Chapitre 8 - What's up people

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 Les basses étaient si fortes que l’on pouvait percevoir les vibrations en touchant n’importe quel mur de la boîte de nuit. La musique était au volume maximum toléré par la ville : ajoutez à cela le brouhaha constant des personnes qui essayaient de communiquer entre elles par dessus la musique, et vous obteniez l’endroit parfait pour torturer quelqu’un sans éveiller les soupçons de qui que ce soit.

 C’était donc dans son bureau, au dessus de la piste de danse, que Niel avait installé leur “invité”. Il y avait aussi convié d’autres hommes, des subordonnés proches de Natsu, prêts à tout moment à lui prêter main forte, même si chacun se doutait qu’il n’avait besoin de personne. La plupart étaient là par curiosité, d’autres pour le divertissement : les tortures se faisaient de plus en plus rares ces derniers temps. Dispersés aux quatre coins de la pièce, certains fumaient en attendant leur supérieur, d’autres s’occupaient sur leurs téléphones portables. Les profils étaient variés, leurs âges aussi, mais tous étaient habillés selon le code : costard cravate, chemise sans veste dans le pire des cas. Personne ne dérogeait à la règle, pas même Natsu.

 En entrant dans son bureau, ce dernier n’était même pas surpris de voir autant de visages familiers, il se doutait bien que son petit spectacle attirerait du monde. Ce genre d'événement motivait ses hommes, mais entretenait aussi son autorité dans le milieu.

 Tout le monde s’inclina légèrement, bras contre le corps, lorsque Natsu entra. Il balaya du revers de la main ces politesses, ne leur prêtant que peu d'intérêt. Même s’il respectait ses employés, il n’était pas venu ici pour discuter avec eux. La pièce maîtresse se trouvait au centre du bureau, solidement attachée et bâillonnée sur une chaise, Niel se tenant à ses côtés.

 L’homme en question, d’une quarantaine d’années, empestait le tabac froid. Sa chemise était démodée, il ressemblait presque à un yakuza tout droit sorti des années quatre-vingt avec ses gourmettes en or et sa chemise léopard. Il manquait à sa main droite un petit doigt, signe qu’il avait dû se faire pardonner d’une terrible erreur auprès de son patron. Pourquoi se trouvait-il dans son bureau, après avoir été passé à tabac par son bras-droit, puis attaché à une chaise ? Cette raclure avait tué une de ses hôtesses, Yukie, connue pour rapporter des millions de yen par mois.

 Yukie Tamano avait trente-sept ans. C’était une nana comme les autres, sauf qu’elle n’avait pas de diplôme et enchaînait les petits jobs pour arrondir ses fins de mois. Il l’avait rencontrée il y a dix-sept ans, alors qu’elle était encore caissière à l’épicerie où il achetait ses paquets de cigarettes, c’était lui qui lui avait donné ce taff. “Tu gagneras mieux ta vie” lui avait-il dit. Étonnamment, elle avait énormément de charisme et pouvait vous vendre n’importe quoi. Mais elle pouvait surtout vous convaincre de lui acheter la meilleure (et la plus chère) des bouteilles sur la carte. Et ainsi, en quelques années, elle devint surement l'hôtesse la mieux payée du quartier, puis de la ville. Étant une de ses employées qui lui rapportaient le plus, il avait l’occasion de la voir de temps à autres, à des soirées qu’elle organisait entre autres. Ils s’entendaient bien, même s’il restait son patron.

 Alors oui, Natsu était particulièrement en colère lorsqu’il avait appris qu’on l’avait retrouvée égorgée à son domicile. Il avait passé un quart d’heure à donner des directives à tous ses hommes pour retrouver la pourriture qui avait osé faire ça à une de ses petites protégées. Et la raclure en question se trouvait devant lui, après des jours de recherches. Le plus difficile avait été de mettre la main sur lui avant la police, et avant que cette dernière ne s’en aperçoive.

