Le rituel : II

15 minutes de lecture

Attention, ça pique un peu, ici. Si vous trouviez que j’allais déjà trop loin avec Tínin l’araignée, si l’orc Krorgo et ses menaces de dun-dun vous ont dérangés, et si vous pensez être choqué par les passages de sexe violent, à la limite du consensuel et du monstrueux, je vous conseille de sauter ce chapitre. Vous pourrez facilement suivre l’histoire sans connaître les détails glauques du rituel d'union khari...

*

Toujours résolue mais un peu moins fière, je fus conduite au temple de Lethë. Dans les grandes lignes, je savais comment ce rituel allait se dérouler. On m’avait dit que j’allais perdre beaucoup de sang, et qu’il me faudrait faire la preuve, répétée et sans la moindre hésitation, d’un grand courage et d’une détermination sans faille. Serais-je capable de tenir ma configuration ? L’odeur des poisons et des parfums dont on enfuma notre procession, particulièrement entêtante, me déconcentrait.

Le temple était aussi ignoble que le reste de Kharë était beau. D’extérieur, il ressemblait à un stalactite géant, qui tombait dans un lac d’un vert fluorescent et peu avenant. Les vapeurs âcres qui s’en dégageaient, piquant les yeux et râpant les voies respiratoires, fournissaient une indication claire sur sa composition : acide sulfurique à 90 %.

Pour y entrer, il fallait passer un pont qui n’était rien d’autre qu’une toile d’araignée géante. Arrivée à ce stade, vaguement écœurée, je me figeai comme un bio-golem récalcitrant.

— La soie khari est la plus solide qui soit, m’encouragea ma guide, se méprenant sur la nature de mon refus. Vous ne craignez rien.

Arrêté au milieu de la toile, Ren me regardait. En me perdant dans son regard d’émeraude pure, plus vert et phosphorescent encore que le lac sous nos pieds, je sentis ma détermination se raffermir. C’était pour lui que je faisais tout ça. Lui et lui seul. Je pris mon courage à deux mains et passai.

L’intérieur du temple me réservait d’autres ponts, et d’autres horreurs. La statue géante de Lethë, pour commencer. Elle faisait passer toutes les figurations de dieux ældiens que j’avais vues jusqu’ici, dieu de la guerre de l’Elbereth compris, pour des décorations de la fête de Sol-Invictus. Imaginez une arachnide de dix mètres de haut, en position de combat, céphalo-thorax bombé et rayé, surmontée par le haut du corps d’une magnifique elleth à la poitrine glorieuse mais au visage grimaçant, et dont l’entrejambe coupée aux genoux et ouverte à tous les regards figurait en fait la bouche dentue de la créature.

— Magnifique, n’est-ce pas ? Une telle puissance, une telle beauté… C’est auprès de Lethë-la-superbe que vous allez prononcer vos vœux, m’apprit ma guide avec un sourire faussement tendre.

Je compris qu’il fallait avoir une tournure d’esprit ældienne pour apprécier pleinement cette œuvre d’art.

On nous mena au cœur du temple, où se trouvait un autel lui même monté sur une dalle de quartz, qui flottait à environ cinquante mètres au-dessus du lac d’acide. Pour y accéder, deux ponts se faisant face à face, en quartz eux aussi, et de la forme d’une barre triangulaire dont l’arête était dirigée vers le haut. Il fallait traverser cette arête, en défiant les lois de la gravité et de l’équilibre, pour rejoindre le lieu de la cérémonie.

— L’époux franchira la porte de l’Outremonde, l’épouse celle de Tyrn-an-nnagh, ordonna la Mère en chef, qui siégeait sous la statue à la place d’honneur.

La guide m’emmena jusqu’à l’entrée du pont. Ren, qui devait se positionner de l’autre côté, passa derrière moi.

— Ne pense à rien et regarde droit devant toi, murmura-t-il à mon intention. Pose juste un pied devant l’autre, sans réfléchir. D’ailleurs, je te conseille de débrancher ton cerveau, pendant ce rituel. Fais un petit tour en orbite.

Et sur ces mots mystérieux, il me fourra discrètement une pilule dans la main. Je jetai un œil dessus : du silentium, la camisole chimique la plus puissante de l’arsenal du SVGARD. Où et quand Ren s’était-il procuré une telle chose ? Il s’agissait du psychotrope le plus difficile à obtenir dans la galaxie.

Je suivis mon compagnon du regard, alors qu’il longeait les bords de l’abîme menant au lac d’acide. Ren était décidément plein de surprises.

