Message

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« Le soleil s’éteint –

Fleur de cerisier fanée

Un hibou hulule »

Il y a le Message, celui que l’on attend. Il y a ce message, peu importe comment. Quel que soit la plume avec laquelle il a été écrit, quel que soit l’encre avec laquelle on l’a transmis, le message est là. Quoi qu’il soit quoi qu’il présente, le message reste le même. C’est comme une avalanche, un désert de tonnerre. Il peut être en japonais, chinois, français ou polonais. Il peut être dit, écrit ou même dessiné. Le message reste le même, mais pas celui à qui il est destiné. Car c’est à toi, oui à toi qui me lis qu’il est adressé.

Je suis coupable, je suis le coupable. Je suis le susceptible, celui insensible aux plaisirs. Je suis l’automne et je suis l’hiver. Je suis un homme, qui a franchi les barrières. Je ne suis pas citoyen, car ce n’est plus comme cela. Je ne suis pas humain, car on ne m’a pas dressé pour ça.

Je suis juste Aki, celui qui souffre, celui qui s’énerve. Je suis l’alliage du bronze et de la haine. Je suis le colérique, mais aussi le malade. Je suis malade de moi-même, et je suis inconscient.

Je suis le détruit, au plus profond de moi-même. Je suis enfin tel que l’on m’a écrit, sans avis de ma part même.

Je m’observe dans le miroir. J’observe toutes les marques des étapes de la haine.

Tout d’abord, il y a cette cicatrice, sur ma jambe. C’est cette fois où l’on s’est défendu contre moi, quand je m’énervais. On m’a poussé à terre au milieu de la foule. On m’a piétiné pour essayer de me calmer. Mais je me suis relevé, et ceux-là l’on payé. C’était au début, quand j’ai découvert l’existence de cette colère que je renfermais en moi. Je l’ai prise au mot, et ça a mal tourné, car je ne savais plus ce que je voulais, et que j’avais tout mal interprété.

Ensuite, il y a ce tatouage. Magnifique. Je ne le regrette pas, je ne l’ai jamais regretté. Cette marque indélébile sous la peau fait partie de moi, respire avec moi, vit avec moi. C’était du temps où je ne faisais les choses que pour qu’elles ne plaisent pas à mon père. Pour lui prouver que maintenant j’étais capable de me souvenir, j’ai repris cet insigne, ce mon, qui est pour moi toujours aussi symbolique.

Enfin, ces 32 lésions, auxquelles d’autres se sont rajoutées. Quand j’ai compris ma détresse, quand j’ai compris comment m’en libérer. En tout cas je le croyais.

Et voilà, ce point sur ma colère. Maintenant je suis perdu, entre haine et mystère. Je suis plus lucide, mais pas intelligent. Je ne suis plus acide, je suis bouillonnant. Maintenant je m’observe, pas seulement physiquement. Je sais que c’est bientôt fini, je le crois suffisamment. Car j’en aie assez de souffrir, j’exige une libération éternelle. La roue est tournée, je suis revenu à mon point de départ.

Toujours cette colère, toujours cette haine. Toujours cette amertume à travers. Mais maintenant j’ai grandi, en même temps que la colère. Maintenant je me pose, au milieu de l’enfer. J’en veux toujours à mon père, je ne pourrais faire autrement. Mais j’en veux plus à la colère, d’avoir fait de moi son servant.

Tout cela est comme un voyage. On s’en va et on revient, avec toute fois autre chose dans nos bagages, quelque chose qui ne se décrit pas. On arrive chez soi, et enfin on recherche le code pour désactiver l’alarme. On ne s’en souvient plus, on l’a oublié. Alors on repart, à travers d’autres contrées. Et cela à l’infini si on ne veut le bloquer.

La colère est mon voyage, le bonheur mon aspiration. La haine à travers le courage, sont mes destinations. Comment sortir de ce voyage, personne ne peut m’aider ? Vais-je devoir repartir, refaire un tour de manège ? Ou vais-je pouvoir enfin en finir, avec cette rancœur et cette haine ?

Les feuilles, la poussière, et tout ce qui pourrait trainer sur les sentiers du parc se font emporter par le douce brise. Le soleil perce à travers le matin. Il est tôt, et à cette heure-ci il n’y a personne. D’ici une heure les personnes âgées sortiront de leurs lits. Elles prendront une canne et une veste chaude pour venir s’installer à la place qu’elles se réservent, dans l’allée du parc. Elles parleront de leurs voisins, de leurs petits-enfants, ou de souvenirs. Mais maintenant, personne pour tenir compagnie au bruit du vent.

Personne, sauf un petit garçon. Enfin, plutôt un adolescent, qui est recroquevillé contre un banc. Il fait peine à voir, ce jeune homme. Il tremble de froid, et pourtant ne bouge pas. Cela fait des heures qu’il est là, les arbres l’ont vu. Depuis la veille, même. Il ne veut pas dormir, il préfère rester là. Il attend un message, un murmure dans la nuit.

Mais pourtant rien ne vient, rien au milieu du silence. Et il est toujours seul, à observer les branches et le murmure du vent qui serpente. Rien autour de lui, rien qui puisse en tout cas attirer son regard.

