Le complot

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A 21h précise, une berline noire s’avança près de l’entrée Nord-Ouest du parc Tesnov.

— Bonsoir Vilem, rentrez.

Lubor était assis à l’arrière de la voiture, comme lorsqu’il l’avait récupéré dans le ghetto.

— Bonsoir Lubor, pourquoi ce lieu de rendez-vous ?

— Je vous expliquerai.

Il tenait une étrange boîte métallique noire dans la main.

— Voulez-vous mettre votre portable là-dedans je vous prie ? demanda-t-il, sans préambule.

— Pourquoi cela ?

— Pour éviter que nos portables n’émettent des ondes, nous allons aborder des sujets sensibles.

Vilem tendit son portable pendant que Lubor ordonnait à Vlad de démarrer.

— J’ai appris que vous aviez été approché par le parti communiste récemment.

Lubor semblait d’une humeur détestable.

— Oui, c’est vrai, j’ai accepté de les rencontrer.

Vilem soutenait le regard de Lubor.

— Je pense que vous aviez des idées bien précises pour les rencontrer, s’avança-t-il

— Disons que, dans le processus démocratique, il est aussi important de vous rencontrer que de les rencontrer.

Lubor n’apprécia pas la comparaison mais poursuivit.

— Avant de continuer Vilem, je souhaitais vous avertir de la démagogie et des visions occultes du parti communiste qui est aidé, de manière directe ou indirecte, par des groupuscules terroristes dangereux.

— Je pense connaître les desseins de ce parti mais je n’ai pas entendu parler de groupes terroristes ralliés.

— Il est un peu tôt pour en parler et nous aurons le temps de voir leur positionnement sur l’échiquier politique actuel. De plus, vous devez savoir que le Parti rallie actuellement des soutiens pour pouvoir organiser un vote de défiance à l’encontre du gouvernement. Ce vote permettrait démocratiquement de faire abdiquer le gouvernement en place et d’organiser une nouvelle élection anticipée. Une première depuis longtemps.

Lubor continua sans laisser à Vilem la liberté de réagir à cette dernière remarque.

— Avez-vous entendu parler de ce qui se passe aux pays Baltes ?

— Je le regrette mais non, admit Vilem.

— Vous êtes journaliste, cela aurait dû être à vous de m’informer, le toisa Lubor, soudain agressif.

— Mon quotidien consiste à survivre matériellement. Vous comprendrez que je n’ai plus assez de temps pour me noyer dans cet océan d’actualités politiques.

Lubor leva la main comme pour écarter l’objection de Vilem et lui lancer un « Ça va aller mieux ».

— D’étranges transformations s’y produisent, beaucoup de services publiques du pays ont été bloqués, des personnalités aux liens étroits avec des sectes religieuses ont été nommées dans des institutions clés.

— C’est terrible mais où voulez-vous en venir ? Je vous avoue que j’aimerais avoir des éléments concrets de notre collaboration. Que veulent dire ces rendez-vous discrets, cette

Vilem commençait à perdre pied, l’attitude de Lubor et sa façon de tourner autour du pot commençaient à le rendre des plus nerveux.

— Je veux seulement dire que nous risquons d’être les prochains sur la liste.

Vilem n’était pas sûr de comprendre. Lubor était toujours stoïque.

— Vous avez peur de l’élection du parti communiste, je peux comprendre, répondit-il.

— Non, les élections seraient un luxe…

— Que voulez-vous dire ?

— Un coup d’état est en train de s’organiser dans notre pays, dit-il l’air grave.

Vilem tombait des nues. Il s’attendait à beaucoup de choses mais pas à une telle révélation.

— Etes-vous sûr de cela ?

— Vilem, je ne suis pas un lanceur de rumeurs.

Il avait durci son regard et fronçait ses sourcils.

— Cette liste…, murmura Vilem.

— Oui, Vilem. Vous avez eu le résultat d’un lourd travail d’espionnage.

Vilem tentait de se remémorer les noms qu’il avait lus sur la liste mais rien ne lui vint. Il était complètement sous le choc d’une telle nouvelle.

