Le réveil

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Épuisé·e, iel s'arrêta un instant sous un porche inconnu pour reprendre son souffle. Son cœur battait à tout rompre, et le sang cognait douloureusement dans ses tempes. La course n'était plus de son âge, pourtant iel avait fui à toutes jambes, sans demander son reste, lorsque les cinq jeunes voyous l'avaient menacé·e de leurs couteaux. Ils l'avaient poursuivi·e pendant une dizaine de minutes, alors qu'iel se faufilait de son mieux au milieu des ruelles et des ombres, dans un quartier de la ville qu'iel ne connaissait pas. Sans doute auraient-ils pu rattraper facilement leur proie, mais ils s'amusaient de cette poursuite, ils riaient en lui courant après... ils se sentaient jeunes et riaient de la vieillesse de cette proie facile qui les avait vus naître.

Le réverbère éclairait faiblement sa montre, et iel pouvait suivre la course de la trotteuse pendant que s'espaçaient les battements de son cœur. Comme ellui, la trotteuse courait, pensant échapper à la grande aiguille qui pourtant l'attendait silencieusement sur le cadran. Une minute de répit. Iel entendit de nouveau des pas rapides qui martelaient le macadam, des voix grossières qui l'insultaient : "rattrapons-le, saignons-le, ce gros porc de bourge !".

Alors qu'une puissante décharge d'adrénaline se mêlait à son sang, iel inspira profondément et s'enfuit à nouveau en courant dans l'ombre de la nuit. Hélas déjà les bruits de course avaient repris derrière ellui. Iel tourna dans une ruelle sombre, et aperçut trop tard deux silhouettes qui lui barraient le passage. Iel fût bientôt rattrapé·e et se retrouva encerclé·e, acculé·e contre un mur, victime lui aussi d'une jeunesse insouciante et perdue, souillé par des TAGs vengeurs, dans lesquels toutefois on pouvait parfois trouver une certaine beauté. Encore lisible dans la faible clarté de la ville, recouvrant d'autres TAGs et sans doute bientôt recouverte à son tour, une de ces inscriptions retint son attention :

"Saignors, plus fort que l'enfer". Il était temps d'en finir, vraiment.

Abandonnant toute idée de fuite, iel fît face à ses adversaires, si jeunes, presque des enfants. Iel leur sourit. Le plus petit, qui devait à peine avoir 14 ans, lui mit en retour son couteau sous la gorge et vociféra :

"Maintenant tu vas nous donner ton fric, ordure !"

Iel fût peiné·e de voir tant de souffrances et de violence accumulées dans un être si fragile. Tous ici qui l'avaient poursuivi·e souffraient au fond de leur âme, et s'interdisaient de le reconnaître. Était-ce là tout ce qui restait de l'être humain ? Iel songea encore à tout l'amour et le bonheur qu'iel avait vu sur cette Terre, et iel sut que malgré tout la vie en avait valu la peine... Alors, serein·e, iel répondit à ses agresseurs.

" Je vous ai déjà tout donné, mes enfants... "

" A mort les bourges", cria un autre vaurien plantant son couteau au niveau du cœur.

" Je vous ai tout donné... " leur dit-iel encore, entre deux râles, alors que les étoiles semblaient clignoter au rythme de son cœur agonisant.

" Adieu... ".

Ses yeux eurent encore la force de voir le monde s'effacer, quitter l'état d'existence : les jeunes attaquants, les TAGs et les murs, la chaussée, la ville, la région, et bientôt la planète entière. Même les étoiles se voilèrent, iel fût dans le noir... et enfin Dieu se réveilla de son long cauchemar.

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