20- Faire face (2/2)

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  • Salut Noway, commence Ariel.

Paraissant consciente des fêlures qu’on devine dans sa voix, elle s’interrompt pour se redresser. Elle prend le temps de ranger une mèche rebelle derrière son oreille dévoilant un peu plus les stigmates des violences qu’elle a subies lors de sa tentative d’évasion, certainement. Les cernes qui habillent ses yeux ne laissent aucun doute sur son état d’épuisement. Pourtant, au moment où elle regarde à nouveau l’objectif, elle sourit encore, un vrai sourire qui réussit même à déposer des éclats de lumière dans son regard.

Harold ne peut détacher son regard de la guerrière, percuté par la véracité des mots prononcés le jour d’avant par Tryana. Elle est l’âme de la résistance.

  • J'aurais aimé être avec toi mais je n'ai pas pu allé au bout de ce projet. Comme tu le vois, on m'a fait savoir que c'était exclu. J'avais pourtant des choses à te dire avant de tirer définitivement ma révérence. Par où commencer ?

Ariel s'interrompt un instant, ses yeux et sa tête fuient l'objectif mettant en lumière de nouvelles blessures. Elle grimace.

  • Qu'est-ce qu'ils lui ont fait ? murmure Tryana, les yeux humides.
  • Ce qu'ils estimaient nécessaire pour la briser, répond Noway d'un ton plus coupant qu'une lame de rasoir.
  • Je sais que tu ne me fais pas confiance, Noway, reprend la voix fatiguée de la prisonnière, attirant sur le jeune homme les regards étonnés de ses deux comparses. Comment le pourrais-tu ? Tu ne sais même pas qui je suis ...

Un léger coup sur sa cheville détourne l'attention d'Harold qui se tourne, surpris vers Tryana. Cette dernière, d'un mouvement du menton, lui indique l'entrée du mess. Melk, accompagné de Carma et de cinq six membres de l'équipe des mécanos, est arrêté dans l'encadrement de la porte.

  • Pause, Pria, demande aussitôt Harold. Noway ?
  • Je sais, répond celui-ci, à voix basse. Ils peuvent venir... Ils ont vu et entendu tout le reste, alors autant qu'ils voient ceci ... qu'ils sachent, tout comme toi, qui je veux que nous allions sauver.

C'est au tour d'Harold d'être hésitant. Ariel vient d'affirmer, à sa grande surprise, que Noway ne pouvait pas avoir confiance en elle. Or, voilà que celui-ci semble persuadé que rien de ce qu'elle a à dire ne pourrait l'emmener à changer d'avis.

  • Salut les gars, apostrophe-t-il finalement le reste des hommes, en se levant. Entrez, vous devez avoir faim. Installez-vous rapidement afin que nous puissions écouter l'holovid.

Quelques instants plus tard, tous sont assis. Le silence, à peine troublé par le bruit des couverts, tombe. Carma est venu s'asseoir auprès de Noway.

  • Courage, mon garçon, chuchote-t-il à Noway en posant une main sur son épaule.

Noway lui adresse un sourire triste avant de reporter son attention sur l'écran.

  • Pria, tu peux relancer l'enregistrement, déclare le jeune Commandant.

Ariel réapparait. Le coeur d'Harold se serre à nouveau à la vision de son visage ravagé.

  • Voilà ma vérité, reprend la voix d'Ariel. Je m'appelle bien Ariel. Je suis née, il y a 26 ans, sous le dôme seize de Mars. Cela ressemble aux Bulles de la Terre... en moins chaleureux. Je n'ai pas de père, il est parti avant ma naissance. Ma mère travaillait dans une usine d'extraction de matières premières. Les IA avaient décrété que j'étais trop intelligente pour embrasser la même carrière : j'avais le privilège d'être destinée à être Dame de Compagnie de ceux qu'on qualifie d'élites.

Ariel grimace un sourire amer en baissant les paupières. Quand elle revient à la caméra, son regard est sombre.

  • Je te fais pas un dessin. Je suis sûre que tu imagines très bien de quoi il s'agit. Bref, pour faire court, j'étais loin d'être une rebelle. Grâce à l'Optimem, j'étais presque honorée de cette distinction. Mais, ma mère est tombée malade. Le coup classique... Une strangulite... Nous étions trop pauvres pour prétendre au traitement qui adoucirait ses derniers jours et sa mort, alors je me suis engagée.

Ariel, visiblement essoufflée et émue, stoppe soudain quittant l'écran quelques instants. Quand elle revient, ses yeux sont brillants et son ton plus sec.