— Ne vous inquiétez pas, vous aurez le temps de potasser les documents et les personnes impliquées, lança Lubor, comme lisant dans les pensées de Vilem.

— Comment voulez-vous procéder pour les arrêter ?

— C’est encore un peu trop tôt.

Il marqua un temps, se gratta le menton et sortit de sa poche de chemise une petite carte SD enveloppée dans un film plastique. Il fixa Vilem de son regard profond tout en agitant le petit périphérique.

— Voici la pièce angulaire de notre mission.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Vilem agité par la curiosité.

— Des documents qui relatent conversations téléphoniques, e-mails et autres échanges des intéressés.

— Depuis quand êtes-vous au courant de cette entreprise ?

— Depuis quelques mois. Vous verrez, de nombreuses personnalités politiques, publiques, des universitaires y sont associés. Nous avons retracé leurs conversations, avons piraté leurs boites e-mail, et partagé les informations avec des hackers indépendants. Un photographe a également été engagé pour saisir des rendez-vous improvisés dans des cafés obscurs de la ville ou dans des endroits tout à fait anodins. Même dans les restaurants prisés des députés en face du Parlement, rajouta-t-il en balançant la tête.

— Plus c’est voyant…

— Effectivement oui.

— Les services secrets tchèques vous ont-ils aidés ?

— C’est difficile de parler d’aide. J’ai des contacts mais je ne leur fais pas confiance à 100%. J’ai l’impression que nous avons toujours à faire à des électrons libres, sous le joug de donneurs d’ordres inconnus.

— J’avoue que je n’ai jamais compris le dessein qui animait ces gens-là, se confia Vilem, perplexe.

— Mais parce que personne ne le sait. Ils pourront être le batman sauvant les citoyens opprimés, le pion du gouvernement mais aussi le pouvoir de l’ombre des partisans du coup d’état.

Vilem restait toujours incrédule face à la situation.

— Savez-vous qui a orchestré ça ? demanda-t-il.

— La tête du complot est difficile à identifier, il y a somme toute des éléments qui me laissent perplexes. Des acteurs travaillent dans l’ombre mais je n’ai pas beaucoup plus d’informations sur leurs desseins.

Lubor semblait également déstabilisé par le schéma complexe de cette organisation.

— Les services secrets russes ?

Lubor sourit.

— C’est assez curieux cette manie de vouloir accuser les russes dès que des événements malheureux arrivent à un pays occidental. Je crois sincèrement que les russes n’ont pas forcément d’intérêt direct à faire tomber un gouvernement qui pour l’instant leur garantisse des échanges commerciaux non négligeables, notamment la livraison d’énergie. Et vous devez plus être au courant de cela que moi.

— Vous avez raison, admit Vilem, à qui cela profite-t-il alors ? Qui vous a fourni l’essentiel de ces informations ?

— Aujourd’hui, il est somme toute devenu assez courant de collaborer avec des hackers de talent qui souhaitent être utiles aux grandes causes de ce monde. Regardez, au début du siècle l’action de Julien Assange qui révéla de grands conflits diplomatiques à travers Wikileaks ou encore celle d’Edward Snowden, ancien de la NSA, qui fit un scandale en révélant que la NSA espionnait le siège de l’ONU, le Parlement européen et certains de ses dirigeants. Paix à son âme. A chaque époque son scandale et ses acteurs.

Vilem prit la petite carte et la posa sur la table.

Lubor ne répondit pas à la question des bénéficiaires potentiels d’une telle action et continua dans sa pensée.

— Croyez-moi, ceci n’est que le commencement d’un plus grand désordre mondial. Il ne s’agit plus là de conflits géopolitiques mais de crises sociétales mondiales car les événements que nous vivons actuellement sont vécus par d’innombrables pays à travers le monde. Ceci est le point de départ d’une révolution de grande ampleur, sans comparaison avec ce que nous avons vécu auparavant.

— Et vous allez me demander de publier ces informations, n’est-ce-pas ?

Vilem était soudain inquiet de son positionnement face à ce complot d’envergure.

