Nouveau Jardin

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La sueur piquait les yeux de Nil, descendait le long de ses joues, puis perlait à grosses gouttes du bout de son menton. Le soleil omniprésent semblait se moquer constamment de ses efforts, alors qu'il replantait avec le plus grand soin ses pieds de lavande dans le massif d'environ 10 m² qu'il venait de retourner. Il lui avait fallu plusieurs jours pour casser le béton, puis creuser et tamiser la terre afin d'en enlever les cailloux, les détritus divers et autres pollutions qui infestaient le terrain sur plusieurs mètres de profondeur et auraient pu gâter la croissance de ses plantes. Il avait dû alléger la terre avec du sable ramené du désert voisin et l'enrichir avec l'humus qu'il pouvait maintenant se procurer dans la forêt qu'il avait plantée il y a bien longtemps à quelques kilomètres de là. Enfin, il avait bordé le massif de quelques rochers, pour bien le séparer du chemin. Plus tard, de la mousse pourrait les recouvrir, et l'effet serait quasi-divin. Il faut toujours penser à l'avenir, n'avait cessé de se répéter Nil durant sa vie de jardinier.

Une vingtaine de minutes plus tôt, il avait aperçu au loin, derrière les dunes, une silhouette qui venait dans sa direction. Il avait compris tout de suite qu'il s'agissait d'un humain. Un humain ! Il ne lui avait pas été donné d'en voir depuis une éternité... depuis que le vieux Landre était mort, le laissant seul à la frontière entre le Jardin et la désolation. Il avait eu envie de courir vers cet inconnu, de parler enfin à quelqu'un plutôt qu'à ses plantes, mais il savait que maintenant son temps était compté, et il voulait se dépêcher pour finir au mieux ce dernier massif. Aussi avait-il été chercher les jeunes plans qu'il entreprenait maintenant de mettre en terre avec ardeur.

L'homme se rapprochait toujours et descendait la dernière Dune avant la Décharge. Nil savait qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps, aussi continua-t-il son travail avec encore plus d'attention. Il eut bientôt repiqué tous les pieds de lavande qu'il avait préparés, et courut chercher deux arrosoirs pleins pour déposer à chaque pied délicat une rasade généreuse de l'eau qu'il avait tirée du puits. Enfin, quand il eut fini sa tâche, il pût lever les yeux et constater que l'étranger arrivait à sa hauteur, et qu'il ne lui était pas étranger...

"Dites donc vieil homme !"

Nil fût surpris qu'on l'appelle ainsi, il ne s'était jamais considéré comme vieux ! Il avait à peine dépassé la trentaine quand il s'était retrouvé ici... et avait depuis longtemps perdu le compte des jours et des années. Il ne savait pas quel âge il pouvait bien avoir, mais devait bien reconnaître que ses mains étaient sèches, ses cheveux avaient blanchi sous le soleil, et son dos le faisait souffrir tant il s'était baissé pour soigner le jardin. Il admis qu'en effet il devait être vieux.

"Dis donc, vieil homme, c'est quoi ce cauchemar ? Je me suis réveillé loin d'ici sur un champ de ruines, seul, sans personne pour obéir à mes ordres ! Où sont passés mes serviteurs et mes soldats ? Où sont les avions et les voitures ? J'ai dû marcher, moi, marcher à pieds des jours durant dans une citée détruite, sans rencontrer personne. Puis je suis tombé sur ce chemin, et je l'ai suivi... Il m'a mené aux limites de la ville, et m'a fait traverser un désert de sable où j'ai cru mourir cent fois de chaleur et de soif, mais sans mourir vraiment. Toi tu es au bout du chemin, qui es tu et quel est donc cet Enfer ? "

Alors Nil se remémora son arrivée au Jardin, juste après son accident de voiture, et ce que le vieux Landre lui avait expliqué alors... A son tour, il voulu expliquer au nouveau venu.

"Quand je suis arrivé au Jardin, ce qui semble plus loin dans mes souvenirs qu'il n'est possible de le dire, j'ai trouvé un vieil homme en train de planter des arbres... Il pensait que nous étions morts et que nous étions ici pour racheter nos fautes. Il m'a expliqué que, pendant sa vie sur terre, il avait commis des péchés, et il avait senti qu'en travaillant la terre il se faisait pardonner. Il m'a expliqué le fonctionnement du Jardin, puis il s'est estompé et je me suis retrouvé seul... Aujourd'hui je pense exactement comme lui. Ce Jardin, j'ai contribué, modestement, à l'agrandir, en continuant à planter sa forêt, en installant des massifs, en traçant des chemins. Ce travail est dur, mais reposant, et c'est la seule chose que l'on puisse faire ici. Le matériel de jardinage se complète pendant le sommeil. C'est également lorsque l'on dort que les détritus exhumés disparaissent. Il est inutile de chercher à savoir comment. Cela est. Mais il faut apprendre à aimer son travail, sinon le résultat disparaît également. Je crois comprendre, au terme de ce long apprentissage, que chacun d'entre nous doit travailler un temps au jardin, peut-être pour racheter ses fautes, mais aussi pour rendre la planète à nouveau habitable. Notre mission est d'agrandir le jardin. Peut-être aussi cela nous rend il meilleur."

Le nouveau venu ne semblait pas vraiment comprendre... et il avait l'air très énervé...

"Comment ? Moi, jardiner ? Mes mains dans la terre ? Mais tu te moque de moi ! Tu ne sais donc pas qui je suis ?"

Alors qu'il commençait à s'estomper, Nil sourit, plein de compassion.

"Je vous souhaite bonne chance, Monsieur Trump, vous allez en avoir vraiment besoin... je crois que vous êtes ici pour longtemps", dit-il avant de disparaître.

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