Mais je lui faisais confiance. Alors, gardant les yeux résolument fixés sur l’autel de pyrite qui m’attendait à l’autre extrémité du pont, je posai le pied sur l’arête de quartz. Un pas… Puis deux. Et trois. Face aux sældar, la moindre hésitation pouvait être fatale. Depuis les épreuves sur Æriban, je le savais.

Je me retrouvai vite de l’autre côté, sans avoir senti l’angle aigu de l’arête sous mon pied nu. En réalité, il s’agissait d’une illusion. La surface était plane.

— Sa foi est grande ! s’exclama la vieille rostre. Parfait. Elle en aura besoin !

Ren et moi furent conduits face à face, chacun à une extrémité de l’autel – en fait, une dalle de pyrite. L’officiante – amie de Raziel nous avait suivis. Elle se rapprocha et saisit nos deux mains, une impressionnante dague sacrificielle dans l’autre. Bien sûr, le pommeau était orné d’une belle araignée.

— Jusqu’où es-tu prête à aller pour que Lethë te concède l’un de ses fils ? m’interrogea la vieille Mère d’une voix qui faisait trembler la caverne. Es-tu prête à tout braver, tout sacrifier, tout subir ?

— Oui, hurlai-je en retour, je le suis !

— Aucun regret, alors. Que le rituel commence ! glapit la Mère en chef en brandissant un sigil aussi noir et acéré qu’elle.

À ce signal, d’un seul geste, les Mères firent tomber leurs shynawil, révélant leurs corps nus. Certains étaient sculpturaux. Mais ce n’était pas le cas de tous. Celui de la vieille rostre, par exemple, était un sac de peau évoquant le corps torturé des membres de la secte hérétique dite des « desséchés ».

De notre côté, la suite se déroula dans une certaine confusion. La fumée me piquait les yeux : je ne comprenai qu’un mot sur deux et me contentai d’acquiescer du bout des lèvres à tout ce qu’on me disait, le regard de Ren posé intensément sur le mien. Était-il nerveux, lui aussi ? Je savais Ren secret et discret. Devoir faire l’amour devant tout le monde ne devait pas le réjouir. Peut-être avait-il peur de ne pas y arriver…

— Que l’on accomplisse le sacrifice !

Le couteau fusa, et je me retrouvai avec l’avant-bras entaillé jusqu’au coude. Ren me le maintint au dessus du bol du sacrificateur, alors que je faisais de même avec son autre bras. Puis on nous tendit la coupe contenant nos deux sangs mélangés, dans laquelle j’avais vu la prêtresse ajouter une substance jaunâtre. Du venin d’araignée sacrée, d’après ce que j’avais compris.

— Fais-le boire, m’ordonna l’officiante. Qu’il n’en perde pas une goutte. C’est lui, surtout, qui doit boire l’ambroisie de la Noire Mère !

Je compris que cette potion avait valeur d’aphrodisiaque. Ce serait en effet catastrophique si l’époux n’arrivait pas à faire monter le ponton… Si de telles difficultés existaient chez les ældiens, bien entendu. Je n’avais jamais posé la question à Ren. Il ne m’aurait pas répondu.

Ce fut enfin mon tour de boire l’immonde élixir. Je surmontai ma répulsion et trempai mes lèvres dans la liqueur d’araignée. J’avais juré que je pouvais tout endurer. Le sang de Ren était lourd et noir, c’était un ichor épais dont le goût n’était pas si désagréable, mais le lourd parfum répandu dans la pièce devenait écoeurant.

— Qu’on prépare l’épouse ! ordonna la Mère. Et qu’on lui présente son mâle.

Une poigne ferme me tira brusquement les bras en arrière pour m’allonger sur l’autel. La pilule de silentium roula à terre, sans que je puisse la rattraper. Mon piwafwi – sous lequel j’étais nue – me fut ôté sans ménagement d’un coup de dague sacrificielle. Je sentis qu’on me prenait les chevilles et les poignets pour les attacher, et je pris peur.

— Pourquoi m’attache-t-on ? m’inquiétai-je.

Sous son lourd diadème arachnéen, la prêtresse me jeta un regard plein de malice.

— Tu es une lumineuse en terre noire : c’est donc toi, et non lui, qui doit être attachée. On sait que les sorśari sont promptes à fuir ce genre de rituel. Or, une fois qu’il est lancé, plus d’échappatoire : vous devrez aller jusqu’au bout ! Lethë ne tolère pas les faibles résolutions. Allez, cesse de piailler et donne tes poignets ! Conserve ta voix pour ce qui va suivre.