— Non, enfin, pas directement, il vous reviendra de choisir les journalistes qui se chargeront de faire ce travail.

— Pourquoi moi ?

— Parce que j’ai confiance en votre éthique et que vous faites partie du monde journalistique, vous saurez choisir les meilleurs éléments pour accomplir cette tâche.

— Si tout cela est vrai et que nous agissons dans cette direction, alors le chaos s’installera. Et que se passera-t-il après ?

— Il n’y pas de révolution douce, les changements sont brutaux. Le chaos s’installera probablement pour un temps mais il laissera vite place à une nouvelle société plus en phase avec les enjeux planétaires, disons climatiques et géopolitiques.

— Et qui saura reprendre le flambeau dans cette cacophonie générale ? demanda Vilem, décontenancé par l’assurance de Lubor. Excusez ma naïveté mais je ne vois aucune formation politique actuelle être capable d’amener un cap durable et bénéfique pour ce pays.

— Vous avez raison, personne ne peut apporter de réponses aujourd’hui. Le Nouveau Parti me semble le mieux placé pour comprendre la conjoncture mais ils ont une longue route à faire avant de trouver l’adhésion de la population. La naissance d’un nouveau modèle se fera naturellement.

— Cela me parait dangereux, admit Vilem, évaluant les impacts potentiels d’une telle révélation.

— Que voulez-vous faire ? Attendre que le coup d’état arrive et vivre sous le joug d’une dictature militaire ?

Vilem savait bien qu’il avait désormais les deux poings liés et qu’une seule voie était possible. Mais sa conscience d’homme libre en prenait un coup.

— Et si je refuse de vous aider ? demanda Vilem, effronté.

Lubor, encore une fois, ne parut pas surpris par la réponse de Vilem.

— Vilem, vous avez le choix.

Puis laissant un temps, Lubor continua.

— Mais vous vous êtes déjà impliqué dans l’aventure et votre vie, comme la mienne, est désormais en danger. Je vous propose une collaboration et une protection par un ancien des services secrets jusqu’à ce que tout cela se termine.

Vilem comprit bientôt le piège de la situation.

— Lubor, si je comprends bien, vous m’avez recueilli dans la rue, vous m’avez appâté en me promettant une nouvelle popularité via mes articles sur l’énergie, vous m’avez flatté sur mes talents d’orateur et maintenant vous me mettez dans un rôle de lanceur d’alertes dans un complot immense. Sans point de retour.

Lubor, visiblement, ne s’attendait pas à une analyse si rapide de son interlocuteur.

— Je comprends votre réaction, dit-il en bredouillant pour la première fois, vous pouvez simplement dire non.

Le piège qui lui avait tendu Lubor était odieux. Vilem pouvait décider de partir maintenant et de trouver un nouveau sens à sa vie, d’essayer de rejoindre une Johanna qui peu à peu, s’évaporait de son esprit parce que ses lettres restaient sans réponse ou de retrouver un travail dans un journal et subir une nouvelle fois le joug d’une ligne éditoriale sans éthique. Vilem devait se rendre à l’évidence, ce que lui proposait Lubor était la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis longtemps.

— J’accepte votre proposition Lubor même si je crois ne pas avoir beaucoup le choix d’y renoncer. Mais croyez-moi, votre méthode me déplait fortement.

Le regard de Lubor se ranima, il semblait reconsidérer Vilem.

— Même pour un homme politique, il est parfois difficile de convaincre, dit-il pour se dédouaner.

Et il rajouta.

— Je savais que je pouvais compter sur vous.

— Je souhaite viscéralement que notre peuple vive libre et puisse jouir de ses droits.

— Vilem, vous êtes en odeur de sainteté désormais.

Et marquant un temps, il continua, tout en glissant le doigt sur la carte SD posée sur la table.

— Prenez du temps pour intégrer ces documents car ils sont nombreux et plus encore pour choisir les journalistes à qui vous allez les divulguer. Et surtout, oubliez le téléphone pour nos échanges, tout se fera désormais via le PGP.

— C’est noté, au revoir Lubor.

— Au revoir Vilem et merci pour ce que vous faîtes.

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