  • Que ce soit clair ! Je n'adhérais pas aux valeurs d'HumanCorp, j'en avais juste rien à foutre. Tout ce qui m'importait, c'était l'argent. J'ai eu ce que je voulais... martèle-t-elle, sur un ton presque agressif avant de s'arrêter net et de prendre une grande respiration.
  • Et un peu plus, une famille, comme je te l'ai montré, continue-t-elle, d'une voix beaucoup plus douce, presque triste. Cela, c'était vrai. J'ai aussi découvert que j'adorais piloter et que j'étais douée pour ça. Enfin, Noway, j'ai exploré l'espace. C'est comme sur Terre, vois-tu, il y a des êtres et des endroits atroces mais il existe aussi des lieux fabuleux. On vit des rencontres merveilleuses avec d'autres formes de vie. J'avais presque commencé à croire que la vie pouvait avoir un sens, pouvait être belle.

À nouveau, elle s'arrête laissant s'installer le silence. Le regard lointain, une ombre de sourire passe sur son visage tandis qu'elle parait surfer sur une belle vague de souvenir. Très vite, cependant, elle se rembrunit.

  • Et puis... en deux mots : les morkims. Ils ont tué presque toute mon unité Seuls Kuip et moi avons survécu. Quand j'ai regagné Syssol, ma mère était morte. J'avais plus rien, j'étais plus rien, je croyais plus en rien. C'est à ce moment-là que j'ai été affecté à la garde des spécimens morkims au labo d'expérimentations génétiques sur Terre. Tu connais la suite, certains se sont échappés ... Tu n'imagines pas ce que cela provoqué en nous, soldats de Syssol ayant déjà affronté ces monstres, de voir des humains sans combinaison de combat, armés de simples couteaux et de lances, se battre ainsi et vaincre, Noway !

Elle se rapproche de l'objectif, comme si elle voulait trouver le regard de son interlocuteur.

  • Ce jour-là, quelque chose en nous s'est réveillé. Cela a grandi quand on nous a vu refuser de plier dans le DC. Encore aujourd'hui, je ne sais pas trouvé les mots pour l'expliquer... Ce que je peux dire, c'est que cela m'a porté jusqu'à aujourd'hui, et pas que moi, d'autres se battent pour redevenir libres. Je voulais que tu le saches, Noway. Cela ne te consolera peut-être pas, mais le jour de cet affrontement terrible avec ton Clan, vous avez semé des graines d'espoir précieuses pour une grande part de l'humanité. Des milliers de personnes aujourd'hui se sentent plus vivantes, plus fortes qu'elles ne l'ont jamais été.
  • Arrête une minute, presse soudain Noway.
  • Pria, pause.

Noway se lève. Tandis qu'il fait quelques pas, son visage est comme taillé dans la pierre tant il est contracté.

  • C'est vrai ce qu'elle dit, ose dire Melk. Grâce à tout ce qu'on a vu, on s'est réveillés... on se sent plus forts.
  • Ravi que mon Clan soit mort pour que vous vous sentiez tous mieux, fulmine Noway en le fixant d'un air dégoûté.
  • Tu es injuste, Noway, réplique Carma.Tu oublies le reste de ce que t'as raconté Ariel.
  • De quoi parles-tu ?
  • De son histoire... Chacun d'entre nous ici pourrait t'en conter une similaire. Nous avons tous souffert et souffrons encore des pertes et du succédané de vie que nous a infligé notre mode d'existence. Il n'y a pas que toi ou ton Clan ou les HC sur Terre ... Nous sommes tous des victimes, comme tu le disais toi-même à tes compagnons du Dernier Cercle, au sujet des Bullites.

Noway, qui leur a tourné le dos, pour s'absorber dans la contemplation de l'univers à travers un hublot, revient s'asseoir en soupirant.

  • Tu as raison... je suis injuste. Me rappeler ces moments ravive des plaies mal refermées. Pardonnez-moi. Continuons...

L'image d'Ariel se matérialise à nouveau.

  • Bref... La suite, tu la connais. Jusqu’à ta chute lors de la quatrième épreuve…

Ariel s'interrompt une nouvelle fois, les lèvres serrées, paraissant retenir ses larmes. L'image se coupe pour revenir aussitôt. Ariel semble y avoir retrouver un peu de sérénité.

  • Après que tu aies mis le dernier morkim hors d’état de nuire, tout s'est accéléré. Les émeutes dans les gradins se sont généralisées. L'épreuve a été interrompue et le DC verrouillé. Des gardes sont entrés dans l'arène pour nous neutraliser. Nous étions acculés quand Alka est arrivée. Cela nous a permis de faire diversion et d'éliminer les gardes. Ensuite, Alka a proposé de nous mener vers une sortie. Kaly, Hélio, William, Feng et des prisonniers sont partis avec elle. Je suis restée dans l'arène... je voulais vérifier si tu étais encore vivant. Tu l'étais... Alors que j'étais à ton chevet, le Colonel m'a rejoint... j'ignore s'il voulait te sauver ou te tuer alors je ne lui ai pas laissé le choix. Pendant que nous étions dans l'arène, l'électricité a été coupé libérant toutes les issues : les HC piégés dans les tribunes et le groupe conduit par Alka ont pu s'échapper. Et puis, la Bulle a disparu. Tout cela, nous le devons à Alka, c'est elle qui a tout fait sauté. Hélas, elle n'a pas survécu, elle a sacrifié sa vie pour nous donner une chance à tous. Elle t’aimait, Noway, une part d'elle, en tout cas, t'aimait si fort que rien ne pouvait l'effacer, même pas l’Optimem.

