27 - Derrière les barricades (1/2)

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Lia, les yeux écarquillés, recule pour finir adosser au chambranle de la porte. Ils vont tout détruire. Hélio, Ma, Saul... le Cercle, peu importe qui a tort ou raison. À la fin, il ne restera plus d'espoir, plus un seul endroit où elle pourra se sentir en sécurité. Ce sera la guerre, la violence partout.

C'est trop, elle le sent. Elle lutte, mais déjà sa respiration devient chaotique. Les contours de la pièce perdent de leur netteté. Ma l'appelle. Les mains chaudes de sa patronne se posent sur ses joues puis voyagent jusqu'à ses épaules pour la ralentir alors que son corps choit sur le sol. Elle se voit s'effondrer pourtant elle ne sent rien. Elle l'entend chuchoter son prénom puis demander de l'aide à Hélio. Elle paraît si lointaine.

Ils la transportent jusqu'au petit sofa qui longe le mur du bureau. Ils l'assoient. Tel celui d'une poupée, son corps obéit aux pressions. Elle les voit, elle les entend mais elle est devenue étrangère à la scène, une spectatrice incapable de bouger ou même de proférer un son.

  • Que lui arrive-t-il ? demande Hélio d'une voix inquiète.
  • Elle... son corps ne répond plus, elle est comme coupée en deux. Elle perçoit tout ce qui passe mais... elle est comme paralysée.
  • Comment pouvez-vous en être sûre ?
  • Cela lui est déjà arrivé. Elle m'a racontée ce qui se passe pour elle dans ses moments-là. C'est comme un moyen de défense quand c'est trop pour elle.
  • Mais qu'est-ce qui provoque ça ? Elle est malade ?

Ma soupire.

  • Non. C'est juste que... Lia a vécu des choses très traumatisantes. Il ne m'appartient pas de te les raconter. En tout cas, sache que c'est comme ça qu'elle se protège. Elle s'emmure même si elle ignore si elle saura ensuite faire tomber ces barrières.
  • D'accord. Mais, qu'est-ce qui a bien pu déclencher ce mécanisme ?
  • Je l'ignore. Elle seule peut répondre.
  • Cela lui arrive souvent ?
  • Non, cela faisait longtemps que cela ne s'était pas produit.
  • Est-ce qu'elle va rester ainsi longtemps ?

Lia déteste ces moments-là, le vide qu'elle ressent, l'impuissance. Sa faiblesse la dégoûte. Les entendre parler d'elle comme si elle n'était pas là lui fait mal.

  • Je n'en sais rien, répond Ma. quelques minutes, quelques heures... Je refuse que l'on discute de nos plans tant qu'elle est là.
  • Je comprends.
  • Il faut que je retourne en salle... Dis-lui de venir me chercher si elle se réveille sinon je reviendrai quand nous aurons fermé. Des questions ?
  • Y'a-t-il quelque chose que je puisse faire pour l'aider ?

Le regard chaleureux mais anxieux de Ma vient envelopper le corps inerte de la jeune femme. Cela fend le coeur de Lia. Elle voudrait tellement revenir aux commandes de son corps. Toute sa volonté tend vers ce but même si elle sait que cela ne marche pas comme ça. Elle n'embrasse que du vide.

  • Non. Laisse-la tranquille, c'est tout.

Hélio acquiesce en silence. Ma le salue d'un signe de tête avant de s'en aller.

Tandis qu'elle ferme la porte, Hélio se détourne de Lia pour aller se planter devant les rideaux qui occultent la fenêtre. Il n'y a rien à voir pourtant il reste immobile, les mains dans les poches. Les voilà devenus de pierre.

Si seulement...

Les roches n'ont pas peur, elles ne ressentent rien. Elles se laissent bringuebalées par la pluie, le vent, le soleil et le temps sans jamais souffrir. Elles en deviennent même parfois plus douces et plus belles. Hélas, elle n'est pas un roc, ni Hélio si courageux et combatif soit-il.

Comme il ne bouge pas, elle voit la ligne de ses épaules se détendre, la vague de sa respiration s'amplifier. Sa tête s'incline vers l'avant comme si elle devenait trop lourde à porter. Puis, prenant une grande respiration, il se redresse tout en se retournant. Il lui fait à nouveau face, la regarde avant de revenir vers elle.

  • Je vais m'assoir à côté de toi, Lia. J'espère que ça ne te dérange pas.

Il s'exécute avec précaution.

  • Voilà bien longtemps que je ne m'étais pas assis sur un truc aussi confortable, murmure-t-il. On a bien essayé de fabriquer des coussins au camp. On fabriquait des sacs en tissus qu'on bourrait d'herbes sèches. Ils sentaient bon la prairie mais il y avait toujours un brin d'herbe qui venait nous piquer le derrière... ou pire un insecte.

Il rit doucement. Lia reste de marbre, en apparence. Elle est en colère : croi-il que lui narrer quelques souvenirs pittoresques lui permettront d'oublier qu'il s'apprête à semer le chaos parmi les siens ?

  • Je te demande pardon, Lia, reprend-il soudain. Quoique j'ai dit, Je ne voulais pas te faire de mal.

C'est faux ! hurle l'esprit torturé de la jeune femme. Tu te fiches bien de me blesser ou pas.

  • Mais, c'est fait, continue-t-il d'une voix triste. Je suis désolé.

Puis, il se tait. Un orage de fureur gronde au coeur de Léa. Son visage reste pourtant de porcelaine. Si cet homme désolé savait ce qu'elle a subi, hésiterait-il à faire sauter des Optimems ? Elle n'a jamais réussi à le raconter, même pas à Ma à qui elle n'a pu confier que des bribes. Alors confier cela à un homme, comment y parviendrait-elle ?

Une mélodie fredonnée interrompt le cours tumultueux de ses pensées. La voix se mêle à l'ouragan de colère froide et désespérée. Etonnamment, elle ne s'y noie pas. Sa douce chaleur l'apprivoise, le transfome si bien que Lia s'apaise. Elle écoute. Hélio chante qu'il peut changer le monde avec ses deux mains. Il peut le rendre plus beau, plus bienveillant continue-t-il, de ses propres mains. Il en rajoute encore : il chante qu'il peut rendre le monde plus sûr, aider l'humanité, qu'il pourrait même apporter la paix...

Lia ne serait pas paralysée, elle éclaterait certainement de rire ou en sanglots de tant de naïveté ou de cynisme.

Elle ne peut pas. Il la transperce avec les paroles qui suivent. Il chante qu'il peut la toucher, venir jusqu'à elle, qu'il pourrait l'enlacer et même la réconforter... La tension qui tient le corps de Lia, qui en fait une forteresse n'y résiste pas. Elle s'écroule, s'affaisse tel un sac de chiffon sur Hélio. Elle se recroqueville tout au fond de son esprit, résignée. Voilà, il l'a brisée. Plus vite que n'importe-qui. C'est maintenant que l'homme va révéler ce qu'il est réellement capable de faire avec ses deux mains.

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