Gouffre

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Une bourrasque de vent me balaie les cheveux, et me pique les yeux. En-dessous de moi les lumières de la ville. Les lumières de l’enfer. Ça ne me fait plus peur, ou plutôt si, à un tel point que je ne le détermine plus.

J’avance lentement, l’esprit bloqué, le cœur sans émotion. J’avance inexorablement vers le gouffre, vers la fin de cet abîme, vers le début de quelque chose qui sera sans rancune. J’avance à pas de loup, à pas déterminés. Et enfin mon premier pied dépasse le bord, et j’ai l’impression de palper le vide en dessous. Ce vide qui m’attire, dont je ne peux détacher le regard. Ce vide qui m’appartient, qui me rend fou. Ce vide excitant et exaltant. Que vide que j’adore pour son non-sens, pour son omniprésence.

Dans une seconde ma colère ne sera plus. Et moi non plus, je ne serai plus. Dans une seconde qui dépasse tous mes espoirs. Je sentirai la vraie vie qui était en moi. Dans une seconde il y aura ce choc, ce choc que j’espère et accueille avec gratitude. Ce choc que j’attendais depuis des siècles avec démesure. Dans un instant il ne restera plus rien, plus aucun regret, plus la moindre parcelle de haine. Dans un temps qui ne sera que trop court je partirai loin, très loin d’ici, loin de ce gouffre et de ce monde, vers ce lieu de mystère qu’on appelle la mort. Dans cette onde si douce et attractive. Dans ce moment de mouvement définitif. Je le vois maintenant, que c’était de toute façon la seule issue. Je le sais maintenant, que quitter n’est pas une absolue. Je le veux vraiment et je vais le faire. Et ce n’est pas ce que les gens appellent un suicide. Ce n’est qu’une transparence. Vous vouliez savoir ce que je ressentais ? Et bien voilà, vous allez savoir ! C’est le gouffre que je ressentais. C’est le gouffre qui me permettait. Et c’est le gouffre qui va maintenant me sauver. Le temps des regrets est dépassé. Tout comme celui de pleurer. Maintenant je pars sans me retourner. Comme une ombre s’en va. La colère et la rancœur ne sont que des issues de secours, mais éphémères. La colère n’est que la porte, n’est que le miroir. Définitivement. Invariablement. Immuablement.

Et je dois le faire. Maintenant !

C’est alors qu’une douleur me traverse le crâne. On me saisit violement par le bras et on me jette à terre. Je me cogne le front contre le béton et je sens un filet de sang couler devant mes yeux.

- Qu’est-ce que tu fous ?

C’est Ewan. Sa voix montre sa colère infinie. Je le vois en flou lever la main et je ressens la gifle, plus forte que je n’ai jamais été frappé par mon père.

- Ça te remet les idées en place ? Si tu me refais un coup pareil je donne pas cher de ta peau !

Il lève à nouveau le bras et je pense qu’il va me frapper à nouveau. Mais au lieu de cela il me saisit le poignet et m’aide à m’agenouiller. J’essuie le sang de mon visage à l’aide de la manche de mon sweat-shirt.

- J’espère que t’as compris, maintenant, crache-t-il avant de tourner les talons.

Je le regarde s’éloigner, lui qui m’a empêché de commettre le pire. Lui qui a mieux compris que moi. Lui qui veut me faire me soigner, car il pense que mon cas n’est pas irrémédiable. Il pense que j’ai encore une chance. Mais je vais lui prouver qu’il a tort. Car en m’empêchant de faire cela, il a scellé le chemin de ma colère, il l’a empêchée de prendre fin. Très bien. Qu’il en soit ainsi, voici votre jugement.

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