Oleg

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Après une nuit d’amour, rien ne valait plus qu’une marche matinale au bord d’un fleuve pour se ressourcer. La capacité d’un point d’eau, fleuve, étang ou océan à rasséréner l’être humain semblait sans limite. L’aura qui s’en dégageait canalisait toute pensée et apaisait les bouleversements intérieurs. Bien que des rambardes métalliques séparaient Vilem de la Vltava, il sentait qu’il ne faisait plus qu’un avec elle, ses gestes étaient en parfait harmonie avec les petites vaguelettes qui animaient sa surface tout comme son âme qui faisait corps avec son lit agité par les remous limoneux. Vilem était tout enveloppé par le confort de ce moment lorsqu’une vibration continue le sortit de ses pensées. Il dut se contraindre, malgré lui, à répondre à ce numéro inconnu, il ne pouvait plus dédaigner la possibilité d’une opportunité au vu de l’état de la situation.

— Oui j’écoute.

— Vilem Dvoracek ?

— Oui, à qui ai-je l’honneur ?

— Oleg Nemec, porte-parole du Parti communiste, j’ai appris pour votre licenciement et j’en suis sincèrement désolé. J’aimerais vous rencontrer pour discuter de la situation du pays. Seriez-vous disponible demain midi pour un déjeuner ?

Vilem était totalement pris au dépourvu par cet appel, il connaissait bien le numéro deux du Parti Communiste pour avoir collaboré à une biographie dans une édition spéciale du Pravo. C’était un homme secret dont il fallait légitimement se méfier.

— Bonjour monsieur Nemec, voyant mes fonctions professionnelles réduites, je ne vois pas trop en quoi je pourrais vous être utile. De quoi s’agit-il ?

— Il s’agit d’une invitation cordiale, n’y voyez aucun opportunisme. Je souhaite seulement échanger des idées avec vous, il semble que votre précédent employeur ne vous ait pas permis la libre expression alors je vous offre une nouvelle opportunité.

Oleg était déjà au courant de son licenciement. Vilem accepta l’entrevue. Qu’avait-il à perdre aujourd’hui ? Il devait se faire une idée une bonne fois pour toute de cet individu qu’il avait juste croisé mais jamais réellement rencontré.

La rencontre eut lieu au Cestr Restaurant, un steakhouse situé dans le Novemesto, quartier récent de Prague, non loin du Narodni Museum. Le bâtiment avec une façade en verre y servait des grillades assez bien cuisinées, le lieu était majoritairement fréquenté par les milieux d’affaires et politiques, rencontres indissociables dans toute démocratie idéale.

Oleg attendait Vilem au bar dans un grand imper beige. C’était un homme d’une cinquantaine d’année, le visage rond percé par deux yeux noirs opaques.

— Mr Dvoracek, je nous ai réservé une table dans une salle fumeurs, j’espère que cela ne vous dérange pas.

— Aucunement, je suis également fumeur, répondit Vilem.

Les deux hommes s’assirent dans une alcôve proche du bar.

— Je pense que mon invitation vous paraît un peu brusque, mais je pensais nécessaire que nous échangions tous les deux.

— Vous allez m’en apprendre davantage.

— Effectivement. Je suis désolé d’avoir appris votre récente déconvenue. De quoi s’agissait-il ? Si je puis me permettre.

— Un problème de budget sur mon poste, répondit Vilem.

— Hum, je vois, les journaux indépendants comme les vôtres subissent encore plus les affres de la crise.

Bien entendu, Oleg ne croyait pas un mot de l’argument que Vilem avait avancé mais il était resté impassible.

— Je ne vous le fais pas dire. Alors, quelle est la raison de cette entrevue ? Vous souhaitez recruter un journaliste dans votre Parti ?

— Je vois que vous en venez rapidement aux faits.

— Je n’ai jamais aimé les cérémonies, rétorqua Vilem

Oleg sourit.

— J’aime votre approche de libre-penseur. Voyez-vous, nous sommes dans le même cas au Parti, et parce que nous disons tout haut ce que l’opinion publique a peur de dire, nous passons pour des néo-fascistes. Mais, je pense que vous et moi Vilem… Il s’arrêta puis reprit. Vous permettez que je vous appelle Vilem ?

