Chapitre 4

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Rosie leva les yeux du livre «L'art des Celtes» de Christiane Eluère et consulta sa montre. Le train arriverait à la gare de Paris-Bercy dans quelques minutes. Il était encore tôt ce samedi matin quand elle avait quitté le site de fouilles en Bourgogne mais elle avait préféré ne pas s'attarder. Elle ne voulait pas rentrer à Paris ou plus exactement elle voulait rester à Noiron-sur-Seine. Mais elle savait que plus le temps passerait et plus elle aurait du mal à quitter ce minuscule village à la limite de la Côte d'Or et de l'Aube. Il était donc inutile de rester plus longtemps. Cela n'aurait pas dû se terminer comme ça. Elle en voulait un peu à sa directrice de thèse, d'autant qu'elle en avait profité pour lui refourguer les cours qu'elle aurait dû elle même donner à l'Université. Rosie avait la sensation de s'être bien fait avoir. Mais dans la hiérarchie directeur/thésard elle n'était pas la mieux placée. Anne était sa chef, celle qui pouvait la mener jusqu'à l'obtention de son doctorat et sur la voie d'une belle carrière ou au contraire celle qui pouvait tuer sa carrière dans l’œuf. Et dans le fond elle savait qu'elle n'était pas si mal tombée avec Anne Douix. Certains des doctorants qu'elle connaissait avaient de vrais problèmes avec leurs directeurs : toujours absents, manipulateurs ou prêts à voler les fruits du travail de leurs thésards. Non, Anne était globalement honnête et Rosie savait pouvoir compter sur elle.

Le train cahotait et ralentissait en approchant de Paris. Les banlieues lointaines faites de petites maisons aux jardins bien entretenus firent place aux immenses hangars sombres puis aux immeubles resserrés, de toutes les nuances entre le beige et le gris. La jeune femme descendit parmi les derniers voyageurs, avec son énorme sac de randonnée violet sur les épaules. L'air était doux en ce mois d'octobre, même ici à Paris. Par contre la pollution se fit sentir dès qu'elle posa un pied sur le quai, rien à voir avec l'air de Noiron-sur-Seine. Là-bas elle vivait littéralement au milieu des champs et des bois, le gîte où elle logeait avec son équipe étant isolé à plus d'un kilomètre du village. Quand elle vivait ici à Paris, elle ne se rendait même plus compte du bruit et de la pollution mais en rentrant tout juste de la campagne profonde, la différence était frappante. En ce samedi matin les parisiens avaient l'air un peu plus détendus qu'en semaine, leurs pas un peu moins pressés et certains semblaient même sourire. Rosie avait vécut toute sa vie en région parisienne et c'est une ville qu'elle aimait. Comme la Seine serpentait à travers la ville, Paris coulait dans ses veines à elle. Elle gagna l'arrêt de métro le plus proche et prit la ligne 6 direction Nation, chargée de son énorme sac. Arrivée à Nation elle attendit quelques minutes le métro de la ligne 9 pour descendre ensuite rapidement à la station Rue des Boulets. Elle prit les escaliers qui lui permettaient de remonter à la surface dans le boulevard Voltaire et savoura un instant le bonheur d'être de retour dans son quartier. Elle était chez elle. Rosie remonta le boulevard le sourire aux lèvres et au niveau de la banque à la devanture grise, si familière à la jeune femme, elle bifurqua rue Chanzy. Elle la parcourut, passant devant cet étrange bâtiment aux vitrages multicolores – quelqu'un avait un jour probablement pensé que c'était joli - avant de tourner dans la rue Paul Bert.

