Viré

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Les violons de Dvorak raisonnaient dans l’appartement, se faufilant dans les couloirs de l’immeuble pour remonter avec fugue, passer sous les portes et se heurter aux rideaux qui séparaient Vilem de son compositeur classique favori. Lorsque l’eau avait cessé de couler, l’harmonie des cuivres avait irradié la salle de bain, rendant tout inerte, comme pour faire de la place à la force des instruments à vent. Vilem sentit chaque pore de sa peau tressaillir face à la vague mélodique. Au-delà de la basse, il sentit une vibration hors de propos qui viola la mélodie. Elle était étrangère, dérangeante. Trempé, il arriva dans son salon où se jouait une débâcle de cordes, frappant le moindre recoin de son réduit. Sur son bureau vibrait son téléphone portable, objet anachronique dans cette circonstance qui semblait danser sur la musique.

Sur l’écran digital, il lut ce qu’il attendait le moins dans ce contexte. Evzen, murmura-t-il. Il éteignit l’effervescence musicale avec regret et répondit à son directeur.

— Bonsoir Vilem.

— Heu, bonsoir Evzen.

Vilem ne put dissimuler sa surprise et son hésitation était évidente.

— Je m’excuse de vous déranger si tard. Je vais être assez bref et ça me déplaît, j’ai de mauvaises nouvelles.

— Je vous écoute, répondit Vilem, tentant de rasséréner son timbre de voix.

— J’ai eu Smith au téléphone, il nous sucre la moitié des financements du journal.

Smith était l’un des principaux actionnaires du journal, magnat des médias à New York.

— Dans ces conditions, vous vous doutez bien que l’on doive restructurer notre équipe et une offre plus restreinte sera proposée à nos lecteurs.

— Mais encore ? demanda Vilem, se doutant de la suite de l’annonce.

— Nous ne serons plus en capacité de vous offrir un poste dans notre journal, largua-t-il, sans changer de ton.

Vilem ne réalisait pas complètement la situation mais sa colère fusa.

— Vous ne pouvez pas me faire ça ! J’ai toujours produit de bons articles, souvent plébiscités par la presse étrangère, des inédits comme ils le souhaitent outre-Atlantique !

— Vilem, je me suis mal fait comprendre. Ce n’est pas une question de compétences mais d’organisation. Vous n’êtes pas le seul concerné.

— Alors vous virez vos journalistes en premier, vous faites des priorités donc vos licenciements ?

— Ma décision est prise, j’en suis navré. Essayez les publications online, vous avez du talent et vous pouvez percer. Sur ce, je vous souhaite du courage. Au revoir.

La tonalité qui suivit fut plus aiguë que d’habitude, continue et insistante. Le débit rapide d’Evzen et son discours sans explication contrastaient avec son habitude d’étayer ses idées dans de longs monologues. L’annonce était rude et les conséquences allaient probablement l’être encore davantage. Lorsqu’ils ne trouvaient pas d’astucieux moyens de gagner de l’argent, les gens sans emploi finissaient vite dans le ghetto, sombrant jour après jour dans l’alcool et la drogue. Vilem balaya cette lugubre pensée, il n’en était pas encore là. Dommage que Johanna ne soit pas là, elle était partie tôt ce matin pour rejoindre une amie en ville. Vilem ouvrit un petit meuble au bois terni près de la cheminée et en sortit une bouteille de vodka intacte. Il en avala une grande gorgée et se laissa tomber sur le sofa. Le spiritueux lui permit de se sentir plus léger et de relativiser un peu la situation. Bien sûr, il pensait quitter le journal mais il lui aurait fallu plus de temps pour assurer ses arrières. Les mots d'Evzen continuaient de résonner dans sa tête. En quelques minutes, ce court appel avait changé sa vie de manière durable. C’était peut-être une bonne chose après tout, pensa Vilem. Voilà que la vodka commençait à parler, un optimisme mal placé mais rassurant. Et si sa liaison avec Svetna avait été connue ?

Evzen, en homme avisé, n’aurait sûrement pas mis le doigt sur les débordements de la soirée au journal qu’il avait lui-même initiée. Il balaya par nervosité sa table basse de tous les brouillons. Au bout de quelques verres, il arrêta de penser à ce qu'il aurait pu faire ou ne pas faire. Qui peut s'élever contre un coup du destin ?

Il prit son téléphone et composa le numéro de Johanna.

— Oui ? répondit-elle.

— C’est moi, Vilem.

— Oui je sais bien, tu as une voix bizarre, que se passe-t-il ?

— J’ai été viré.

— Oh merde, qu’est ce qui s’est passé ?

— Je te raconterai, tu veux venir ?

— Oui, je passe prendre des pizzas et j’arrive, ça te va ?

— Tout me va, à tout à l’heure, fit-il.

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