Chaos nocturne

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Pour égayer la rédaction en rush continuel dans ce genre de périodes brûlantes, des soirées festives étaient organisées au journal pour souder un peu plus les équipes et donner de l’entrain à tous. Cette soirée était un peu spéciale puisqu’il s’agissait des trente années du journal, né après l’effondrement de l’URSS. Jour de fête donc puisque même Evzen, pourtant assez peu enclin à participer à ce genre d’événements, avait annoncé qu’il serait présent.

Vilem souhaitait terminer son article avant le début de la soirée pour le présenter à Evzen le lendemain matin à l’aube. Il trouverait bien un compromis entre sa vision de l’information et celle de son boss, sans trahir ses idéaux. Tout était une question de bien choisir les mots. Pour autant, il avait de plus en plus de mal à supporter la ligne éditoriale du journal et sentait bien que toutes les convictions qu’il avait à exprimer seraient tôt ou tard étouffées par ce qu’on lui imposerait de dire. Le Pravo était un journal indépendant, en tout cas, c’est ce qu’il proclamait. Malgré cela, Vilem se devait toujours de ne pas choquer l’opinion publique ni de déranger de trop l’ordre établi. Le Pravo, comme bon nombre de médias occidentaux, était l’héritage de la pensée de Rousseau. Cette dernière préconisait d’écarter les faits pour se pencher sur la théorie. De cette méthode pouvaient sortir des idées humanistes et progressistes bénéfiques à tous les êtres humains mais aussi des réflexions dépourvues de réalité et définitivement trop abstraites. Vilem regrettait cette dérive, les faux-semblants et les postures idéologiques avaient poussé, selon lui, le monde occidental vers le chaos. Il devrait trouver le courage de prendre la poudre d’escampette pour pouvoir voler de ses propres ailes et être en accord avec son éthique. Un jour, il le ferait. Un jour.

Svetna arriva dans l’entrebâillement de la porte de son bureau. Sa longue chevelure brune lisse et sa jupe noire qui soulignait sa silhouette élancée lui donnaient des curieux airs d’amazone.

— Bonsoir Svetna, je n’en ai pas pour longtemps, je vais bientôt vous rejoindre.

— Bonsoir Vilem, mais qu’as-tu de si urgent à faire ? Et pourquoi tu n’as pas répondu à mon texto ?

— Eh bien, j’ai toujours cet article à finir pour demain matin et je n’étais pas sûr de pouvoir participer à la soirée, en tout cas, dans son intégralité. D’ailleurs, comment as-tu eu mon numéro ?

Vilem s’arrêta net lorsqu’il s’aperçut que Svetna s’avançait vers lui, titubant légèrement. Ses pupilles étaient largement dilatées et ses gestes étaient approximatifs. Elle avait probablement déjà pris quelques lignes ou deux de cocaïne avec les collègues, mixées avec d’autres choses encore.

— Allez, laisse tomber, c’est la fête ce soir, et puis on se fait un peu chier en bas, il n’y a pas d’ambiance pour l’instant.

Tout en disant ces mots, la sulfureuse brune détacha d’un bouton son débardeur, dévoilant une poitrine généreuse et ferme.

— Svetna, qu’est ce qu’il se passe avec toi ? demanda Vilem, interloqué.

Elle s’avança lentement vers lui en prenant soin de faire claquer ses hauts talons puis s’assit sur le coin du bureau. Elle fendit volontairement sa jupe pour dévoiler de jolies jambes enveloppées dans des bas résilles. Elle passa alors délicatement sa main sur la jambe de Vilem qui la retira instantanément.

— Svetna, tu es déjà high. Ce n’est vraiment pas une bonne idée, crois-moi.

— Peut-être oui, mais je crois que j’ai envie de toi.

Vilem ne savait plus comment il devait réagir. Cette fille était délicieuse mais il ne pouvait accepter ses avances. Pas ici, pas maintenant, pas comme ça.

— Stop ! Retourne avec les autres en bas, lui ordonna-t-il.

Elle semblait ne pas entendre Vilem et continuait à passer sa main sur sa cuisse puis au niveau de son entrejambe. La concentration de Vilem commençait à décrocher. Svetna esquissa un sourire lorsqu’elle sentit l’érection sous ses doigts.

— On dirait que le grand journaliste n’est plus en mode travail, fit-elle remarquer.

Vilem la désirait violemment mais succomber à ce désir reviendrait à signer son arrêt de mort dans le journal et peut-être dans la fonction journalistique. Mais que voulait-il aujourd’hui ? Il ne le savait plus et peut-être que cette dérive serait salutaire pour qu’un changement dans sa vie s’opère enfin.

— Attends, lui exhorta-t-il.

Vilem prit une bouteille de whisky dans son tiroir et en but deux verres cul sec. Svetna le regarda avec étonnement puis sourit lorsqu’elle comprit qu’elle avait gagné la partie. Avec une habileté furtive, elle déboutonna le jean de Vilem et se glissa sous le bureau pour entreprendre une fellation remarquable, soignée et d’une grande dextérité. Vilem ne résista pas, retira ses lunettes et dégusta son verre de Glenfiddich 12 ans d’âge d’une bouteille qu’on lui avait offert pour sa première année au journal.