J’avais juré que j’étais prête à boire le calice jusqu'à la lie. Je ravalai donc l’angoisse qui montait dans mon ventre, me concentrant sur Ren qui attendait devant moi, la mine sombre. Je croisai son regard. Il avait abandonné son air de reproche pour me fixer avec résolution, comme s’il était déterminé, désormais, à aller jusqu’au terme de ce rituel absurde.

On me « présenta » Ren, nu lui aussi. Pour ne pas l’humilier, je ne lâchai pas son regard. J’étais plus désolée pour lui que pour moi, avant de comprendre qu’il avait l’habitude d’être à la merci d’ellith sadiques et dominantes. Il laissa une officiante lui tâter le paquet sans moufter, ce qui moi, me fit réagir.

— Hé ! Qu’est-ce que vous faites ?

— Je vérifie qu’il a bien ses fièvres, grogna la femelle en dardant sur moi un regard mauvais.

— Mais vous savez déjà que c’est le cas !

— Aucun détail ne doit être laissé au hasard, répliqua-t-elle avec un sourire de dague. Allez, à ton tour !

Mes jambes furent écartées l’une de l’autre lorsqu’on tira sur la chaîne. Je sentis une brise fraîche caresser mon intimité, ouverte à tous les vents. Une main plutôt brutale me badigeonna d’un produit chaud et gluant, dont le contact me fit sursauter. L’opération fut complétée par un coup de griffe intrusif, qui me fit rugir.

— Je ne vous permets pas ! protestai-je, à bout.

— Tu me remercieras, idiote ! ricana-t-elle avant de s’éloigner.

J’espérais que ce lubrifiant extraterrestre ne soit pas un sous-produit arachnide, comme à peu près tout ce que j’avais vu jusqu’ici. Mais, quoi qu’il en soit, il produisit sur moi un drôle d’effet. Je me tortillai, invitant Ren, qui se contentait de me fixer en silence, à venir accomplir son office.

— Dépêche-toi, lui intimai-je, profitant de la récitation des officiants, qui levaient en l’air le bol de sang en psalmodiant sans nous prêter plus attention. Plus tu attends, plus je reste exposée là, les jambes écartées devant ces gens ! Qu’on en finisse.

Même si je ne pouvais pas les voir, je savais que les ædhil de toutes les maisons nobles de Kharë – et d’autres encore – nous dévoraient du regard. Pour eux, c’était le spectacle. Cachés dans l’ombre, ils restaient invisibles, mais je sentais leur présence, pesante, menaçante et attentive. Ils se nourrissaient de nous, de notre honte et de notre peur.

Ren continuait à me fixer en silence. Visiblement, il savait des choses que moi, j’ignorais.

— Tu peux partir, lui ordonna alors l’officiante.

Alors, comme à regret, mais sans m’accorder un dernier regard, Ren me tourna le dos. Il disparut dans les volutes d’encens et de psychotropes.

— Que… Quoi ? Mais… Ren ! glapis-je. Reviens ! Pourquoi le fait-on partir ?

— Afin d’officialiser cette union aux yeux de notre Mère, tu dois d’abord être offerte à l’un de ses fils, un hybride du plan extra-dimensionnel où elle réside. Tu n’es pas sans savoir que, lorsque notre Mère fut exilée, elle conclut un pacte avec les démons de l’outre-monde. C’est là l’origine de notre espèce, les khari : les descendants de Lethë-l’exilée. Toutes celles qui demandent sa bénédiction doivent passer par la même épiphanie. Une fois cette union sacrée consommée, tu retrouveras celui qui sera désormais ton époux, consacré à toi et toi seule.

Je me remémorai alors, horrifiée, ce qu’Angraema m’avait raconté dernièrement sur cette affreuse déesse, la sældar Lethë.

