II

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Lorsque la voix de cet empaffé de présentateur me gueule son bonjour enjoué des vendredis ensoleillés, j'ai la confirmation que ma nuit a été trop courte. Mon réveil va bouler brutalement sur la moquette, qui le sauve une fois de plus de l'explosion finale, mais les spots publicitaires ont tôt fait de me jeter hors du lit pour les faire taire. Écrasant dans un bonheur métissé de souffrance l'appareil, qui se tait enfin pour que le silence puisse accueillir mon chapelet de jurons étouffés, je clochetine à travers la pièce pour saluer de la hanche le coin de mon bureau puis du coude le chambranle de la porte. Tandis que je halète façon parturiente sur le palier le temps que la douleur achève de me rejeter sur la grève de ce jour de Vénus tel un ivrogne dégueule sa cuite sur les trottoirs pisseux du petit matin, je masse les différentes zones victimes des mauvaises ondes radio.

Quand la souffrance reflue enfin, mes yeux sont grand ouverts sur la fosse enténébrée des escaliers. J'opte donc comme à mon habitude pour mes ablutions matinales et me contente d'un pas de côté pour me réfugier dans la salle de bains. Encore à peu près frais de ma douche de minuit et pas complètement fripé par cette nuit anecdotique, je me toilette sommairement et, pensant soudain à Béatrice, j'exhume de mon placard une bouteille neuve de parfum dont je m'asperge généreusement. Les narines assaillies, je fais retraite dans les marches et entame ma laborieuse descente.

Un peu barbouillé, je me fais chauffer un café et, par acquit de conscience, je mets une tranche de pain dur à griller. Maussade d'abord, ma faim ne tarde pas à devenir dévorante et je me jette sur ce repas, le premier depuis une éternité - à vue d'estomac. Je tartine la première de beurre tandis qu'une deuxième grille, puis une troisième, auxquelles j'ajoute confiture sur l'une et Nutella sur l'autre. Une seconde tasse de café vient faire tremper tout ça et, enfin rassasié, je me sens désormais prêt à affronter Vénus et toutes ses heures, les bonnes comme les mauvaises.

Fatigué mais déterminé, je décide de partir un peu en avance pour prendre l'air. Je salue ma mère qui me serre dans ses bras, émue, avant de me souhaiter bon courage, puis je me dirige vers mon arrêt de bus.

Le ciel du petit matin est encore gris de nuit mais l'odeur lourde et acre des fumées d'échappement est déjà omniprésente et presque suffocante. Pourtant, je sais par habitude que je ne la remarquerai même plus d'ici quelques minutes. À l'est, les toits des immeubles s'auréolent d'or sanguinolent tandis que les accalmies du trafic laissent deviner par instant le chant timide de quelque oiseau. Les passants pressés traçant vivement leur route dans l'indifférence, mains enfoncées dans leurs poches et menton rentré dans la poitrine, me rappellent d'autres matins, dans le quartier juif, et je m'attends presque à voir débarquer une patrouille de la SS. Mais ces passants-là n'ont pas une étoile jaune cousue sur leur manche. Et je ne suis plus celui à qui appartient ce souvenir.

Le bus me dépasse alors que j'arrive à son arrêt et m'embarque dans la foulée. Je prends d'habitude le suivant mais je descendrai plus tôt afin de prendre tranquillement à travers le parc l'itinéraire touristique qui peut seul faire apprécier le trajet routinier des esclaves des temps modernes.

Je descends donc avenue Joliot-Curie et pénètre dans le parc André Malraux. Familiers de l'endroit, mes pieds trouvent seuls leur chemin à travers les nombreuses allées du parc qui serpentent entre les pelouses et les bosquets. Les joggers sont comme d'habitude une gêne omniprésente avec leurs uniformes bariolés, leurs greffons technologiques et leurs halètements d'athlètes réglés comme des montres Swatch, mais ils sont une contrepartie acceptable à l'éloignement du vacarme pétaradant et klaxonnant des moteurs et l'atténuation sensible des fumées irritantes et nauséabondes. Et puis leur présence ici serait difficile à interdire et je dois bien m'en accommoder...