 Il prit un des fauteuils face à son bureau et le mit devant son invité, avant de s’y installer. D’un simple regard il indiqua à Niel de le réveiller, il s’exécuta en mettant son poing dans le visage de l’homme, qui ouvrit de suite les yeux en crachant du sang. Niel n’y était pas allé de main morte, surement rancunier lui aussi.

— Qu’est-ce que tu sais de plus sur lui ? demanda-t-il à son bras droit.

— J’ai à peine un nom : Takizawa.

 L’homme, encore dans les vapes, regardait autour de lui d'un air hébété. Natsu se tourna face à un de ses hommes adossé à la baie vitrée.

— Kazuhiro, est-ce qu'on a eu des demandes particulières récemment ?

— La routine : les reins sont toujours autant demandés, patron.

— Très bien, répondit Natsu, tout sourire.

 C'était exactement le type de réponse qu'il attendait, et Takizawa avait parfaitement compris le but de cette conversation. Même bâillonné, il commençait à se dandiner, en sueur, comme s'il allait s'échapper d'ici en un seul morceau.

 Natsu ordonna à Niel de défaire le bâillon du yakuza.

— Enchanté, Takizawa. Si on t'a convié ici, c'est pour que je puisse savoir qui a commandité le meurtre de ma petite Yukie. Je t'invite à parler rapidement.

 Le mafieux cracha aux pieds de Natsu d'un air dédaigneux en guise de réponse. Il prit ensuite une bonne bouffée d'air et s'enfonça un peu plus sur sa chaise, avec un regard qui en disait long : il ne parlerait pas.

— Je salue ta loyauté, mon cher Takizawa.

  Malgré le ton doucereux de Natsu, sa voix n'en était pas moins menaçante, son sourire en coin, forcé. Il avait décidément du mal à contenir son excitation quant à l'idée de torturer quelqu'un.

 Quelque chose glissa sous son bras, une forme que l'on distinguait mal à cause de sa chemise. Elle s'avançait vers sa main en s'enroulant autour de son bras, lentement, tel un serpent. Mais une fois sortie de sa manche, la chose noire n'avait pas de tête. Elle roula entre ses doigts, comme faite de sable, puis, en quelques secondes, se solidifia pour devenir une dague en acier noir.

 Takizawa se mit à hurler : les connards qui faisaient des tours de passe-passe, il en connaissait et savait les reconnaître. Là, ce n’était décidément “pas normal”.

 Le vampire, accoudé à son fauteuil, s’amusa à passer la dague entre ses doigts, regardant sa future victime. Quel membre allait-il couper en premier ? Il ne fallait pas déclencher d'hémorragie, il serait vraiment dommage qu’il meure aussi rapidement que le sénateur.

 Il se releva doucement, la lame toujours dans sa main droite, avant de relever le menton de Takizawa à l’aide de cette dernière. Plongeant son regard dans le sien, il dit :

— Niel, attache soigneusement ses mains à la chaise.

 Comme à son habitude, le blond s'exécuta sans broncher. Il ne trouva aucune résistance de la part du prisonnier, ses yeux perdus dans le regard de Natsu, il était devenu aussi docile qu'un agneau.

 Les mains désormais bien en évidence, Natsu commença à jouer avec la lame sombre. Effleurant le revers de la main droite de Takizawa, puis ses doigts, il revint ensuite au centre, un regard vicieux sur le visage.

 Takizawa s'y attendait. Il serra fort les dents et étouffa au mieux son cri lorsqu'on lui planta la dague dans la main. Il avait connu pire, ce n'était pas comme ça qu'on allait le briser.

 De nouveau installé en face de lui, il avait rapproché son siège.

— Tu sais combien il y a d'os dans la main, Taki’ ? Vingt-et-un. Comme il te manque la moitié de ton auriculaire et que je viens d'en casser un avec ma lame, il ne reste plus que dix-huit os. Pour cette main là du moins. Comme tu as deux mains, ça sera deux fois plus de plaisir.

 Il lui cassa la première phalange. Pas besoin d’outil pour faire ça, les os de cette partie du corps étaient fragiles, c’était un jeu d’enfant de les briser un à un. Le mafieux retenait de plus en plus difficilement ses cris, Natsu ne lui laissant pas le temps de souffler.

