Tentations

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Au plafond était accroché un abat-jour circulaire où quatre bonhommes en bois déguisés en clowns tournoyaient au gré du courant d’air. Les fils de cuivre qui les liaient grinçaient légèrement et rien ne semblait atteindre la quiétude de ces statuettes suspendues dans le vide, inconscientes de leur fragilité et qui souriaient benoîtement. A force de les fixer, Vilem crut que les marionnettes changeaient d’expressions et devenaient de plus en plus diaboliques.

Il se releva, soudainement apeuré par ces hallucinations et observa la pièce un instant. Le lit était accolé à un petit bureau discret au-dessus duquel étaient collées des cartes postales de manière maladroite. Un tissu jaune aux motifs asiatiques psychédéliques cachait probablement une penderie. Près de la porte d’entrée, une commode en bois blanc débordait de vêtements. Etrange décoration, pensa-t-il. Où était-il tombé ? Vilem tentait de rassembler ses souvenirs de la fin de soirée mais rien ne lui vint de clair. Lorsqu’il se tourna, il comprit. A ses côtés, une chevelure brune longue recouvrait le drap blanc. Un parfum à la cannelle reconnaissable à mille lieux et une haleine de champagne venaient lui chatouiller les narines.

Merde. A ce moment-là, Vilem réalisa qu’il avait commis une erreur qu’il regretterait longtemps. Svetna dormait nue à côté de lui, sur le flanc. Elle semblait sereine, aucune expression ne se lisait sur son visage, seul le petit mouvement de ses cils venait en casser l’impassibilité. Ses seins lourds, serrés l’un contre l’autre, contrastaient avec la ligne de son ventre plat et, plus bas, de la concavité de son entrecuisse. Vilem devait admettre qu’elle était magnifique. Seulement voilà, elle n’était pas fiable, son double jeu était dangereux, son intelligence et sa beauté encore plus. Habituée des dîners mondains avec Evzen, elle avait su se constituer un long carnet d’adresses dans lequel figuraient beaucoup d’hommes puissants qui seraient prêts à aller très loin pour passer une nuit avec elle. Mais Svetna était également machiavélique et le fait de balancer un journaliste pour pouvoir gagner du pouvoir ne la dérangerait probablement pas. Vilem en avait appris beaucoup sur sa personne hier grâce à la soudaine complicité qu’il avait tissée avec des collègues, proches de l’assistante, dont les langues s’étaient déliées sans mal sous l’effet des drogues. Et même s’il était bien conscient que ce genre de personnes aimaient à balancer des rumeurs, beaucoup de leurs observations s’étaient avérées crédibles au regard du comportement de Svetna à son égard. Vilem s’était fait attraper dans ce filet tendu avec préméditation, un piège qu’il avait entrevu mais dans lequel il avait plongé la tête la première. Alors qu’il tentait de se lever pour s’enfuir de cette délicate situation, une voix émergea derrière lui.

— Tu t’en vas déjà ?

La belle et maléfique s’était réveillée.

— Je te croyais encore endormie, il est très tôt, répondit Vilem, surpris.

— J’ai le sommeil léger, lui répondit-elle.

Elle lui passa la main dans le dos.

— Tu m’aimes ?

— Arrête Svetna, dit Vilem se frottant la tête.

— Tu abuses un peu, tu me sautes et tu veux te casser comme un voleur.

Elle se redressa et plaça l’oreiller sous son dos, tout en dévisageant Vilem.

— Tu te méfies de moi, je le sais. Tu crois que je suis une fille sans cœur, c’est ça ? demanda-t-elle, l’air innocente.

— Je dois y aller, coupa sèchement Vilem, merci pour l’accueil.

La belle brune ne répondit pas. Vilem se rhabilla en vitesse, récupéra son portable atterri de l’autre côté de la pièce et sortit, sous le regard observateur de Svetna, silencieuse dans son lit.

Vilem souffla de soulagement quand il sortit de l’appartement. Durant tout le trajet jusqu’au journal, il se demandait comment il allait justifier son acte. Tout le monde avait dû l’épier hier soir. Il voyait déjà la tête d’Evzen lui présenter les raisons de son licenciement et l’opprobre dont il allait être couvert dans la fonction journalistique. De l’opprobre ? Peut-être, oui, il avait fait des dérives personnelles mais il se battait pour la cause collective qui était au-delà de tout ça, et son journal s’en contre-foutait. Il attendrait Evzen de pied ferme pour entreprendre une confrontation qu’ils n’avaient jamais eue. Cet écart allait enfin lui donner les moyens d’affirmer sa position morale.

A peine était-il arrivé au journal qu’Evzen le stoppa dans le hall.

— Vilem, vous sentez l’alcool mais j’espère que cela vous a donné de l’inspiration pour votre article.

L’attitude d’Evzen foudroya Vilem qui resta quelques secondes sans voix. A première vue, le directeur n’avait rien entendu de la mésaventure d’hier. Evzen semblait en être resté à leurs différends sur l’article.

— Heu…effectivement, j’ai terminé le papier, le voici.

Vilem tenta de camoufler sa surprise. Sa tension était retombée. Il sortit de son sac deux feuilles légèrement chiffonnées, s’excusant dans le même temps de l’état de son article.

— Bien, je vais lire ça mais je ne vous ferai pas de retour. Nous n’avons plus de temps pour des modifications de forme, je l’envoie à la repro direct. J’ai plus urgent sur la planche, enchaîna-t-il. On nous a fortement critiqué de ne pas parler du ghetto de Kosarkovo, j’aimerais que vous y alliez.

Cette nouvelle mission difficile était paradoxalement une aubaine pour Vilem qui avait échappé à une confrontation houleuse avec son directeur. Il éviterait en même temps ses collègues et les remarques désobligeantes.

— Je croyais que Jan avait l’exclusivité du sujet des migrants.

— Jan est occupé. Ce sera à vous d’y aller aujourd’hui, prenez un chewing-gum et améliorez cette coupe de cheveux. Vous pouvez être fin prêt dans une demi-heure.

— Très bien, préparez-moi des banderoles de soutien à mon retour, recommanda Vilem, définitivement détendu.

Evzen lui tapota l’épaule en souriant.

— Vous êtes un homme fort, revenez-nous avec du lourd.

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