Autre obstacle bien plus problématique, des meutes de canidés, heureusement en laisse, m'obligent régulièrement à des détours, serrant les poings pour maîtriser ma panique

Lorsque j'atteins enfin le petit lac creusé au centre de ce carré de verdure en plein bitume, je m'octroie royalement quelques minutes d'insouciance sur mon banc, face à l'eau, en retrait de l'allée principale où se pressent tant de piétons en transit et, en inclinant ma tête sur le côté sans trop lever les yeux et en détournant mon corps du flot de la foule, j'aboutis à une posture assez miraculeuse où ma nonchalance feint de se laisser tromperie par la duperie à laquelle je soumets mes sens pour me croire un moment absolument seul sur Terre dans la quiétude apaisante d'un site sauvage et accueillant.

Bien évidemment, une floppée de jurons orduriers et énergiques explose à quelques mètres de là sur le passage d'un cycliste un peu trop frénétique, ou celui d'un piéton carrément psychotique, et je reviens de mon paradis éphémère vers notre enfer délétère.

Résigné, je reprends mon chemin.

Chargé de tous ces marcheurs esclaves du petit matin, le parc a des allures d'usine sinistre et l'aire de jeu du bout du lac, désertée à cette heure, semble plus que tout le reste manifester le détraquement de l'univers et la morbidité de la course en rond et stérile de notre planète autour de son Soleil.

Je quitte le vert pour le gris.

Comme à leur accoutumée, mes pas me conduisent à travers le cimetière nouveau. Même si les alignements de pierres dressées au garde-à-vous me sont familiers, ils prennent aujourd'hui un autre poids dans mon esprit : ils sont le rappel froid, percutant mais pétrifié, de tous les morts qui peuplent désormais l'intimité de ma conscience. Chaque fosse renferme soudain l'un de mes défunts qui me sourit tristement. Il y a Sophia et ma mère, Alim, bien sûr, mais aussi Ada, Hilda ou Shlomo. Mais dans certaines aussi se tapissent, grimaçants et haineux, tous les bourreaux de mon passé : Peter et sa clique, des pelotons de nazis aux sourires sanglants de vampires au bras dressé... Et, même si je m'interdis d'y penser, je sais que deux tombes, quelque part, abritent les corps douloureusement familiers de Samba et Ernst...

Tandis que je presse le pas, tiraillé par une peur sourde, je sens des larmes couler sur mes joues. Quand je débouche enfin rue des Longues Raies, je suis pris de vertiges, de nausées et de sueurs froides qui me forcent à m'appuyer quelques instants contre le mur du cimetière le temps de reprendre haleine et le contrôle de mon corps. Un coup d'œil à ma montre m'enjoint à prendre sur moi et à filer dare-dare au bout de la rue rejoindre l'immeuble où m'attend impatiemment mon bureau.

Et où je vais retrouver Béatrice.

Et Hinergeld.

Je repars, allongeant ma foulée, à la fois pressé d'arriver et inquiet d'avoir à nouveau à affronter mes collègues. En effet, j'ai eu beau réussir je ne sais comment à améliorer leurs conditions de licenciement, ils n'en sont pas moins mis à la porte comme des malotrus alors qu'on m'a gardé, moi, dont ils savent pertinemment que je ne leur arrive pas à la cheville. J'ai du mal à leur en vouloir d'être si remontés contre moi. Moi-même, à leur place, je crois que je déborderais de fiel et de feu.

Mais bon... Une part de moi ne m'apprécie déjà pas beaucoup et une autre me méprise méchamment de me trouver dans cette situation de lapin pris dans les faisceaux d'une voiture déboulant à tombeaux ouverts. Si je n'avais pas pour me consoler la conviction qu'Hinergeld a cherché à me piéger et la miraculeuse intervention de Prakaash pour me permettre de me sortir de cette impasse qu'était devenue ma vie, je me cracherais à la gueule et me giflerais.

Malheureusement, ce réconfort inespéré pèse bien peu face au regard triste et outragé de Béatrice qui m'a crucifié devant l'ascenseur, hier, avant que ses mâchoires ne m'avalent pour me digérer négligemment avant de me déféquer, abattu et désemparé, dans les caniveaux du crépuscule.

Aujourd'hui, j'étais fermement déterminé, fort de mes récentes mais incontestables victoires, à reprendre ma vie en mains et à aller de l'avant, mais la fatigue et les doutes rongent ma volonté et font vaciller mes forces.