— Je vous en prie.

— Je pense que nous avons la même approche de la politique et surtout la même vision pour notre pays.

— C’est-à-dire ?

— Nous aimons les gens et nous souhaitons le meilleur pour eux.

— Sur cette phrase, je suis d’accord, sur l’approche, nous sommes pourtant singulièrement différents.

— Ne nous divisons pas tout de suite, nous sommes d’accord sur le fait que le système actuel libéral ne peut assumer l’ensemble des conséquences néfastes qu’il a provoquées.

— Je pense, en effet, qu’il y a beaucoup de choses à changer, mais je ne pense pas que vous ayez des solutions avec votre Parti.

— Je savais bien que vous alliez me faire ce genre de réponses. Ce que je veux vous dire, c’est que, comme vous, nous proposons une alternative politique au chaos que nous vivons en ce moment.

— Et laquelle s’il vous plait ?

— Sûrement pas comme nous sommes décrits par votre ancien employeur, néo-fascistes, nostalgiques de l’ère stalinienne et dictateurs en puissance. Vous n’imaginez pas combien nous sommes blessés lorsque nous entendons ce genre de terme à notre égard. Non, nous croyons en un vrai gouvernement par le peuple, pour le peuple. Nous souhaitons prendre le pouvoir pour enfin donner la liberté aux peuples, aux opprimés, à ceux qui souffrent.

— Un peuple libre où la liberté d’expression est muselée et où un seul canal médiatique, politique est proposé sans qu’aucune initiative citoyenne ne puisse être entendue. Je ne crois pas que cela fasse partie des conditions d’un peuple libre

— Critique facile. Croyez-vous qu’un peuple dans un chaos énergétique, économique, climatique et social global puisse envisager les meilleures solutions pour lui-même ? Nous lui proposons une ligne simple avec un plein emploi, une nationalisation des entreprises capitalistes qui les licencient, une politique futuriste avec des partis réduits dans lesquels ils ne seront plus obligés de choisir entre six ou sept partis représentant souvent les mêmes intérêts, ceux des puissants de la finance.

— Où croyez-vous que nous pouvons nous retrouver sur ces points ?

— Pensez seulement que le gouvernement que vous défendiez est désormais mal en point, que le parti de droite n’a plus de voix, que les partis satellitaires ont trop peu de poids pour fédérer l’opinion publique et qu’il est désormais nécessaire de construire des choses ensemble pour que tout soit mieux accepté de tous.

— Et donc vous pensez que je vais renoncer à mes idéaux démocratiques pour rallier le Parti qui, même si populaire, renie tous les droits des peuples ?

— Vous raccourcissez. Je vous présente seulement une opportunité de comprendre un peu mieux notre fonctionnement pour délaisser une démocratie libérale qui est incompétente face à la crise que nous traversons. Les gens de qui vous être proches politiquement ne sont pas ceux que vous pensez, leurs prétendues idées démocratiques masquent bien souvent des ambitions politiques démesurées qui sont loin d’avoir l’objectif du bien commun.

— De qui parlez-vous ?

Oleg regarda Vilem droit dans les yeux.

— Vous savez bien de qui je parle.

— Ecoutez Oleg, j’ai accepté cette entrevue pour entendre la voix de votre parti, puisque pour le moment, et étant membre du Parlement, elle est démocratique. Mais je ne souhaitais pas avoir de discussion avec une personne qui fait du prosélytisme. Ma pensée est à l’opposé de la vôtre même si la contradiction du système nous rapproche. Sur ce, je vous salue.

Vilem se leva, son assiette à moitié terminée et sortit. Il était furieux. Il avait détesté le ton mielleux de cet Oleg, imbu de sa personne, et qui déblatérait les idéaux nauséeux de son Parti. Ce qui le mettait le plus en rage, c’est que ce dernier était soutenu par une partie croissante de la population en recherche de solutions et que le Parti communiste ne pouvait, en aucun cas, apporter. Le plus fantaisiste était qu’Oleg pensait Vilem assez gonflé d’ambitions personnelles pour rallier leurs causes, et qui sait, obtenir un poste dans le gouvernement si ces énergumènes étaient élus. Voilà comment le grand jeu de la politique révélait une nouvelle fois ses sombres facettes. A gerber.

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