— Vilem, qu’est-ce que tu fais ? On t’attend en bas.

La large carrure d’Evzen avait fait son apparition dans le couloir. Vilem n’eut pas le temps de se redresser sur son fauteuil. Son cœur faillit transpercer sa poitrine. Svetna étant invisible de la porte, dissimulée par le bureau massif de Vilem. Il tenta d’élaborer une réponse.

— Plus que quelques lignes et je vous rejoins, bredouilla-t-il.

— Pas trop de zèle ce soir Vilem, profitez du moment. D’ailleurs, si vous croisez Svetna, dites-lui de venir aussi, elle a disparu.

— Je n’y manquerais pas Evzen, assura Vilem, tentant avec effort de déglutir discrètement.

Evzen referma la porte et Svetna se releva, visiblement amusée par la situation.

— C’est de la folie Svetna, va vite les rejoindre !

Vilem avait les yeux dilatés et le souffle court.

— Tu n’as pas aimé ? demanda la bouillante assistante en se rhabillant.

— Si, bien sûr, tu es très douée, admit-il. Mais laisse-moi finir ça, descends, j’arrive d’ici dix minutes.

La belle se releva, ferma le dernier bouton de son corset, lui fit un clin d’œil du couloir et sortit. Vilem réussit à finir son article de la plus belle manière qu’il soit, soudainement habité par une inspiration inattendue, puisée dans l’agréable association du whisky et de ce moment de luxure impromptu. La chair était faible et celle de Vilem l’était peut-être plus encore.

Evzen avait pris congés du groupe vers 22h. Après son départ et celui des administrateurs du journal, une toute autre soirée avait débuté. Le vin et les joints avaient réduit les tensions au sein du groupe, la plupart était également sous l’emprise de cocaïne. Vilem fut quasi contraint par Svetna de prendre une ligne de poudre blanche. La musique s’était intensifiée, les gens avaient commencé à danser serrés, des explosions de rires fusaient dans la salle et peu entretenait encore des discussions sérieuses.

Vilem fut accroché par Alexandr, le jeune stagiaire récemment intégré dans l’équipe.

— Et là, je vais être en charge de la rédaction des brèves à partir du mois prochain, ils ont bien vu que j’avais les épaules.

Alexandr énervait Vilem au plus haut point. Il était arrivé il y a quelques mois pour un stage mais souhaitait déjà diriger les pigistes employés depuis plusieurs années.

— Ne sois pas trop sûr de toi, on saura te recadrer au moindre faux pas, le toisa Vilem.

Svetna, sachant Evzen parti, mis son bras autour de sa taille.

— En attendant, tente de laisser pousser un peu cette barbe, le lait maternel te sort encore des narines mon petit, rajouta Vilem avec un sourire.

Alexandr rougit immédiatement et ne put sortir aucun mot pour répliquer. Il partit rencontrer d’autres personnes plus à l’écoute de ses ambitions professionnelles.

— Laisse-le tranquille, dit Svetna, il est jeune.

Elle le poussa en direction du bar.

— Il m’énerve celui-là, il a les yeux en forme de promotion. En plus, il commence à être bourré, ça le rend encore plus insupportable.

Vilem, engourdi par l’alcool et la drogue, commençait à perdre son sang-froid.

— Je sais bien, mais occupe-toi de moi plutôt, implora Svetna, tout en tentant de l’embrasser.

— Arrête tes conneries, pas ici.

Vilem jeta un regard à l’assistance mais constata que tout le monde était affairé à autre chose, la lumière tamisée laissait tous les groupes dans leurs intimités.

— Je vous sers quoi à vous deux ? demanda un petit homme chauve au bouc taillé avec précision.

— Salut Krystov, que nous proposes-tu ? Il faut qu’on trinque pour ton article sur la course aux énergies polaires.

Vilem l’enlaça avec bienveillance.

— Avec plaisir mon ami, j’ai déjà mon verre. Toi, par contre, tu n’as plus rien à boire, observa-t-il.

Krystov avait pondu un article génial sur les vestiges des installations pétrolières en Arctique. Lors de l’effondrement économique mondial, les entreprises avaient dû laisser sur place leurs plateformes pétrolières et infrastructures gazières. Krystov racontait, grâce à de rares clichés, comment avait été évité le pillage féroce de cet immense espace naturel. Il était l’un des plus anciens du journal et ses analyses étaient réputées pour leur finesse leur subtilité.

Alexandr, le jeune dj improvisé de la soirée avait enflammé le hall en diffusant les sons dancefloor du moment. Les gens dansaient, riaient, certains s’effondraient sur le canapé, vidés de leurs énergies et d’autres encore continuaient à débattre de manière décousue sur des sujets diverses. Vilem s’était même surpris à apprécier le contact de gens avec qui ils ne parlaient jamais. Dans cet environnement d’hypocrisie ambiante, les employés du journal semblaient se rapprocher à mesure que les psychotropes faisaient leurs effets. Vilem n’échappa pas à cette débâcle tant et si bien que sa conscience s’évanouit et que son être ne devint qu’un fantôme en fin de soirée.

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