 Mais il ne parla pas. Même lorsqu’on lui avait cassé les deux mains. Alors Natsu commença à couper. Phalange par phalange, petit bout par petit bout, il aimait prendre son temps, voir son visage se tordre de douleur, les larmes aux coins des yeux. Douce mélodie qu’était son cri à chaque découpe.

 Les autres spectateurs se délectaient de la scène, certain plus tendus que d’autres à la vue du sang, plus particulièrement un homme brun, au fond de la scène. Il était crispé, la respiration haletante aussi, nerveux, deux de ses collègues le tenait par les épaules. Ses yeux écarlates rivés sur les membres dépecés de leur “invité”. Peut-être était il sur le point de perdre le contrôle, mais Natsu et Niel ne s’en souciaient guère, les nouveaux arrivants n’étaient plus sous leurs tutelles depuis des lustres, ils avaient relégué ça à d’autres.

 La belle chemise du vampire était quasiment recouverte de sang au niveau des manches, seules quelques petites éclaboussures subsistaient sur son torse. Ses mains aussi étaient entachées. Une mare d'hémoglobine s’était formée sous leurs chaises, et ses chaussures cirées étaient, elles aussi, foutues. L’homme, toujours attaché à la chaise, était proche du malaise. La fatigue, la tension, la douleur, l’anémie : Takizawa n’allait pas résister encore longtemps.

 De nouveau assis en face de lui, Natsu alluma une cigarette puis demanda, de sa voix toujours aussi suave :

— Alors, de qui suis-tu les ordres ?

— Je dirais rien, souffla l’homme.

Natsu tira sur sa cigarette de ses doigts ensanglantés puis se redressa, tournant tout autour de sa victime, il fumait, silencieusement. Et, d’un geste vif, il écrasa sa cigarette dans l’oeil du mafieux qui ne put retenir un hurlement de douleur.

Il s'accroupit face à lui pour se mettre à sa hauteur et réitéra :

— Tu n'as pas du bien entendre tout à l'heure, Taki’. Alors je repose ma question : de qui suis-tu les ordres ?

 L'homme gémit et commença à pleurer. Il n'en s'en sortirait pas vivant cette fois-ci, il le savait. Que ce soit de sa main ou celle de son patron. C'était une mission suicide, c'est ce qu'il réalisait en cet instant. Jamais son patron ne l'avait pardonné d'avoir foiré la précédente mission qu'il lui avait confié, il avait été trop con d’avoir cru qu'il allait pouvoir se racheter avec cette mission. Il avait tout prévu depuis le début, il savait que ça allait foutre Natsu en rogne. Il avait été trop débile.

— Tatsuhiro, lâcha-t-il après quelques minutes. C'est lui qui m'a ordonné de supprimer ta putain. Il comptait sûrement sur la police pour me coffrer avant.

Natsu lança un regard agacé à Niel.

— Je savais bien qu'il fallait que je le bute, je te l'avais dit Niel.

— Mais on a besoin de lui.

— Le jour où on pourra le remplacer, je te jure que je m'occupe personnellement de lui bouffer la cervelle.

 Takizawa continuait de pleurnicher sur sa chaise et ne vit pas Natsu s'approcher pour lui asséner un coup vif au niveau de la nuque, du revers de la main. Il se tourna ensuite vers ses hommes, toujours aussi tendus, qui n'attendaient que l'autorisation de leur patron.

— Il est à vous les gars. Bouffez ce que vous voulez, mais gardez les reins intactes. Ca se conserve bien et nos clients seront contents. Puis jetez les restes dans la rivière.

 À peine avait-il fini sa phrase et tourné les talons qu’ils se jetèrent sur le prisonnier, et rapidement des bruits de sucions et grognements résonnèrent dans le bureau. Niel suivi Natsu de très près, il ne comptait pas participer au spectacle. L’aube se levait dans une heure et il n’avait pas de temps à perdre avec une mise en bouche.

