Culpabilité

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« Quand la douceur d’une parole, fait réfléchir autrement. Quand par le biais de ton souffle, je redeviens un enfant. Quand à travers le tonnerre, vient une avalanche douce. Quand de tes yeux de lumière, tu me perces enfin à jour. Trouver le calme au milieu d’une tempête d’illusions. Un « je t’aime » maladroit, au milieu des saisons. C’est le sixième sens, celui qui conduit à l’abandon. Comme une vague de silence, une tempête d’illusions. Les souvenirs affluent, plus vrais dans ce sens. Je les remodélise, j’en fais des absences. Je regarde derrière, rien sauf un petit garçon. C’est moi qui pleure, ô tempête d’illusions ! Mon souffle est chaud pourtant je suis glacé. C’est le sixième sens, qui taraude mon inné. Au milieu du froid polaire, mon corps n’est que calvaire. Dans un monde de réalité, je ne peux qu’espérer. Mais toi tu es là pour moi, toi qui te prétends mon ami. Mais toi tu me rassures, tu me l’avais promis. Quand je regarde l’illusion, je vois ton honnêteté. Quand je me pose des questions, maintenant je vois l’équité. »

J’ai connu de ces gens. De ces gens hypersensibles. De ces gens dont les yeux se remplissent de larmes à une vitesse déconcertante. De ces gens qui pleurent sans arrêt.

Ces gens, je les considérais comme fragiles, je n’imaginais pas une seconde qu’ils puissent faire face aux épreuves et embûches de la vie. Et bien je me suis trompé. Ils sont forts car ils savent déverser leur énergie au bon moment, et souvent malgré eux. Ils n’ont pas besoin de mots pour comprendre les émotions des autres. Ils lisent dans les pensées les sentiments gravés. Nos fantômes de l’existence, quand notre voix se mure dans un silence. Mieux que quiconque, ils gèrent. Car contrairement aux autres, ils déversent les larmes. Ils ne les laissent pas rester au fond de leurs yeux, et les noyer dans un élan de détresse. Battre le fer tant qu’il est chaud. Ils coupent le choc à sa racine, pour ne pas le laisser les menacer plus longtemps. Ils drainent le poison avant qu’il n’agisse.

Mais au fond, parfois leurs larmes viennent sans cause explicite. Parfois ils sentent ce picotement, lugubre annonciateur. Et là, se dire « Non, je ne dois pas pleurer, ça ne sert à rien, il n’y a aucune raison » ne fait qu’empirer la chose. Non, ils ne sont pas fragiles. Ils le sont tout autant que ceux qui ne sentent jamais une larme au coin de leur paupière. Ils le sont juste différemment, car ils savent soigner la plaie directement. Et quand ils en prennent conscience, alors ils contrôlent déjà mieux leurs pleurs, alors ils les régulent et ceux-ci s’évaporent avant de couler sur leurs joues creuses.

Je suis un hypersensible. Un hypersensible de la colère. Moi, comme eux, je ne peux la retenir. Elle vient et je ne peux l’arrêter. C’est ma réaction, ma façon d’évacuer. Mais elle cause beaucoup plus de dégâts que des larmes versées. Elle m’a envoyé ici. Elle vient dès que le malaise est là. Il suffit que j’essaye de l’arrêter pour qu’elle empire. Est-ce que je ressens maintenant mieux la colère des autres ? Cette aura de pression qui émane d’eux ? Oui. Et devinez quoi ?

Ça insuffle la haine. Ça a des relents de connu. Ça aiguise la rage. Ça attise la fureur. C’est contagieux, et gravement transmissible. C’est le pire de tout. Pire encore que le dernier soupir. Pire encore que l’agonie et l’abandon. Pire que la pluie. Pire que la mort.

Ça y est. Une fois de plus j’y suis. Une fois de plus je dois maîtriser ce nouvel accès de cette colère destructrice. Vivement la prochaine fois que je serai dans ma chambre au centre. Ça empire pour le moment. La fureur monte en moi dès que j’y pense, sans plus de raison. Je deviens de pire en pire. Je dois m’interdire de penser, m’interdire d’y réfléchir. M’interdire l’accès à ce tison qui me ronge le cœur. M’émanciper de cette grêle qui m’écorche le cerveau. De cette enclume bien trop pesante pour moi.

