Chapitre 3

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Clara Keller fulminait, ses longs cheveux blonds s'agitant au rythme de ses pas. Elle s'était légèrement calmée. Il y a dix minutes encore elle hurlait si fort que les cloisons de son bureau en tremblaient. Sa colère noire s'était abattue sur les porteurs de la mauvaise nouvelle. Les deux gardiens, d'incapables bons à rien, avaient été renvoyés. Ils seraient éliminés très prochainement du Système. Il ne leur resterait rien. Leur vie était tout simplement finie. Cette décision avait un court instant soulagé la directrice de la JeT Compagnie. Mais ce sentiment n'avait pas duré. En réalité cela ne changeait rien au problème. Cet enfoiré de Gabriel Mons était partit avec la machine. Il les avait baisé. Magistralement. Sous ses airs de gentil garçon au sourire enjôleur c'était un manipulateur. En y repensant il était trop discret, trop intelligent pour être totalement honnête. Il ne se mêlait avec les autres employés qu'avec parcimonie. Quand il la croisait le matin il la saluait avec un air presque moqueur. Jamais trop, il connaissait les limites de l'insolence mais il avançait toujours sur le fil. Elle n'avait jamais pu le blairer. Elle aurait dû suivre son intuition et le virer. Mais il s'était rendu bien trop utile à l'entreprise. Elle devait avouer, à grand regret, qu'il était doué. Il était devenu indispensable au projet, petit à petit sans que cela soit visible. Et quand cela s'était vu il était trop tard. Et aujourd'hui il avait ruiné quatre ans de travail et des millions d'investissement.

Elle poussa un rugissement de colère et les murs d'un vert d'eau terne tremblèrent à nouveau. Le grand cadre derrière son bureau, représentant l'esquisse d'un mécanisme antique aux rouages complexes, manqua de peu de tomber. Il lui fallait trouver une solution pour résoudre ce problème ou le patron allait lui tomber dessus. Et ce serait peut-être elle qui serait éliminée. Non, c'était impossible, pas après tout ce qu'elle avait sacrifié pour en arriver là. Clara Sophia Keller avait quarante-cinq ans, en faisait quarante et en avouait trente-cinq. Et mieux ne valait pas remettre en doute ce qu'elle vous affirmait. Son mariage avec le professeur Tom Keller, brillant physicien à la JeT Compagnie, avait été un formidable tremplin à sa carrière. Ils étaient divorcés depuis bientôt dix ans et leurs rares rencontres dans les locaux de la compagnie ne produisaient que des silences glacials. Elle avait conservé de cet homme discret et particulièrement ennuyeux son nom et leur luxueuse villa sur les hauteurs de la ville. Elle ne pouvait se résoudre à tout perdre. Il lui fallait un responsable à ce désastre. Mais Gabriel Mons était loin. Trop loin. Il avait probablement des complices, ici même à la JeT compagnie. Il ne pouvait avoir réussit le coup tout seul. Elle ne lui connaissait aucun ami au sein de l'entreprise mais cela ne voulait pas dire qu'il n'avait pas été aidé de l'intérieur. Le patron voudrait un coupable et ne se contenterait pas d'un éventuel complice. Non, il exigerait que des têtes tombent. Et sa tête à elle risquait bien de tomber. Elle soupira en maudissant une fois encore Gabriel Mons. Elle ne voyait qu'une solution pour s'en sortir mais il lui faudrait enfreindre le règlement. C'était quitte ou double sur ce coup là. La rage reprit le dessus et elle écrasa violemment son poing sur le mur, laissant une marque presque circulaire. Elle se précipita vers la porte qu'elle ouvrit avec fracas et beugla sur l'homme assis derrière son bureau.

  • Henri, allez me chercher Johns !
  • Le ca...capitaine Johns ? Mais madame Keller, vous savez qu'il ne souhaite pas être dérangé en ce moment.
  • Ne discutez pas ! Une chose terrible est arrivée cette nuit alors magnez-vous !