Le plaisir ressenti dans l'élévateur me regonfle quelque peu, mais c'est rien moins que confiant que j'aborde mon étage. Alors même que chacun est à son poste - mon retard ne devrait pas passer inaperçu -, je remarque le silence anormal qui règne sur les lieux. Certains crânes émergeant des boxes m'incitent à regarder comme eux vers le bureau d'Hinergeld.

Quelques instants, dans le silence tendu qui m'entoure, j'essaie de comprendre la scène étrange que j'ai devant les yeux. Au travers des stores semi-baissés du bureau, j'aperçois le dos d'Hinergeld, affairé. Assis à son bureau, je devine quelqu'un en costume sombre, immobile. Lorsque Hinergeld se décale enfin, je découvre un homme d'une trentaine d'années, brun aux cheveux courts et brillants dans un costume sévère. Les mains fines tapotant sur la surface du bureau, il suit d'un regard satisfait la sortie de notre directeur. Quand la porte claque légèrement derrière lui, je vois enfin qu'il transporte un petit carton, avançant à petits pas le long des allées du service, épaules basses devant les regards surpris et insistants de mes collègues.

Arrivé devant moi, il lève des yeux cernés sur moi, et j'y lis un profond désarroi mêlé d'une incompréhension douloureuse. Il me fixe intensément.

Alors seulement je comprends ce qui aurait dû me sauter aux yeux. Je baisse alors les miens sur mes chaussures et, après un instant de silence pesant, Hinergeld disparaît dans l'ascenseur. Tout reste figé de longues secondes tandis que le ronronnement de l'appareil s'éteint peu à peu. Puis un susurrement enfle pour devenir chuchotis et, rejoint par d'autres, se répand comme une traînée de poudre à chaque box qui devient à son tour source de murmures. Mais la clameur reste sourde, contenue, et ne s'autorise pas à devenir liesse malgré ses aspirations légitimes à éclater.

Hinergeld vient de se faire renvoyer. Licencier. Virer comme une vieille chaussette sale. Lui qui a voulu nous jeter comme des mouchoirs en papier à peine la basse besogne accomplie, tels des ordures vidées négligemment, il a pris la porte le premier. C'est à mourir de rire de mesquinerie revancharde.

Ou seulement triste, à bien y réfléchir.

Mais peut-être seulement pour moi qui ne suis pas innocent à cette évacuation expresse qui a toutes les apparences de représailles pour faute grave.

Il n'y a pas que des sourires, en effet, à contempler les visages perplexes des autres. Je réalise tout-à-coup que les moins hilares regardent désormais vers la direction et son nouveau résident.

Résident qui nous observe.

Insondable.

Les têtes se tournent vers lui l'une après l'autre et les voix se meurent, comme fauchées en plein vol par les traits foudroyants de ce regard d'acier qui accomplit le notable exploit d'ajouter des braises d'incertitude sous nos fesses résignées de chômeurs en sursis mais assurées du coup de pied au cul puisqu'elles sont déjà en plein vol vers le trottoir et bleues des ecchymoses de la honte.

Quand tout le monde s'est tu, l'homme se redresse, félin toujours concentré sur ses proies et, toujours impénétrable, il nous rejoint dans l'espace collectif. Dans l'absence totale de bruits, je constate avec effroi qu'il est près de neuf heures et qu'aucun appel n'a encore été passé aujourd'hui. L'employé en moi est horrifié, même si la graine de rebelle que je couve discrètement s'en réjouit.

- Bonjour !

Sa voix est énergique, chaleureuse, et son sourire impeccable. Les mains croisées dans le dos, il nous tient pourtant fermement accrochés à ses lèvres.

- Je suis Pierre Rorgal et je prends dès aujourd'hui la succession de monsieur Hinergeld à la tête de ce service. Je sais que beaucoup de choses ont été dites ces derniers jours. Certaines reflètent la vérité mais d'autres la déforment, voire la mettent en péril.

Nous sommes quelques-uns à nous interroger d'un regard sur la signification de ce préambule ponctué d'une pause lourde. J'en profite pour repérer Béatrice, plus loin sur la droite, devant son bureau. Elle ne regarde pas vers moi et reste suspendue aux mots de l'étranger.

