L'après

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Johanna s’était assise sur le canapé pour découper les pizzas fumantes. Vilem la regardait faire, hagard.

— Je veux bien un verre de vin si tu as, demanda-t-elle, voyant que Vilem ne lui proposait rien à boire.

Il déboucha une bonne bouteille de sa cave, un chianti que Botid lui avait amené il y a plusieurs années.

— Allez, viens manger, ça te fera du bien.

— Comment s’est passée ta journée ? demanda Vilem, en engloutissant une part de pizza aux champignons.

— J’ai signé les papiers de licenciement avec mon ancienne patronne. La pauvre, tu la verrais, elle est dévastée. Elle s’est inquiétée pour moi. Ça me fait de la peine pour elle.

— Elle a du talent, je suis sûr qu’elle trouvera un endroit où les gens apprécieront sa cuisine. Peut-être sur les stands de rue, ça marche du tonnerre à Prague en ce moment.

— Oui, je l’espère. En tout cas, ma journée a été surement meilleure que la tienne, dit-elle en souriant.

Johanna avait toujours une manière de prendre les choses avec légèreté.

— Bon dis-moi, pourquoi ces cons-là t’ont viré ?

— Restrictions budgétaires. Mais ça, c’est la version qu’on m’a donnée. Il y a des choses étranges dans cette histoire, avança Vilem.

— Tu veux me raconter ?

— Dans une entreprise, quand tu dois diminuer tes budgets, tu vires en premier les éléments, disons, non directement productifs, pas les journalistes, dans ce cas-là.

— A quoi penses-tu ?

— J’écrivais des articles un peu trop polémiques. Ils ont décidé de me stopper.

— Ton boss ?

— C’est lui qui a pris la décision mais je pense que ça vient de plus haut, des contacts qu’il avait au gouvernement.

— Tu sais qui ? demanda Johanna, naïvement.

— Non, sinon, j’aurais fait une descente pour les pulvériser.

Johanna faillit s’étouffer en riant.

Vilem continua.

— Ces gens-là ont des contacts dans tous les réseaux de pouvoir et agissent dans l’ombre de la population. Mais parlons d’autres choses si tu veux bien.

— Ok je comprends, mais tu n’es pas en danger au moins ?

— Je ne sais pas. Mais sûrement moins que lorsque j’étais dans leur journal.

— Oui c’est possible, ces gens-là sont prêts à tout pour défendre leurs intérêts, souligna-t-elle, justement.

— Oui tu as raison. Je réglerai cette question plus tard.

Après un dîner apaisé par la douceur des bougies et la fragrance de l’encens, ils firent l’amour plusieurs fois dans la même nuit, créant un univers parallèle où les pensées s’envolaient sans limite, sans contrainte physique là où le temps et l’espace n’avaient pas leurs places.

— A quoi penses-tu ? demanda Johanna désormais penchée sur lui.

Vilem, une main sous la tête, fixait le plafond d’un regard pensif.

— Quand je suis avec toi, à vivre ces moments-là, je me demande pourquoi je m'agite autant pour cette cause-là.

— C'est à dire ?

— Je ne sais pas ce qui me pousse à mener ce combat. Pourquoi je ne fermerais pas les yeux et vivrais ma vie sans me poser de question ? Comme si égoïstement, je souhaitais laisser une trace de moi, j'en ai honte.

— Mais tu agis pour l'intérêt collectif, c'est super. Ecoute chéri, tu connais la plus grande frustration de l'homme ?

— La taille de son sexe ? ironisa Vilem

Johanna explosa de rire.

— Oui, entre autres. Non sérieusement, c'est que vous ne pouvez pas donner la vie.

— Première nouvelle ?

— Bien sûr, indirectement mais vous n'accouchez pas.

— Certes, où veux-tu en venir ?

— Vous passez vos vies à tenter de compenser le fait de ne pas donner vie à un être, c'est pourquoi vous donnez naissance à des projets, des passions de toute sorte et que vous êtes souvent plus impliqués dans des causes fondamentales.

— C'est des conneries, réagit Vilem, visiblement froissé.

— Réfléchis-y, c'est une théorie que j'ai lue dans un bouquin sérieux.

— Et pourquoi je ne te ferais pas un gamin maintenant ?

Vilem se mit au-dessus d’elle et l'embrassa fougueusement dans le cou.

— Arrête, t'es fou ! cria-t-elle.

Vilem se réveilla plusieurs fois en sursaut. Dans un de ses cauchemars, Evzen et Svetna, portant des masques d’animaux, agitaient les articles de Vilem, criaient leur colère et balançaient des livres à son visage. Dans un autre, Vilem se retrouvait nu dans les locaux du Journal et tentait de s’enfuir sans jamais trouver la sortie et ce, sous les yeux médusés de ses collègues qui riaient et lui balançaient des insultes en tout genre.

Vilem passa les deux dernières heures de sa nuit les yeux grands ouverts, le sommeil l’avait fui, il ne pouvait effacer l’image de cette Svetna, antilope superbe arrivée d’une steppe inconnue aux alliances secrètes. Qui représentait-elle ? Au-delà de sa position au journal, Vilem sentait que d’autres forces étaient en marche, résolues, avec un désir de détruire plus fort que ce qu’il avait imaginé jusque-là.

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