Bien madame.

Henri Desportes descendit prestement de sa chaise, manquant de tomber. Sa hanche lui faisait mal depuis un malheureux accident vingt ans auparavant et il boitait. Presque chauve, Desportes n'était ni particulièrement intelligent ni quoi que soit d'autre. Il s'était maintenu dans le Système par une chance qu'il ne comprenait pas lui même. Il avait obtenu la place de secrétaire de la directrice de la JeT compagnie et il s'employait à cette tache chaque jour avec courage et fierté. Et il en fallait du courage pour supporter madame Keller et son tempérament volcanique. Desportes parcourut aussi vite qu'il le pouvait les larges couloirs le menant au bâtiment qu'occupait le capitaine Johns. Il parvint face à une porte sur laquelle un large écriteau de bronze indiquait : Capitaine J. J. Johns – Drapeau d'Or Troisième grade. Desportes frappa avec appréhension à la porte, espérant qu'aucune réponse ne viendrait. Mais quelques secondes plus tard la porte s'ouvrit violemment, laissant apparaître un géant à la peau noire ruisselante de sueur.

Quoi ?!

Desportes déglutit.

  • Capitaine Johns, madame Keller vous demande.
  • Qu'est-ce qu'elle veut ?

Je l'ignore capitaine Johns. Elle m'a juste dit de venir vous chercher.

Du haut de ses deux mètres, Johns observa ce petit homme qui venait l'interrompre pendant son entraînement et il sentit sa colère s'évaporer. Ce minus n'en valait même pas la peine. Comme pouvait-on être si petit et si laid ? Il l'avait déjà vu dans les couloirs de la JeT Compagnie, souvent collé aux basques de Keller. Le contraste entre lui et la belle blonde assoiffée de pouvoir était saisissant. Il avait l'air si pathétique. Le capitaine Jonas Johns n'avait pas l'habitude de ce genre d'homme. De femme non plus d'ailleurs. Non, c'était un militaire pur et dur, élevé pour sa force dans le seul but de servir l'armée. A cinquante huit ans, il restait une force de la nature. L'entraînement physique était son quotidien. Ses missions prioritaires sur tout autre chose. Les ordres indiscutables. Il obéissait et faisait appliquer les ordres. Sans discuter. Ou presque. Keller n'était pas sa supérieure directe mais elle agissait comme si elle l'était et il détestait ça. Mais ça n'était pas le moment. Non, ce n'était pas le moment de se mettre à dos cette harpie de Keller.

  • Tu es Henri quelque chose, c'est ça ?
  • Henri Desportes, capitaine Johns.
  • Alors Henri Desportes, tu vas dégager vite fait d'ici. Et tu diras à madame Keller que j'arrive dès que j'ai terminé ici. OK ?

Oui, capitaine Johns.

Desportes repartit aussi vite que sa hanche pouvait le supporter, inquiet de rapporter le message à la directrice. Décidément cette journée était bien étrange et il commençait à comprendre ce qui se tramait. S'il avait bien comprit en écoutant hurler madame Keller depuis son bureau, les deux gardiens de nuit du secteur 23 seraient éliminés du Système. Quelque chose s'était sûrement passé cette nuit. Sans cela, madame Keller n'aurait pas eu besoin du capitaine Johns ; elle rechignait toujours à faire appel à lui. Non il y avait un problème. Peut-être un soucis avec la machine. Mais dans ce cas pourquoi ne pas convoquer l'ingénieur en chef monsieur Mons ? Peut-être une intrusion alors. Tandis qu'Henri Desportes réfléchissait, il arriva devant son bureau, l'avant-poste de celui de la directrice. Il frappa à sa porte et entra à son signal pour lui donner la réponse du capitaine. Cela ne lui plut pas. Le regard de Clara Keller s'enflamma de rage un instant avant de s'éteindre. Non, Henri Desportes ne valait pas sa colère à elle non plus. Ce petit bonhomme n'avait vraiment aucun intérêt.

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