Fernand

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Le premier document que trouve Noella sur Fernand, Internet aidant, est vraiment très intéressant. Aucun doute n’est permis : le « registre matricule » reprend la majeure partie des éléments évoqués par « Le Petit Parisien » et les complète à sa manière, celle de l’administration militaire, à base de cases, de numéros, d’affectations et de subdivisions.

Selon le formulaire, Fernand Garay est né le 8 mars 1898 à Pringles, département « d’Amérique du sud ». Fils de Jules Garay et de Julienne Abadie, tous deux décédés à l’heure où il est recruté pour le service militaire. Mineur, Fernand vit sous la tutelle de Paul Abadie, huissier de justice à Bagnères-de-Bigorre où lui-même travaille comme imprimeur. Ce Fernand a donc un lien avec Bagnères, berceau de la famille Garay. Mais aussi avec Paris, où elle vit, et avec l’Argentine dont elle ne connaît, grosso modo, que l’équipe de football au maillot bleu et blanc et le tango de salon.

Un signalement détaillé pallie sur la fiche de l’Armée l’absence de photo d’identité. Ainsi, un recruteur zélé dispose de cinq items - dos, base, hauteur, saillie et largeur - pour la seule forme du nez d’un conscrit, items auxquels il applique le qualificatif approprié. Mais il peut se contenter de deux ou trois adjectifs qui vont bien. Fernand est donc gratifié d’un grand nez à la base rectiligne. Son front est moyen et incliné à la verticale. Les cheveux châtain foncé, les yeux marron foncé, Le jeune homme mesure 1,67 m, ce qui n’est pas petit pour un individu né au dix-neuvième siècle. On note concernant l’imprimeur un « renseignement physionomique complémentaire » : il a le teint mat. Serait-ce le teint des hommes de la Pampa ? Enfin, Fernand est porteur d’une « marque particulière », une trace légère de kyste à la joue gauche.

Rien de rédhibitoire : Fernand Garay est déclaré « bon pour le service armé » et incorporé au 7e régiment d’infanterie coloniale à compter du 17 avril 1917. Basé à Bordeaux, celui-ci a pour devise : « Là où le père a passé, le fils passera ». Vaste programme.

D’un régiment à l’autre, le soldat de 2e classe est nommé caporal et renvoyé dans ses foyers au printemps 1920. Il « se retire » alors à Bagnères et le certificat de bonne conduite lui est accordé. Fernand fait même l’objet d’une citation pour son « brillant courage », ayant un jour, lors de la campagne contre l’Allemagne, « retardé la marche des détachements d’assaut et résisté énergiquement, repoussant ensuite l’ennemi dans ses lignes ».

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Croix de guerre, étoile de bronze, Fernand revient donc à Bagnères où l’attend son frère Antoine. De deux ans son cadet, celui-ci avait été ajourné à trois reprises pour « faiblesse » par le Conseil de révision des Hautes-Pyrénées et il se languissait du retour de Fernand. Depuis leur enfance sud-américaine, puis l'adolescence chez leur grand-mère bagnéraise, les deux frères étaient inséparables. À tel point qu’on aurait pu les croire jumeaux. Ils se parlaient parfois en espagnol avec un accent chuintant qui n’appartenait qu’à eux et rendait leurs propos encore moins compréhensibles pour leur entourage. Cela les amusait beaucoup. Puis, l’aîné était parti sous les drapeaux et Antoine avait été embauché comme machiniste au Tramway de la Bigorre.

À Bagnères, Fernand retourne voir Albert, son ancien patron, qui le reçoit à bras ouverts. « Il y aura toujours une place, ici, pour les braves comme toi ! Viens, mon garçon, bien sûr que je te reprends. Et content de te voir rentrer en un seul morceau ! » Fernand lui en était reconnaissant. Qu’aurait-il fait autrement ? Mais il ne suffit pas de revenir et de retravailler au même endroit pour que tout redevienne comme avant. Les mois passent et Fernand n’est plus vraiment le même, il a parfois du mal à se concentrer. Certes, il a gagné en maturité mais il souffre, en même temps, d’un excès de gravité. Il aimerait bénéficier d’un peu de légèreté, comme il sied aux gens de son âge, et pouvoir oublier tout ça, ces années de folie, cette boucherie sans nom. Et pourquoi lui était-il resté en vie ?

Combien d'hommes ne sont jamais revenus ? Comme son frère Pierre, dont le décès avait été constaté en février 1917, deux mois tout juste avant le départ de Fernand pour le régiment. Car c’était lui, en réalité, l’aîné, ce Pierre dont on n’osait plus prononcer le nom depuis qu’il avait, un jour d’automne 1914, disparu à la Côte Sainte Marie, près de Saint-Mihiel, en Lorraine.

Or, en ce mois d’avril 1921. le Tribunal civil de la Seine venait justement de rendre un jugement déclaratif « en faveur » du caporal Garay, fixant très précisément la date de son décès au 2 octobre 1914. Un courrier avait été envoyé à sa dernière adresse connue, avenue du Roule à Neuilly. En outre, Euphrasie, la concierge de son immeuble, avait conservé, dans deux petites valises marron, les effets personnels ayant appartenu à Pierre quand le propriétaire de son meublé avait souhaité le reprendre pour le louer à quelqu’un d’autre. Elle ne l’aurait pas fait pour n’importe qui, tenait-elle à préciser, mais monsieur Pierre était bien gentil, bien aimable, et toujours bien mis. Et puis, en temps de guerre, il fallait s’entraider, n’est-ce pas ? Mais maintenant, la guerre était finie et elle ne pouvait garder ces valises indéfiniment dans sa loge : le courrier du Tribunal civil le lui avait cruellement rappelé. Elle priait donc un membre de sa famille, à Bagnères-de-Bigorre, de bien vouloir se donner la peine de venir récupérer les affaires de monsieur Pierre à Neuilly car, même s’il n’y avait pas grand chose à garder, ça n’était certainement pas à elle de les trier et encore moins de s’en débarrasser. Elle en avait déjà fait bien assez comme ça.

Et c’est ainsi qu’Antoine et Fernand décidèrent de solliciter, tous deux, un congé exceptionnel pour se rendre ensemble à Paris. Pas question, en effet, que l’un des deux s’y rende sans l’autre, c’était une affaire à régler en famille. Et puis, s’ils pouvaient rester un jour ou deux sur place, ils en profiteraient pour visiter la capitale et s’amuser un peu.

Ce qui fut fait et bien fait, dès le début de l’été. Et ce voyage inattendu allait bientôt changer le cours de leur existence.

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