Brise

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« Regrets de soldat

Souvenirs de souffrance

Ta haine sauvage »

J’étouffe un cri en ouvrant les yeux. Non, ce n’est pas possible ! Tout semblait si vrai, enfin je mourrais !

Mais non, une fois de plus je dois me réveiller. Je dois m’extirper de cette fausse douceur, qui me fait croire au bonheur. Pendant un instant, un instant merveilleux, j’ai cru que tout serait enfin fini. J’ai cru que la colère était partie, j’ai cru que de ma vie je rompais le fil.

Mais c’est une tourmente de plus. Cette légèreté que je ressentais dans le sommeil n’est plus. En plongeant dans ces eaux, j’ai oublié toute colère. Ni colère, ni rancœur, il n’y avait plus rien de cela. Enfin je relâchais ma prise, et je me sentais bien. Toute idée de vengeance m’avait quittée. Et un nouveau sentiment, délicieux, m’était venu. Un sentiment que je ne connaissais pas, ou que j’avais oublié. J’étais enfin libéré de mes chaînes. Je voudrais tant pouvoir m’en aller !

Je repousse mes couvertures et sors de mon lit. Je suis dans ma chambre, chez mes parents. Il fait encore nuit noire. Je m’approche à pas feutrés de la fenêtre, frissonnant dans cette maison mal isolée. Au-dehors tout est calme. Rien ne bouge. J’ouvre le carreau. Pendant un instant je respire l’air frais, et sa sérénité. Encore dans un demi-sommeil, je me laisse bercer par la brise. D’une infinie douceur.

Je souris, en oubliant tout le reste, tandis que la nuit froide me transperce. Je me sens bien, ici et maintenant. Je me sens bien, même si je suis si proche de mes parents.

Lentement je m’éloigne de la fenêtre, et la referme d’un claquement léger.

Tic tac tic tac

Mon horloge. Un bruit incessant, angoissant. Mon prétendu bien-être disparait automatiquement.

Tic tac tic tac tic tac.

Il me martèle les tympans. Je ressens dans les muscles de ma gorge comme un blocage.

Tic tac tic tac tic tac.

Je serre les poings. Des gouttes de sueur dégoulinent sur mon torse, sous mon pyjama. Le blocage dans ma gorge s’intensifie.

TIC TAC TIC TAC.

Je respire bruyamment, et saisis de ma valise ouverte un couteau à la lame effilée.

TIC TAC TIC TAC

Je ne renie plus ma colère. Je déboule dans le couloir.

TIC TAC TIC TAC

Je me faufile dans la chambre de mes parents.

TIC TAC TIC

Mon père est allongé sur le flanc, son bras reposant mollement sur le matelas. Un filet de salive coule sur son oreiller.

TIC TAC

Mes yeux se révulsent. Pendant un instant, j’observe sa poitrine, où tout compte fait je pourrais y enfoncer ce couteau. La colère me brûle la gorge, à présent. Je dois l’évacuer.

TIC

J’appuie le couteau sur le bras de mon père, et déchire la peau de bas en haut. Déferlement inhumain. Une seconde de folie.

Je suis dans ma chambre, au centre. J’observe le plafond, le fixant sans vraiment y penser. Je ne pense à rien, en fait.

La lumière baigne ma chambre. C’est une après-midi d’hiver ensoleillée. Dommage qu’il n’y ait plus de neige. C’est à peu près la seule chose qui mérite d’être vue, en hiver. Elle camoufle les arbres, douce et frêle.

Soudain, on frappe à la porte. Je n’aime pas que l’on trouble ma sérénité. Pourtant je grommelle quelque chose qui ressemble vaguement à un « Oui, entrez ! »

- Salut Aki !

C’est Hélène. Je tourne les yeux vers elle un instant, avant de reporter mon regard vers le plafond blanc, du plus vulgaire des blancs qu’il soit. Elle s’éclaircit la gorge :

- Aki, commence-t-elle d’une voix assurée, j’ai regardé plus en détail ton dossier transmit au tribunal, et je souhaiterais t’en parler.

Mon esprit se fige. Lentement, je tourne à nouveau mes yeux vers elle. Elle parait troublée en voyant mon regard froid, mais continue quand même, avec toutefois quelques précautions, apparemment rassurée que ma réaction ne soit pas pire.

- Le 13 mars, tu as violemment agressé un homme. D’après les témoins, cet homme était en train de lever la main sur son petit garçon.

Je ne réponds pas.