Ariel baisse les yeux, paraissant soudain épuisée.

  • Je suis désolée, Noway… En tout cas, quoi que t'aies raconté Aédé, voilà ce que je sais aujourd'hui du sort de nos compagnons : Kaly, Hélio, William et Feng ont pu s'enfuir. Ils n'ont pas été capturés. Ils sont encore sur Terre, quelque part... Moi, j'ai été arrêtée, traduite devant la justice militaire puis enfermée ici pour vingt ans. Avant d'être capturée, j'ai récupéré ton pendentif pour y insérer une carte-mémoire sur laquelle j'avais copié tous les documents que tu avais sur ton Pad auxquelles d'autres ont été rajoutés... Nous avons fait fuité ces documents sur le DarkX-net, dans l'espoir de créer un mouvement de résistance à HumanCorp. Cela a fonctionné, même si cela n’est pour l'instant qu’un embryon de résistance.

Ariel soupire et prend le temps de boire un peu, dans un minuscule verre.

  • Pour finir, j'avais promis de venir te chercher. J'ai essayé... j'ai foiré.

Cette fois, on voit distinctement une larme coulée sur la joue abimée de la prisonnière. Pourtant, elle se force à sourire.

  • Je ne pourrai pas retenter ma chance alors j'ai chargé un ami de tenir cet engagement pour moi. Je me plais à imaginer qu'il a réussi et que tu es en train de regarder cet enregistrement, libre à nouveau.

Ariel prend une profonde inspiration. Quand elle revient à l’objectif, son expression a changé. Elle a l’air concentré et déterminé qu’elle affichait avant de combattre dans le Dernier Cercle.

  • Si c’est le cas, je te demande d’être très attentif à ce qui va suivre et ce, malgré les terribles nouvelles que tu viens d’apprendre. Tu auras tout le temps de consulter les holovids de ce funeste jour. Avant, il y a des choses que tu dois savoir. Tu voudras certainement retourner sur Terre chercher les tiens. Ne fonce pas tête baissée ! Tu dois te préparer, Noway : trouver des vaisseaux, des armes et surtout des alliés qui connaissent bien Syssol et HumanCorp. Même ainsi, le combat sera très rude pour pouvoir ne serait-ce qu’approcher de la planète. Quoi que tu décides, sache que des gens souhaitent ardemment te soutenir et le livrer à tes côtés. Reste à les trouver. J’ignore où ils sont. En revanche, je sais où tu n’as aucune chance de dénicher un seul allié sûr : chez Altervia. Ils prônent la création d’une société alternative, en réalité, ce ne sont que des rejetons des élites qui jouent aux résistants sous l’œil complaisant et discret de leurs géniteurs. C’est truffé d’espions à la botte de HumanCorp, là-bas. N’y vas pas, quoiqu’on te dise ! Cherche plutôt Arl Mandra… Si Kuip est avec toi, il te dira que c’est de la folie, qu’Arl Mandra est au mieux une légende, au pire un repaire de brigands et de meurtriers sans foi, ni loi, un vrai coupe-gorge. Il a tort, Arl Mandra existe, je le sais … C’est pas le paradis, il y a sûrement des gens peu recommandables mais je suis sûre qu’il y existe aussi des endroits comme le G0. Utilise ton Papillon pour leur envoyer un message. Il faut un code, tu le trouveras dans nos souvenirs communs. Pardon de ne parler encore qu’à demi-mots – Un sourire en coin éclaire le visage de la guerrière – cela dit, tu as toujours compris, j’ai confiance.

Ariel s’adosse au mur en soupirant. Elle ferme les yeux un instant, paraissant avoir oublié la caméra.

  • Voilà, reprend-elle en braquant à nouveau ses yeux noirs sur l’écran. Je t’ai tout dit ou presque. Une dernière chose, que tu le crois ou non, à partir du moment où tu as sauté dans le Dernier Cercle, j’ai été de ton côté, sans conditions. J’ai tout donné pour faire vivre les idéaux que tu m’as transmis. Cela a été un honneur et une joie de te rencontrer, je ne regrette pas une seconde les choix que j'ai fait. Mon seul regret est de mourir au moment où je découvre enfin l'envie de vivre. C'est ainsi, le destin est ironique parfois. Adieu Noway !

L'image d'Ariel disparaît. Le mess est plongé dans un silence de plomb que Noway rompt de manière abrupte :

  • Je veux voir les holovids de la quatrième épreuve.

Encore bouleversé par ce qu'il vient de voir et d'entendre, Harold demande à Pria de les mettre en lecture.


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