Apprendre à vivre autrement

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Les six premiers mois furent les plus durs. Jonathan faisait des crises de manque effroyables. Il fallait les cacher aux autres. Heureusement, les voisins ne venaient qu'une fois par semaine. À tour de rôle. Souillon comprit vite qu'ils se relayaient. Ils n'aimaient pas la famille, mais étrangement, s'assuraient que tout allait bien. Un élan de générosité inexplicable.

L'oncle resta buté et sourd aux conseils pendant un bon bout de temps. En écoutant les voisins prodiguer leurs conseils dans le vent, la fillette appris à couper du bois, à trouver des lichens et des baies comestibles aux abords de la maison. Souillon sut vite piéger les écureuils et les lapins. Des voisins lui amenèrent des peaux de bêtes à nettoyer. Sa délicatesse et sa minutie faisaient des miracles. La famille obtint un peu d'argent ou de nourriture avec le travail de Souillon.

L'oncle et la tante acceptèrent enfin cette nouvelle vie et se mirent à travailler un peu. Les voisins leur offrirent des petits boulots pour survivre. Jonathan redevint l'enfant gâté qui ne faisait quasiment rien. Malgré qu'elle soit leur principale source de revenus, de nourriture et d'entretien de la maison, l'oncle et la tante continuaient de frapper et d'humilier Souillon.

Elle vivait cependant mieux cette situation puisqu'elle mangeait à sa faim en cachette, de la viande venant de ses pièges, des baies des arbustes proches. Parfois, de la nourriture venant des voisins qu'elle cachait en partie. Ses vêtements épais amortissaient davantage les coups de ceintures et les coups de pieds. L'oncle et la tante évitaient les gifles après un regard noir d'Ours lorsqu'il vit la marque sur la joue de la fillette. Ce regard terrorisa l'oncle. Les coups de l'oncle et la tante étaient moins puissants. Souillon les encaissait mieux en grandissant.

L'oncle et la tante étaient souvent absents. Jonathan ne faisait que dormir. Souillon avait quasiment une paix royale. Si les parents étaient absents, les voisins qui venaient ne prenaient même pas le temps de saluer Jonathan. Ils ne s'occupaient que de la petite. Étoile vient même une journée entière pour lui apprendre à teindre, filer, tisser la laine et à repriser des vêtements. Souillon fabriqua des couvertures, des draps, des bonnets, des écharpes et des gants que le village s'arrachait. Elle était travailleuse et humble. Malgré sa timidité, les voisins l'appréciaient et faisaient ce qu'ils pouvaient pour l'aider.

Ellipse de deux ans

La famille vit chichement. Les maigres revenus subviennent à leurs besoins vitaux. Les trois-quarts proviennent du travail de Souillon. Le reste des parents. On leur a offert une vieille motoneige avec un petit traîneau pour faire leurs courses ou pour acheminer les productions de la fillette. Elle s'en sert aussi pour ramener du bois ou relever les pièges à lapins.

Aujourd'hui, il faut aller au marché de la grande ville à deux cent kilomètres pour y vendre les productions de Souillon. Il faut se lever tôt. L'oncle et la tante travaillent et ne peuvent pas se déplacer. Ils ne font pas confiance en la petite. Alors, c'est Jonathan qui est chargé de l'accompagner. Cela fait plusieurs fois qu'il va à la grande ville. Il aime y aller et claquer le peu d'économies de ses parents en futilités.

Souillon a rempli le traîneau la veille. Elle a préparé le repas de tout le monde. Elle a mis de côté un peu d'argent en négociant les prix de ses courses, sans le dire à son oncle ou sa tante. Elle veut acheter une petite arme et des cartouches pour pouvoir chasser, et aussi un peu de matériel pour construire un poulailler ou une petite serre pour des légumes. Elle a bien caché son argent sous les bonnets à vendre. Elle ira faire ses emplettes dès que Jonathan la laissera seule pour aller au bar. Il est redevenu alcoolique.