J’étouffe un cri, doublé d’un pleur.

- Calmez-vous ! Calmez-vous et expliquez-moi clairement la situation !

La psychologue tendit une boîte de mouchoir à son client hébété. À peine celui-ci était-il entré dans son bureau, s’apprêtant à reprendre la discussion là où ils l’avaient laissée la dernière fois, qu’il s’était effondré sur sa chaise, l’air anéanti. Cela faisait cinq minutes qu’il était dans cet état, secoué de sanglots hystériques. « Culpabilité ! », pensa-t-elle d’un ton un peu trop professionnel à son goût compte tenu de la situation. Elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la compassion pour cet homme pleurant à chaudes larmes, comme un enfant à réconforter, mais elle ressentait également une certaine rancœur, après avoir vu de ses propres yeux les dégâts occasionnés sur son fils. « C’était beaucoup trop tôt et c’est allé beaucoup trop loin. » Cette pensée, puérile pour une spécialiste comme elle, lui traversa l’esprit. Cela lui donnait plus que jamais l’envie d’effacer cet ombre dans l’âme de ce père. Ce poids qui présentait un danger pour lui, sa femme, et surtout son fils. Elle avait beau lui répéter qu’il n’était pas coupable, elle n’en pensait pas moins au fond d’elle. Et les coupables sont les gens les plus malades de l’intérieur. Il faut les guérir primordialement. Sa devise.

- Ca y est ? Ça va mieux ?, demanda-t-elle d’une voix douce à Mr Walker.

- Ou ... oui. Je ... je suis... j’ai fait .... n’importe quoi... je ... je ne sais pas .... ce qu’il m’a pris...., répondit-il d’une voix saccadée.

Je suis sur les toits, avec deux choses qui me tiennent compagnie, une en particulier. La première, c’est Ewan. Nous sommes assis sur un tuyau d’aération, les pieds posés sur le dur sol de béton. La deuxième est ce nuage de fumée qui m’enveloppe. Il me réchauffe, comme une couverture protectrice. Il me rend rêveur. Mais voilà qu’il se dissipe déjà ! Je tire une nouvelle bouffée, prêt à sentir à nouveau ce nuage doucereux, mais je suis pris d’une quinte de toux tandis qu’il se disperse déjà. Sous la surprise, je lâche ma cigarette qui s’écrase sur le sol mouillé de béton et s’éteint instantanément. Ewan rigole :

- Bon, maintenant t’as vu, comme ça t’auras pas le regret de pas avoir essayé, dit-il, moqueur, quand je me redresse, la gorge en feu.

Il porte à nouveau sa cigarette à sa bouche et aspire une nouvelle bouffée de cette fumée opaque, l’air très professionnel. Il me fixe. Je détourne la tête vers les lumières des immeubles de la ville. Quand je le regarde à nouveau, je remarque qu’il me fixe toujours. Je m’apprête à lui en demander la raison, lorsqu’il prend la parole :

- T’es vraiment pas un type normal, tu sais ?

Je fronce les sourcils :

- Tu penses que des gens qui vivent dans ce centre peuvent vraiment être considérés comme « normaux » ?

- Ce n’est pas ce que je veux dire, reprend-il. Même pour les délinquants, t’es pas normal.

Je baisse les yeux. Cette remarque, sans que je sache pourquoi, me blesse au fond de moi. Mais en même temps, c’est ce que je voulais, ce genre de remarque. Imprévisible.

- Et comment sont les délinquants normaux, d’après toi ?, je lui demande.

Il hausse les épaules :

- Comme moi quoi. Tu t’en fous de tout, t’as aucun respect, tu siffles les mufs et tu tires des joints. La normale, quoi ! C’est à peu près ce que nous dit le dictionnaire, non ? Délinquant, un type qui est dangereux pour la société. C’est pour ça qu’on est censé être ici, pas vrai ?

Je hausse à nouveau les épaules :

- Et pourquoi, d’après toi ?

Il sourit :

- T’es quelqu’un qui se met en colère, direct. Mais c’est sans but particulier, à part te mettre dans tous tes états. J’ai tort ?

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