C’est quand le soleil perce complétement la végétation qu’enfin il se passe quelque chose. Le garçon se lève. Il avance de quelques pas et se met à parler.

- Bonjour, je vous ai attendu longtemps. J’avais prévu que vous viendriez plus tôt.

L’homme me fixe de ses yeux noir d’encre. Il hausse les sourcils :

- Tu peux me prévoir, en effet, mais pourquoi donc attendre ma venue ?

À mon tour, je hausse les sourcils. Il sourit un instant :

- Faisons donc quelques pas ensemble.

Je le suis. Il me mène jusqu’au portique de parc, et en sort. Nous marchons en silence jusqu’à un pont qui enjambe un ruisseau. Il pose les coudes sur le muret et fixe les remous de l’eau agitée. Je l’imite :

- Est-ce enfin fini ?, je lui demande.

- C’est à toi de voir. Tu as compris beaucoup de choses, ces derniers temps.

- Je le sais. Mais je ne sais pas quoi faire, à présent.

- Tu es jeune, si jeune, et déjà sous l’emprise de la colère. Laisse-toi aller dans le réconfort.

- On ne m’en propose pas.

- Oh que si, mais tu n’oses pas l’accepter, parce que tu as honte de toi. La culpabilité ...

- ... est le sentiment le plus dangereux. Je sais cela. Mais ce n’est pas pour cela que je peux m’en débarrasser seulement en le voulant.

- Peut-être que tu ne le veux pas vraiment. Peut-être que tu t’y es ... attaché ?

- Non !

Un accès de panique me prend :

- Ne dites pas cela, je veux la fin du supplice, je veux sortir de cet enfer ! J’en ai assez, ça me rend malade ! Je veux la fin de cette culpabilité. Je regrette tout ce que j’ai fait, j’ai été aussi idiot que l’on peut l’être. J’ai blessé plus de personnes que l’on ne peut compter ! J’ai été le pire, le pire ...

Ma voix s’éteint. Je m’éclaircis la gorge :

- Je regrette. Je regrette tout. Je voudrais pouvoir recommencer. Je voudrais me rattraper. Je voudrais que l’on me regarde comme quelqu’un qui n’a jamais fait tout cela. Et je voudrais, moi, regarder les autres sans aucune culpabilité. Sans jamais avoir fait tout ça. En n’ayant pas une âme salie, comme je l’aie. En ayant une conscience pure et propre.

- Mais tu ne peux rien changer, Aki. Rien. Pas même une opinion que tu aurais eue.

Ces mots me transpercent, j’aurais voulu en entendre d’autres. Il continue :

- La culpabilité te dit d’espérer de pouvoir te rattraper, et effacer. Mais il n’y a rien à rattraper, Aki, rien à effacer ! Tout change, tout se transforme. Tout, à part les souvenirs et la rancœur que tu choisis toi-même ! Libère-toi de cette rancœur, en acceptant ce que tu as fait. Observe les évènements sans plus de jugement vis-à-vis de toi-même. C’est dans ces seules conditions que tu parviendras à la vérité.

- Je le sais, je reprends après un instant de silence, je sais tout cela au fond de moi, et c’est pour cela que je vous l’entends dire. Mais je n’y arrive pas. Ça me semble impossible. Un jour, le premier jour où je l’ai vu après avoir commencé à suivre la voie de cette haine, Balthazar m’a donné du lamier. Reproche, qu’il m’a dit. Il m’a dit que je recherchais la vengeance en les autres, alors que moi seul était responsable de mon état. Il m’a dit d’effacer les reproches passés, et de continuer à vivre. Il m’a dit qu’il ne servait à rien de ressasser les souvenirs. Mais tout cela, je ne l’ai pas compris, ou plutôt je ne l’ai pas écouté. « Nosce te ipsum », connais-toi toi-même, il me l’a dit aussi. Et j’ai décidé de passer outre, car ça me semblait plus facile. Mais maintenant, voilà où ça m’a conduit.

Un moment de silence. Puis enfin :

- Où ça t’as conduit ? Plutôt reconduit. Tu es dans la même situation que quand les souvenirs de haine te sont remontés, Aki. Comprends-tu ? Les choses viennent et reviennent. Vouloir oublier ne fait que remettre à plus tard leur acceptation. Maintenant tu fais à nouveau face à une colère, à une envie de vengeance. Mais cette fois, Aki, l’ennemi n’est plus ton père, mais bien toi-même ! Il en a toujours été ainsi, mais maintenant tu le vois clairement. Et ceci est une nouvelle opportunité d’accepter, tu la reconnais ? C’est à toi de choisir, et tu peux très bien décider de l’ignorer, ou de mal la comprendre. Alors peut-être s’ensuivra la même chose que ces derniers mois, jusqu’à une nouvelle opportunité. Mais tu peux aussi décider de sortir de ce cycle. C’est à toi de voir.

- Vous avez raison.

- Il existe une maladie, peut-être la connais-tu. Une maladie qui fait oublier les souvenirs. Elle apparait au public comme une des pires maladies, car elle efface soi-disant la mémoire.

- Et la culpabilité.

- Aki, crois-tu vraiment qu’Alzheimer arrive sans raison ?

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