Le Parc Tesnov était situé dans Prague 8, au Nord-Est de la vielle ville. Vilem s’y rendit à pied, le moyen le plus sûr d’arriver à l’heure et même d’arriver tout court. Les taxis étaient très peu présents dans cette partie de la ville et les transports en commun étaient moribonds. La marche lui permettrait de préparer au mieux son entretien avec Lubor. Paradoxalement, Prague était devenue une ville plus plaisante pour déambuler depuis que la crise énergétique avait asphyxié le pays. La ville avait rétrocédé bon nombre de voies de circulation aux piétons depuis que l’utilisation de la voiture s’était largement réduite. La transformation s’était faite graduellement, les ruelles d’abord, puis les rues et enfin certaines avenues qui autrefois trop peu nombreuses pour réguler le trafic dense étaient désormais trop grandes pour le nombre de véhicules. Elles étaient désormais le lieu de passage des piétons, vélos et tricycles. La cité Pragoise était devenue plus silencieuse, plus intime, le bruit des moteurs avait laissé place au claquement des chaussures, aux discussions animées, aux rires, à une vie de rue qui avait été reniée par le soi-disant progrès de l’ère automobile. Les habitants avaient rapidement redonné un souffle de vie salvateur à des endroits rongés par la pollution et le bruit incessant des klaxons et des crissements de pneus. Lorsque le soleil paraissait, on dressait des tables pour manger entre voisins, on organisait des vide-grenier sauvages où l’on échangeait des denrées en tout genre, bibelots, meubles, plats fait maison, œuvres d’artistes et artisanat en tout genre. Tous ces biens s’échangeaient à des prix très bas, voire à des prix libres, où les acheteurs jugeaient eux-mêmes du prix de leur objet de convoitise tout en respectant l’offre du vendeur. Le gouvernement, voyait d’un mauvais œil cette dynamique, conscient du peu de devises que faisait rentrer cette économie spontanée. Le parti communiste fustigeait ce laxisme et en profitait pour distribuer des tracts afin de dénoncer ce qui détruisait à feu doux, selon eux, l’Etat-nation et ses ambitions économiques. Il soulignait le rôle de l’Etat providence dans la production manufacturière et la sécurité qu’il apportait pour l’organisation des échanges humains et commerciaux dans une optique d’intérêt collectif. Ainsi, acheter un livre d’occasion ou consommer un plat sur la voie publique, cuisiné dans un appartement privé était un acte anarchique. Cela contraignait la redistribution des richesses, pièce angulaire de l’idéologie du parti communiste, il appelait cela d’ailleurs la redistribution de la pauvreté, le partage de l’indigence. Influencés par cette propagande, bon nombre de pragois et surtout les tchèques des villes moyennes et des zones rurales voyaient désormais ce phénomène comme la raison de leur malheurs quand leurs usines ou leurs fermes vendaient moins et quand les acheteurs manquaient.

Johanna lui manquait terriblement. Cela faisait quelques semaines qu’elle l’avait quitté et pourtant il avait l’impression que des années s’étaient passées depuis leur dernier repas ensemble. Il n’avait jamais reçu une réponse d’elle. Dans sa dernière lettre, il lui avait transmis son nouveau numéro de téléphone, son adresse e-mail à défaut d’avoir une adresse postale fixe pour pouvoir correspondre avec elle. L’avait-elle oublié ? Est-ce qui lui était arrivée quelque chose ? Tout cela le taraudait quotidiennement, il ne se passait pas une nuit où il ne rêvait pas d’elle ou d’une matinée où il se levait sans se rappeler des épisodes furtifs de la vie qu’ils avaient un moment partagée.