- Notre entreprise doit faire face à une concurrence de plus en plus acharnée, tant au national qu'à l'international. Et nous ne sommes plus aussi compétitifs qu'auparavant. C'est pourquoi nous avions demandé à votre supérieur, monsieur Hinergeld, de faire preuve de pédagogie et d'humanité en vous expliquant notre profond regret à devoir nous séparer de ce service et des précieux collaborateurs de confiance que nous y avions affectés.

Là, je m'attends bien sûr à des grincements de dents ou des ricanements sarcastiques mais, ou mes camarades ne partagent pas mon sens de l'absurde, ou ils sont toujours pris au piège de notre sorcier du suspense.

- Nos employeurs considèrent cette société comme une institution de service public puisque nous offrons aux ménages les plus modestes les moyens de goûter aux conditions de vie qui leur seraient sinon inaccessibles. Plus encore cette entreprise est pour eux une famille. Et on ne met pas en danger toute une famille lorsque l'un de ses membres n'est pas à la hauteur : comme pour une gangrène, on ampute prudemment la partie malade pour préserver l'organisme et lui permettre de regagner en vivacité. C'est pourquoi monsieur Hinergeld nous quitte aujourd'hui : il a failli à sa tâche de chef de famille comme de chirurgien. En modifiant les conditions initiales de restructuration décidées par la tête, il a occasionné une hémorragie que notre corps ne peut supporter sans risque de faiblir ou de s'infecter. Pire, il a pris sur lui de mettre en œuvre ces nouvelles modalités en abusant de la confiance qui lui avait été accordée au travers de ses prérogatives de directeur des ressources humaines en charge des questions de personnel. Je suis donc parmi vous aujourd'hui et jusqu'à l'arrêt de ce service dans trois semaines afin de minimiser au mieux les conséquences de ce sabotage.

La tension est devenue palpable. Moi qui pensais avoir sauvé les meubles grâce à mon tour de passe-passe d'outre-tombe, je crains soudain de revenir à la case départ, option coup de pied au cul pour donner de l'élan...

- Étant donné le risque que monsieur Hinergeld fait courir à notre société par son irresponsabilité en ayant sans nous consulter procédé à une contractualisation des nouvelles dispositions irréfléchies qu'il a prises hier, je surveillerai sévèrement le travail et le comportement de chacun d'entre vous afin de m'assurer qu'aucun employé ne bénéficiera de ce cadeau de départ indument s'il a démérité notre confiance. Je suis persuadé que vous partagez ce sens de la probité qui m'animera jusqu'à la fermeture de ce service et que vous contribuerez à ce que justice soit faite en me faisant savoir toute irrégularité dont vous aurez eu connaissance. A cette fin, je vous recevrai tous en entretien individuel dans les prochains jours et je vous remercie de votre coopération. Vous pouvez commencer le travail. Bonne journée.

Il nous tourne brusquement le dos dans un demi-tour martial et retourne vivement de son pas dynamique à son bureau. Un silence s'installe durant lequel les regards se croisent, se cherchent, s'évitent, s'affrontent ou se soutiennent puis, soudain, comme si le fouet de la sourde menace de Rorgal venait de claquer, chacun s'assied précipitamment à son poste et on entend le pianotement fébrile de plusieurs centaines de doigts sur les claviers. Je n'ai eu le temps que de voir disparaître la chevelure brune de Béatrice derrière les parois de son box.

Je regagne rapidement le mien et imite mes collègues. J'essaie de me concentrer sur ma tâche, ébranlé par le discours inaugural de l'usurpateur de trône. Et peut-être aussi déstabilisé par les doutes qui me rongent, tant pour ce que j'ai accompli en vain que pour les nouveaux défis qu'il va falloir que je relève.

A la pause de midi, c'est abattus que mes collègues vont déjeuner. Je reste assis à ma place, moi-même peu enclin à l'enthousiasme. Dans le silence qui s'abat sur l'étage, je fixe sans le voir mon écran qui est passé en veille et où flottent à présent les formes abstraites des chiffres d'un décompte : celui de cette pause, ce trou dans ma journée où j'ai la sensation de chuter vertigineusement, celui de mes dernières heures dans l'entreprise avant de sombrer dans une précarité de handicapé sans ressources. Celui de ma vie qui m'échappe...