 A genoux sur le carrelage noir du bureau de leur patron, Aomori et Ishikawa essayaient, tant bien que mal, d’éponger et nettoyer tout le sang présent. Les restes du cadavre étaient dans un sac hermétique, les reins parfaitement conservés dans la glacière : il fallait désormais effacer toute trace de l’interrogatoire, au cas où la police viendrait encore mettre son nez là où il ne fallait pas. C’était Aomori et Ishikawa qui avaient perdu au tirage au sort, les autres avaient déserté depuis bien longtemps.

 Aomori retira sa veste et remis de l'ammoniaque sur un chiffon pour essayer de détacher le coin d’un meuble ; le sang salissait bien plus qu’il ne le pensait. Il s’essuya le front, plus par réflexe qu’autre chose, et soupira :

— Est-ce qu’il fait ça souvent, le patron ? Car j’ai pas envie de nettoyer ça toutes les semaines.

 Ishikawa était, en apparence, bien plus jeune que lui, d’une vingtaine d’années à priori, mais c’était bien lui son mentor, celui qui devait le surveiller et l’épauler au sein de la “famille”. Serpillère à la main, il marqua une pause pour répondre à son subordonné :

— Non, c’est assez rare. Je suppose qu’il était vraiment énervé ce soir. Mais tout ça ? Une simple mise en scène. Il avait vraiment envie de faire souffrir le mec.

— Comment ça, une simple mise en scène ? Il connaissait déjà son employeur ?

— Non, bien sur que non. Mais le patron, il avait pas besoin de faire tout ça pour connaitre son nom.

 Aomori regardait Ishikawa avec intérêt. Récemment arrivé, fraîchement “éveillé”, il ne connaissait pas grand chose au monde de la mafia, et encore moins qui était vraiment le chef. Celui qu’ils appellaient “Natsu”, il ne l’avait rencontré que quelquefois, au loin, sans lui adresser la parole. Il fallait le respecter, c’est ce qu’il avait compris. Il était “différent” qu’on lui avait dit. Et, effectivement, même sans le connaitre, le patron inspirait le respect. Il dégageait cette aura qui vous poussait à baisser la tête lorsqu’il était dans les parages, qui vous forçait à baisser les yeux s’il vous adressait la parole. Le patron avait entre vingt-cinq et trente ans, soit bien plus jeune que la plupart de ses subordonnés. Il n'avait rien d’un yakuza, pas de tatouage imposant, pas de cicatrice apparente, tout ses doigts et il arborait très souvent un sourire comme s’il s’amusait en permanence, cet air désinvolte et sa carrure contrastaient avec sa position. C’était tout ce qu’il pouvait dire sur le patron, rien de plus. Alors toute information était bonne à prendre.

— Tu veux dire qu’il pouvait le faire parler autrement ? Sans le torturer ?

 Ishikawa haussa un sourcil et eu comme une espèce de déclic après quelque secondes de réflexion.

— Aaah. Mais personne t’a dit, en fait, c’est ça ?

— Dire quoi ?

— Le patron. Comme tout ceux de sa lignée, il a une sorte de “don” si tu préfères. Ça change d’une personne à une autre. Comment expliquer ça… S’il arrive à boire ne serait-ce que quelques gouttes de sang d’une personne, il peut la contrôler. Il peut la forcer à faire des trucs. C’est pour ça que je te disais qu’il aurait pu le faire parler rapidement et sans torturer le gars.

— Mais il peut la contrôler à vie ?! Juste avec une goutte de sang ?!

— Je ne sais pas vraiment combien de temps ça dure, mais non, ça s’estompe assez vite.

 Aomori se gratta la tête ; il comprenait mieux pourquoi il était autant respecté. Lui n’avait pas de “don”, ses yeux écarlates le plaçaient en bas de l'échelle, alors il était surement un peu jaloux de Natsu. Ce don était si utile, qui sait ce qu’il pourrait faire à sa place ?

 Il reçut un coup derrière la tête qui le sortit de ses pensées.

— Fini de rêvasser. Remettons nous au travail avant que le soleil ne soit trop haut dans le ciel.

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