Elle parvint rapidement à la grande porte bleue du numéro 21, coincée entre un caviste et un salon de coiffure. Elle connaissait mal le caviste mais Rosie était une habituée du salon de coiffure. Elle et Imane, sa colocataire, y allaient régulièrement, autant pour se faire coiffer que pour papoter avec la patronne dont la gentillesse n'avait d'égale que son talent à narrer les derniers potins du quartier. Rosie passa la lourde porte d'entrée et grimpa les quatre étages qui menaient à son appartement. Lorsqu'elle ouvrit la porte, elle découvrit Imane prenant son petit déjeuner sur la table blanche au milieu de la pièce. Rosie et Imane Benjelloun s'étaient rencontrées au tout début de leurs thèse respectives. Imane arrivait de Marseille avec son accent chantant, et cherchait avec difficulté une colocation à Paris. Rosie venait de quitter son petit ami et avec lui l'appartement qu'ils partageaient à côté de la fac. Les deux jeunes femmes travaillaient dans des laboratoires distincts mais qui se trouvaient dans le même bâtiment. Elles s'étaient trouvé par le biais d'une petite annonce laissée dans le hall de leur université. Le courant était tout de suite passé entre elles. La thèse qu'Imane avait commencé en même temps que celle de Rosie portait sur un tout autre domaine : les micro-organismes lacustres. Un domaine qui laissait de marbre Rosie mais qui écoutait avec plaisir son amie s'enthousiasmer sur le sujet. Imane était l’aînée des quatre filles de monsieur et madame Benjelloun. Nadia, sa cadette était en deuxième année d'école de commerce à Marseille et ses deux plus jeunes sœurs, Layla et Chaïma étaient encore au lycée. Après un baccalauréat scientifique obtenu avec la mention très bien et les félicitations du jury, Imane avait choisi de s'orienter en fac de biologie, au grand dam de ses parents. Monsieur et madame Benjelloun n'avaient jamais douté du talent de leur fille aînée et pendant de nombreuses années ils avaient espéré qu'elle fasse médecine. C'était sans compter sur sa passion pour la biologie et le soutien sans faille de son grand-père paternel contre lequel personne n'osait s'élever.

Imane leva les yeux sur la nouvelle venue, surprise, et sourit. Plus petite que Rosie d'une bonne tête, elle avait un visage fin qui inspirait confiance. Son visage mate était éclairé par de grands yeux noirs en amande. Rosie lui enviait sa bouche fine et bien dessinée dont le sourire mi-figue mi-raisin en avait fait chavirer plus d'un. Rosie posa ses bagages dans l'entrée puis s'approcha pour faire la bise à Imane.

  • Mais qu'est-ce que tu fais là ? Tu ne devais pas rentrer la semaine prochaine ?

Nephtys, leur chatte siamoise, tournait entre ses jambes, ravie de retrouver sa seconde maîtresse. Rosie prit la chatte dans ses bras qui se mit à ronronner et s'assit à table. Elle soupira et expliqua à son amie pourquoi elle avait abandonné le terrain sur lequel elle travaillait depuis des mois pour un reportage avec un journaliste.

  • Mais c'est super. Tu devrais être folle de joie ! Douix a raison c'est une vraie opportunité pour toi de gagner en visibilité.
  • En visibilité ?

Rosie ne voyait pas vraiment où son amie voulait en venir. Où qu'elle allait, elle passait rarement inaperçue.

  • Mais oui, tu ajouteras ça sur ton CV. Les universités veulent des chercheurs capables de bien présenter, de vulgariser leurs travaux. Vends-toi correctement à ce journaliste et tu pourrais avoir un poste avant même d'avoir soutenu ta thèse.

Rosie leva un sourcil, Imane était d'un optimisme qui l'étonnait souvent. Reposant la chatte au sol, elle se leva pour prendre une tasse dans l'une des étagères blanche de la cuisine. Elle choisit un mug orné d'un Winnie l'ourson qu'Imane avait rapporté d'une virée à Disneyland Paris et se prépara un café.

  • Tu devrais voir les choses du bon côté, ajouta Imane comme si elle avait lu dans les pensées de Rosie . Tu seras là pour ma fiesta de mardi !
  • Et toi, comment avance ton travail ?

Imane soupira en souriant et lui fit remarquer qu'elle changeait de sujet mais elle enchaîna malgré tout sur des explications détaillées sur ses derniers résultats obtenus dans son laboratoire. Heureuses de se retrouver, les deux amies discutèrent une bonne partie de la matinée puis déjeunèrent rapidement avant qu'Imane ne parte pour son cours de dessin hebdomadaire. Rosie passa l'après-midi tranquillement. Elle rangea ses affaires, lança une lessive et fit quelques courses à la supérette du quartier. Et elle parvint enfin à terminer de lire le roman « La vie secrète de Miss Inès», qu'elle avait commencé en début d'été.

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