- Je comprendrais bien que tu ne veuilles pas m’en parler, mais, Aki, j’ai bien l’impression que tu as eu des mauvais moments avec ton père quand tu étais enfant. Et je souhaite vraiment t’aider par rapport à cela, car tu en as besoin, tu ne crois pas ?

Je ne dis toujours rien, continuant de la fixer de ce même regard glacé. Elle parait prendre cela pour une approbation.

- Très bien, Aki. Je suis soulagée que tu acceptes enfin cette aide. Il est temps pour toi de guérir. Et d’aller mieux.

- Allez vous faire foutre, je murmure dans un souffle.

- Pardon ?

- Allez vous faire foutre, je répète, d’une voix forte à présent. Allez vous faire foutre, je n’en ai rien à faire, de votre prétendue aide thérapeutique ! Je pensais que vous l’aviez compris, vous ne pouvez rien faire, rien du tout !! Laissez-moi ! Allez vous faire foutre !

La colère s’empare à nouveau de moi. Mais je ne peux rien lui faire ... pas à elle !

Hélène est bouche-bée, d’une expression qui ne serait pas différente si je l’avais giflée. J’ai l’impression qu’elle va se mettre à pleurer. Heureusement, elle se contrôle, et dit d’une voix saccadée, avant de quitter la chambre :

- J’ai vu ces marques sur ton bras.

J’ai l’impression que l’écho de la porte claquant résonne depuis des heures. Je ne suis plus en colère. Une fois de plus, on me montre que quoi qu’il arrive, on me percera à jour. Que même ces douleurs que j’inflige à ma colère pour la faire sortir ne font pas partie de mon intimité personnelle. Je ne veux pas qu’on lise en moi ! Je ne veux pas être ouvert comme un livre, livré au regard de tous !

Je remonte la manche de mon sweat-shirt. Une série de cicatrices fines, droites et parallèles. Je les compte. 32. 32 blessures. 32 sorties de haine. 32 marques rouges qui soignent bien trop vite à mon goût.32 amies. 32 automutilations que je ne regrette pas. Ou plutôt, presque pas.

Elle ouvrit la porte de son appartement et y déboula, l’esprit en proie d’une grande agitation. Elle la claqua derrière elle et jeta sa veste sur le porte-manteau, sans même s’apercevoir qu’elle l’avait manqué d’un bon mètre.

Elle se précipita dans le salon. Avachi dans le canapé, son copain regardait la TV. Il tourna la tête vers elle, et elle croisa son regard qui à chaque fois l’électrisait, tant par sa couleur bleu-vert que par son extraordinaire franchise. Une fois de plus, celui qu’elle aimait allait-il la rassurer ? Il avait le don exceptionnel de déceler la moindre part de trouble chez elle. Il était bien le seul à en être capable...

- Ça n’a pas l’air d’aller, mon cœur, lui dit-il dès qu’il croisa son regard.

Gagné. Il avait vu. Il appuya sur la télécommande afin de couper la télévision.

- Je m’inquiète. Pour un garçon.

Il ne disait mot, la laissant parler et évacuer avec l’énergie qu’elle avait conservé en elle toute la journée. Elle parlait en pleurant, tant l’émotion qu’elle avait supportée ce jour-là était forte. Elle n’y pouvait rien, elle avait toujours été comme cela.

- Il va mal. Et encore pire que ça. Il se mutile ... et ... il refuse mon aide. J’ai peur pour lui, Andro. J’ai peur de ce qu’il risque de faire.

Andro fronça les sourcils :

- Ce n’est pas la première fois que cela t’arrive. Et cela s’est toujours bien terminé.

- Pas toujours, Andro, pas toujours.

- Presque toujours. Lui était particulier.

- Aki l’est aussi. Il n’est pas comme les autres. Il est différent. Et il ne comprend pas que je le sais.

Andro sourit. Déjà Hélène se sentait mieux, moins embrouillée. Lui parler l’avait toujours réconfortée. Elle s’essuya les larmes de la paume de sa main.

- S’il ne veut pas d’aide, ne lui en impose pas. Tu peux lui monter la voie, mais pas l’accomplir à sa place. Il sait que tu es là, il viendra vers toi s’il en éprouve le besoin. Mais ne brusque pas les choses. C’est à lui de décider.

Elle hocha la tête, puis contourna le canapé pour venir se loger dans ses bras. Il les referma autour d’elle. Lui, sa protection, son soutien.

- Parle-lui de Matéo, lui souffla Andro, avant de rallumer son et image.

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