Vivre loin du monde

5 minutes de lecture

Un grand-oncle éloigné est mort sans héritier. Sa famille la plus proche est la tante. Il laisse une maison au fin fond d'une contrée reculée et sauvage. Une région loin du confort de la civilisation moderne. Un lieu où les mots Wi-Fi, Internet et 4g sont source de railleries. Un habitant pour mille mètres carrés environ. Le voisin le plus proche est à cinquante kilomètres. La ville à cent kilomètres, sur des routes quasi-inexistantes. Des chemins de terre en été, de la neige en hiver. Un hiver de sept mois environ. Des bêtes sauvages et dangereuses en pagaille. Un endroit inhospitaliers, mais inconnu des gangs de la ville.

La famille a peu d'affaires. Juste trois grandes valises. La police a accepté de leur fournir de nouvelles identités. En fait, juste un nouveau nom de famille. Après trois vols dans des avions de plus, en plus petits, ils arrivent à la ville, ou le village plutôt. Aussi grand qu'un hameau. Un bar. Un marchand d'armes. Un magasin de bricolage et pièces détachées qui fait aussi le garage. Une supérette. Un poste de police. Un cabinet où le praticien est à la fois médecin, dentiste et gynécologue. Cinq habitations. Moins de cinquante personnes.

L'oncle tente d'obtenir des informations. Son ton condescend rend les gens qu'il croise muets ou blagueurs. Pendant plus d'une heure, il se fait balader dans toute la ville. Une femme finit par avoir pitié de la pauvre fillette frigorifiée dont les chaussures et les vêtements sont totalement inadaptées. En plus, elle traîne la valise la plus lourde. La femme renseigne l'oncle d'un ton méfiant puis elle lui trouve un moyen de transport jusqu'à leur nouveau domicile. Son traîneau à chiens et la déneigeuse routière.

La femme prend la petite avec elle. L'enfant se retrouve assise sous des couvertures chaudes après un câlin des canidés. La femme ne laisse pas le choix au reste de la famille. Sur le trajet, elle interroge la fillette qui reste silencieuse et craintive. Pour la rassurer, la femme se présente. Elle s'appelle Étoile. Elle fait partie de la tribu d'autochtones inuit ou esquimaux. Elle a deux fils et une fille. L'un de ses fils est justement le voisin le plus proche de la future demeure. Il a été émancipé à seize ans. Ce sont les coutumes de la tribu. Le mari d'Étoile, Mr Toka, est le chef de police et le chef de la tribu.

Les chiens sont bien plus rapides que la déneigeuse. Il faut plus d'une heure pour que le reste de la famille n'arrive. Alors, Étoile présente la maison à la petite muette. Elle l'aide à ouvrir la porte et à allumer la cheminée. À commencer à faire un brin de ménage. Le vieux est mort il y a plus de trois ans. Il n'était pas particulièrement pointilleux avec le ménage. La demeure est donc très poussiéreuse. Quelques écureuils s'enfuient apeurés lors de l'ouverture des volets. Profitant de l'absence de la famille, Étoile récupère du pain et de la viande séchée dans sa sacoche et fait manger l'enfant. Elle a compris sans un mot la situation de la fillette.

La famille arrive enfin. L'oncle s'approprie les lieux en faisant le fier. Il ne trompe ni Étoile ni le conducteur de la déneigeuse qui lève les yeux au ciel. La tante est dépitée par l'aspect misérable de la demeure. Jonathan commence à trembler, pas de froid, mais de manque. L'oncle congédie Étoile rapidement en la remerciant à peine. Dès qu'il referme la porte, sans se soucier si on l'entend ou pas à travers, il parle en termes méprisants sur sa couleur de peau et la traite de sauvage.

Le lendemain en début d'après-midi, un jeune homme se présente à la maison. Il a encore quelques traits enfantins. Il est grand, environ un mètre quatre-vingt. Ses épaules sont en cours d'élargissement. On sent qu'il est musclé, habitué à l'effort physique. Sa barbe est encore celle d'un adolescent. Brune presque noire. Ses yeux noirs sont très légèrement bridés. Il porte des vêtements chauds et épais. Un fusil sur l'épaule. C'est le voisin le plus proche. L'un des fils d'Étoile. Il vient voir si la famille a besoin d'aide.

Il tombe en premier sur la fillette de treize ans en train de tenter de tirer de l'eau du puits. C'est plutôt son chien qui tombe sur la fille. Le chien se précipite vers elle en remuant la queue. La fillette n'a pas vu l'homme. Elle n'a pas peur du semi-loup et s'agenouille pour le caresser avec douceur et un petit sourire. Elle relève les yeux en voyant deux bottes en peau de bête.

- Tu sais que t'as des paillettes d'or dans les yeux ? Tiens. Ma mère m'a filé ça pour toi. C'était à ma sœur. Je viens voir les autres.

Le ton est rude. Guère amical mais pas agressif. Il a esquissé une tentative de sourire qui ressemble plus à une grimace. Il tend un paquet contenant un blouson, deux pulls et deux pantalons Taille enfant et des petites bottes. Et surtout un joli bonnet à pompons multicolores avec ses gants assortis. Il s'agit d'anciens vêtements de la fille d'Étoile. Un peu usés, mais en excellent état. Souillon n'en a jamais eu d'aussi beaux aussi loin qu'elle se rappelle. Elle tente de dire merci, mais les mots sont bloqués dans sa gorge. En plus, le nouvel arrivant l'effraye un peu. Elle se contente donc de s'incliner en pleurant.

Elle lui indique la maison de la main. L'homme s'y rend sans parler. Il se présente par politesse. Lorsque l'oncle le traite un peu de haut en raison de ses traits et de son jeune âge, il le rabroue sans ménagement. L'homme se nomme Ours. Il se moque du peu de connaissances de la famille sur la vie dans ces contrées sauvages. Il prédit à l'oncle une galère sans nom. D'un ton dur, il lui fait comprendre que sans ses voisins, peu survivent et qu'il faut être solidaire. Des paroles qui servent d'avertissement, de conseil et d'ordre.

Ours reste peu. On sent qu'il n'aime pas le monde et encore moins ses nouveaux voisins. Le seul geste amical qu'il fait est un secouage de cuir chevelu de la fillette, alors qu'elle joue dehors avec le chien, juste avant de le siffler et d'enfourcher sa motoneige vrombissante. Il a tout de même apporté des vêtements pour la petite, des outils et de la viande pour la semaine. Il a aussi montré le fonctionnement du groupe électrogène, de la radio CB et de la tronçonneuse.

Dans la semaine, une dizaine de personnes viennent se présenter plus ou moins poliment. Le mari d'Étoile, sa fille et son mari, d'autres voisins, des amis du grand-oncle. Tous donnent des conseils. Ils proposent leur aide. La moitié des gens sont de la tribu. Tous jettent un œil inquiet vers la petite fille. Certains amènent des affaires pour elle ou pour la famille, de la nourriture, des outils. L'oncle se montre détestable avec tous ceux de la tribu. Tribu qui entoure les terres encerclant la maison, à qui les terres de la maison appartenaient il y a bien longtemps.

Annotations

Vous aimez lire danslalune123 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0