

— Vilem, vous avez vu ces gens à l’œuvre, ils ne vont pas vous lâcher tant qu’ils n’auront pas refroidi toutes les personnes impliquées dans l’affaire.

Tout en roulant à grande vitesse, Vilem se restaurait avec l’encas que lui avait donné Vlad, une bouteille d’eau et quelques sandwichs à la charcuterie sans goût.

— Et Lubor ?

— Il a également quitté Prague ce matin. Je ne peux vous dire précisément où il est, il ne me l’a pas dit.

Vlad enchaîna.

— Je vous ai préparé de quoi vous tenir chaud pendant votre voyage dans le sac à côté de vous.

En l’ouvrant, Vilem découvrit deux manteaux et une bouteille de schnaps.

— Comment être sûr de ne pas avoir de contrôles ?

— Ce convoi fait généralement deux aller-retour par semaine. Ils contrôlent le premier camion et comme ils sont corrompus jusqu’à la moelle, ils ne contrôlent jamais le second. Le directeur de la société de transport graisse depuis des années la patte de ces douaniers. Qui plus est, les mecs ne sont pas assez courageux pour affronter le froid du chargement.

— Bon, de toute façon, il n’y a pas d’autres choix. Quand est prévu le départ ?

— Ce soir, 20h à la zone industrielle Nord, annonça Vlad.

Vilem regarda sa montre, effaré.

— Il est 19h30, remarqua Vilem, interloqué.

— Plus nous attendons et plus vous êtes en danger, il y a urgence pour votre vie, rappelez-vous ce que vous a dit Lubor, recommanda Vlad.

Vilem était dépassé par les événements. Quitter Prague aussi vite, comme un fugitif, il ne l’aurait jamais imaginé. Il se sentait dans la peau d’un bandit de grands chemins. Après vingt minutes de route, Vlad le laissa dans le quartier de Schmichov, quartier industriel blafard des plus glauques où se succédaient des entrepôts délabrés.

— Ici, les camions de fret, montra Vlad du doigt. Courage Vilem, je serai derrière vous en cas de besoin.

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