C’était la compagne adorée d’Anwë, m’avait conté Pas Douée de sa voie sucrée au coin du feu, alors que Círdan dormait. Mais à cette époque, les mâles régnaient sur une harde de femelles. Bientôt, arriva le jour où le Roi Suprême lui-même tomba sous le charme d’une jeune vierge… Lethë ne put supporter cette rivale. Alors, Anwë la bannit de son clan. La sældar erra aux frontières de ce monde, et arriva bientôt dans les zones inexplorées de l’outreterre. Là, elle voulut pactiser avec les démons. Mais l’un d’eux, le plus ignoble et le plus sombre, avait conçu un désir impie pour elle, qu’il imposa par la force. Il la traîna dans son antre souterraine et la viola. Les cris de la malheureuse résonnèrent neuf nuits et neuf jours… Jusqu’à ce qu’elle ait l’idée de se servir de la science des configurations contre lui. Elle se changea en ældanide : moitié ældienne, moitié démon arachnide. Depuis, Lethë a la peau noire comme le démon et comme lui, elle ne supporte plus la lumière des trois soleils. Lorsqu’elle ressortit de la grotte, son ennemi était mort, consumé par sa vengeance. Et Lethë possédait son armée : dans son ventre, sous la forme d’une myriade de petits œufs. On dit que les khari sont ses descendants… Heureusement, ce n’est qu’une légende !

J’avais trouvé cette histoire glauque à souhait, mais désormais, elle avait acquis une résonance pire encore. La prêtresse khari avait parlé de rejouer cet épisode. Qui – ou quoi – allaient-ils convoquer pour cette tératogamie ?

J’eus un début de réponse en voyant les prêtresses ordonner aux esclaves préposés au fond du temple d’écarter le lourd rideau pourpre qui ornait le mur opposé à moi. Ils révélèrent un portail, assez semblable à ceux qui étaient utilisés sur les territoires de la République. Le réseau stellaire… Depuis notre passage à la Cour d’Arawn, je savais que les ældiens les utilisaient aussi, et même mieux que nous.

— S’il vous plaît, parvins-je à articuler. Que va-t-il m’arriver ?

— Tu vas être offerte à un tribride de l’outremonde en rut, m’apprit la prêtresse avec un rictus mauvais, qui n’a pas copulé depuis huit lunes. Il a du sang orcanide, arachnide et khari : en un mot, c’est un être parfait. C’est le cadeau de la Noire Mère pour te souhaiter beaucoup de joie au lit avec ton mâle, et te permettre de découvrir tout ce qu’il a à t’offrir. Si tu le refuses, le rite sera annulé, et les conséquences, désastreuses. Allez, qu’on ouvre le portail !

Désespérée, j’appelai Ren à l’aide. Mais il était déjà parti. Où l’avait-on conduit ? Dans les bras de Raziel, peut-être, afin qu’il ponde une portée à cette grognasse avant de quitter Kharë ! Et moi, pendant ce temps-là, on me livrait à un monstre infâme.

Je devais reconnaître à ces ældiens un certain sens de la mise en scène. D’épais tambours furent frappés pour accompagner l’ouverture du portail, une musique enfiévrée qui symbolisait bien le surgissement de l’autre-monde. Les fumigations, tout en me faisant rouler des yeux, m’empêchèrent de voir ce qui apparut derrière, au début.

Ce n’est pas mon corps, me répétai-je comme une litanie, imitant en cela les fidèles tunés de l’Unique qui, genou à terre sur le champ de bataille, récitaient leur profession de foi dans leur armure bio-mécanique face au déferlement des hordes démoniaques. Je ne craindrai aucun mal.

Des pas s’approchèrent, accompagnés d’une tension épaisse comme de la mélasse et d’une lourde odeur de mâle en rut. La créature invoquée franchissait le pont. En fait, non… Elle l’avait arraché, et fracassé contre le mur. Le temple trembla dans ses fondations.

Ma tentative désespérée d’autosuggestion fut interrompue par le fracas du quartz et le bruit mouillé que les débris firent en plongeant dans le lac d’acide. Toute retraite m’était désormais coupée… Mais la respiration de la créature me tira de ces considérations secondaires.

Je tentai un œil timide sur celui qui allait remplacer Ren dans ce rituel sadique. Mon regard remonta le long d’une musculature noire et sèche, recouverte de rayures blanches. Comme les araignées sacrées… Dans la fumée épaisse et piquante, j’entraperçus trois yeux aussi rouges et coruscants qu’une cuve de minerai en fusion, qui me fixaient avec une avidité cruelle. Je détournai vite le regard.

Quelque chose de caressant vint frotter ma joue, dans une grotesque parodie de tendresse. C’était la queue du monstre, son panache… Sauf qu’il n’avait aucun poil. Noir et épais, recouvert d’un étrange mucus visqueux, il se promena sur tout mon corps, avec une langueur révoltante, avant de ramper entre mes jambes. Il me titilla un peu puis remonta sur mon visage. Je tournai la tête dans l’autre sens, écœurée. Alors, sans crier gare, il s’enfonça dans ma bouche.