- Baptiste ?

Je reviens au monde dans un sursaut burlesque.

- Désolée de t'avoir fait peur...

Béatrice.

- Bonjour Béatrice.

Je tâche de réprimer le sourire idiot qui tente d'envahir mon visage pour lui conférer un air niais au simple plaisir de prononcer ce nom, de voir ce visage devant moi et de m'adresser à un être humain qui ne partage pas mon nom de famille mais qui ne semble pourtant pas éprouver pour moi qu'une vague indifférence méprisante.

- Comment ça va ? dis-je, voyant qu'elle peine à poursuivre et pour tenter de rétablir ce lien qui m'avait paru naître cette semaine.

- Comme tout le monde, je suppose. Sous le choc. Inquiète. Et toi ?

- Pareil.

Au temps pour mon éloquence...

- Je voulais m'excuser pour hier. Tu as essayé de m'aider et je me suis montrée agressive. Je tenais à te dire que je te remercie, même si ça n'aura peut-être servi à rien au final...

Sensation d'uppercut dans l'estomac. J'ignore ce qui fait le plus mal de ma vanité toute neuve qu'elle piétine avec tant de facilité ou de sa résignation tragique qui provoque en moi un soulèvement protecteur. La gorge nouée, je ne parviens pas à répondre. De toute manière, je ne trouve rien à répondre et je suis ravi qu'elle s'éloigne avant que mes yeux ne s'embuent de manière embarrassante.

Et c'est ainsi que la journée s'étire, dans une morosité fébrile. La pause déjeuner me rend à ma solitude dans l'étage déserté. Tandis que je mâche mécaniquement ma salade de pâtes, le regard vitreux dardé sur mon écran aveugle, j'y distingue soudain une silhouette fantomatique qui s'immobilise en son centre.

- Monsieur Roths, je présume ?

La voix du fantôme manque me laisser stupéfié et coi quand je comprends et me redresse brusquement pour faire face à mon visiteur aux approches spectrales et glaçantes. Pierre Rorgal. Un poisson bien plus coriace à ferrer, c'est visible. J'avale ma bouchée de pâtes cartonneuses.

Ne sachant à quoi m'en tenir, je joue la prudence - du moins je ne cherche pas à trouver la force de briser mon mutisme - et je hoche la tête imperceptiblement.

- J'ai commencé à étudier les dossiers du personnel et je m'interroge sur la préférence que mon prédécesseur vous a accordée - à vous et à madame Rézon. Certes, votre ancienneté peut apparaître à première vue comme un gage d'expérience et d'efficacité, mais c'est une impression qui ne tient pas face à une analyse objective, et vous en avez absolument conscience.

Rorgal m'épingle à travers les viseurs acérés de ses lunettes chromées et il fait un pas de plus vers moi, dardant un indexe menaçant vers mon cœur, qu'il martèle à deux reprises pour appuyer son discours.

- J'ignore comment vous avez manipulé Hinergeld au point qu'il se compromette ainsi pour vous et votre amie, mais vous ne m'abusez pas sous vos airs inoffensifs et derrière les prétendues difficultés qui vous ont valu toutes ces années une grande mansuétude malgré les résultats décevants que vous obtenez ! Je vous ai à l'œil, vous et votre collègue, et vous ne profiterez jamais de votre promotion ! Vous quitterez comme vos collègues notre groupe ; mais vous regretterez vos manigances, croyez-moi ! Vous êtes attendus au siège lundi sans faute rue Colbert à neuf heures. Ne soyez pas en retard !

Après une nouvelle mais heureusement vaine tentative pour me transpercer le cœur de son doigt vengeur, Rorgal exécute une volte brutale et regagne vivement son nouveau bureau, entraînant dans son sillage des post-it imprudemment fatigués de leur adhésion fataliste à leurs supports. Tandis que les petits bouts de papier achèvent leur danse automnale à la suite de cette bourrasque intempestive, je me remets à respirer, prenant soudain conscience que l'agression inattendue m'avait bel et bien coupé le souffle !

A quinze heures, décidant de ne pas traîner à proximité de ce taré irascible, je réunis rapidement mes affaires et saute à bord de mon nouveau manège préféré, direction la sortie.

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