C’était l’occasion que j’attendais. Je donnai un violent coup de dents à l’envahisseur, à la manière khari, mais ne rencontrai sous mes crocs pourtant effilés qu’une matière caoutchouteuse. Le rire caverneux de la créature résonna : il se moquait de moi ! Sa main griffue vint caresser mon visage affectueusement. Puis il passa à la vitesse supérieure.

Je montrai de nouvelles velléités de combat lorsqu’il exhiba son arme, un volumineux phallus recouvert de la même substance gluante dont on m’avait enduit. On voulait que je m’unisse à ce monstre !

Je me débattis dans mes entraves, tandis que l’horrible créature grimpait sur l’autel, matraque dressée, pour me rejoindre. Ignorant mes grimaces, mes menaces et mes convulsions, il fit peser tout son poids entre mes hanches et me pénétra brutalement, sans préambule. Je l’entendis émettre un long râle de satisfaction, puis il verrouilla ses griffes à mes fesses et entreprit de me besogner avec une fureur innommable. La douleur était atroce. Mais ce fut pire lorsque mon agresseur planta ses crocs dans ma gorge, fouillant mes chairs et aspirant mon sang à grandes lampées, au rythme de ses assauts brutaux. À travers mes hurlements étouffés par l'ignoble baillon de chair, je pouvais entendre le rire hystérique et les acclamations des khari qui assistaient à la scène. Ren m’avait bien dit que le rite consistait à copuler en public, devant les notables de la ville… Mais pas à être violentée par un démon devant eux !

Une interjection fusa.

— Plus fort ! fit une voix stridente, venue des ombres de la salle. Crie plus fort !

Je reconnus cette voix. C’était celle de la femelle qui avait « revendiqué » Ren, la fameuse Raziel. Elle me punissait ! Vindicative, elle était venue se repaître de ma débâcle.

Son intervention suscita une sérénade de cris gutturaux et d’agitation. On m’offrait à la curée, à la vindicte de ces êtres cruels et vicieux !

— Hurle ! cria une voix cruelle, alors que quatre yeux rouges s’allumaient dans le noir. Où est le sang, où sont les cris ?

— Mords la plus fort ! renchérit un autre.

— Retourne-la, plutôt ! Montre-lui ce qu’est un khari !

Ces exhortations poussaient le démon à me torturer. Pourtant, je ne m’y trompais pas : ces propos m’étaient adressés personnellement.

Au-dessus de moi, le monstre se déchaînait. Rendu fou par le rut, il me saisit par la taille et me jeta sur le ventre, avant d’accomplir ce à quoi j’avais toujours réussi à échapper. Un cri d’indignation et de souffrance ponctua l’écartèlement de mes entrailles, alors que le long appendice qui lui servait de panache glissait dans mon intimité. D’accord, ce n’était pas mon corps. Pas vraiment. C’était une configuration. Mais les sensations étaient réelles. Et comment allais-je pouvoir regarder Ren dans les yeux, après ça ? Les reins en feu, impuissante, je fus obligée de subir la double invasion répétée de ces deux énormes membres, le tout à quatre pattes comme la dernière des esclaves.

La potion qu’on m’avait fait boire me rendait nébuleuse, et elle suscitait même une odieuse chaleur dans mes viscères, vicieusement entretenue par les intrusions impitoyables du démon hybride. Ce dernier m’avait replacée sur le dos, face à lui. Sous les effets de l’aphrodisiaque, la douleur se muait en plaisir. En tournant la tête sur le côté pour tenter d’échapper à la vision de ce monstre qui se régalait entre mes cuisses, je m’aperçus que les spectateurs étaient en train de nous imiter. Parmi eux, la vieille rostre, assise sur un jeune mâle, poussait des cris extatiques.

La grande main griffue du démon noir retourna mon visage face au sien. À travers mes larmes, je rencontrai son regard rouge sang. J’eus un dernier sursaut lorsqu’il se pencha pour m’embrasser. Il allait me mordre ! Mais ses dents qui avaient déjà si cruellement entamé ma chair avaient eu leur compte de sang. Sa langue, étonnamment douce et fine, s’introduisit dans ma bouche, et y déposa quelque chose que je reconnus à sa forme : la pilule de silentium.

Je me sentis partir. Autour de moi, les visages sombres et le rictus sadiques des khari excités par l’odeur du sang et du stupre se faisaient flous. Une vague de jouissance inouïe me submergea… et finalement, tout devint noir. Je perdis connaissance.

Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0