Il fait froid. Jonathan et elle grelottent malgré leurs vestes chaudes. Soudain, Jonathan perd son bonnet. Le temps qu'il s'arrête, le bonnet est hors de vue. En plus, Jonathan n'a guère envie de chercher. Il fouille alors le traîneau. Avant que Souillon n'ait le temps d'intervenir, il les trouve et en prend un. Il le met fièrement sur sa tête. Souillon ré-attache la cargaison. Mais au moment de finaliser l'arrimage, une bourse tombe au sol et Jonathan se jette dessus tel un rapace.

Il l'ouvre et découvre les économies. Souillon essaye de se justifier. Elle explique que c'est pour équiper la maison et gagner plus d'argent afin d'avoir de quoi manger et se protéger des animaux sauvages. Jonathan ne veut rien entendre. Il gifle violemment Souillon. Il lui crache dessus. Il entre dans une colère noire. Souillon crie, mais personne ne l'entend dans ce désert glacé.

Jonathan cogne la fillette, avec ses pieds, avec ses poings. Elle est recroquevillée en position fœtale. Elle subit les coups en pleurant. En voulant la soulever pour la frapper, Jonathan déchire le manteau et le pull de Souillon. Elle essaye de s'enfuir. Il la rattrape vite, car il est bien plus grand qu'elle. Il saisit sa chemise qui s'arrache. Souillon est en soutien-gorge. Jonathan lui saisit le poignet. Il l'attire vers lui brusquement. Il lui hurle dessus. Il lui tord le bras avec force.

Il la jette au sol. Il lui donne de grand coup dans les cotes avec ses bottes. Elle roule dans la neige pour tenter de fuir. Il réalise que la fille est quasi nue devant lui. Il s'arrête de frapper. Un sourire méchant orne son visage. Souillon tremble. Elle n'aime pas ce regard de fou qui s'arrête sur son début de poitrine qui pousse. Jonathan semble réfléchir. Être perdu dans ses pensées. Il rit tout seul. Il semble dérangé. Souillon est terrorisée.

- Dis donc Souillon. T'as bien grandi. Je n'ai pas fait gaffe. T'es moche, mais je suis sûr que ces bouseux de la ville trouveraient de quoi s'amuser avec toi. Et moi, j'aurais enfin du fric.

Jonathan se lèche les lèvres d'un air carnassier. Souillon le supplie de ne pas s'approcher davantage. Elle tente de se relever malgré ses blessures. Elle tente de cacher sa nudité et de le dissuader de cette idée. Elle est si laide. Personne ne voudra d'elle. Jonathan se trompe. Elle rapportera bien plus en fabriquant des couvertures. Elle agite la petite bourse qu'elle a récupérée.

Un flocon de neige tombe sur le nez de Jonathan. Il relève la tête. Il s'aperçoit que l'heure tourne. Il va être en retard pour son rendez-vous au bar avec ses nouveaux potes. Il tente d'empoigner Souillon, elle s'enfuit. Il part alors avec la bourse et le traîneau. La laissant seule à demi-nue dans un désert de neige à plusieurs dizaines de kilomètres de toute civilisation. Souillon éclate en sanglots. Elle réajuste les lambeaux de sa chemise et se met à marcher en direction de la maison. Si elle va vite, elle pourra y être avant la nuit.

Elle avance de son mieux en grelottant. Ses larmes ont formé des glaçons sur ses joues qui lui piquent la peau. Elle tente tant bien que mal de se diriger en suivant les traces de la motoneige. Malheureusement, la neige se remet à tomber et efface les traces peu à peu. Souillon n'entend que le bruit de ses pas. Tout est si silencieux autour. Elle ne voit rien. Pas un écureuil. Pas un lapin. Pas un oiseau. Les nuages l'empêchent de voir le soleil. Elle ne peut se fier qu'à son instinct pour retrouver sa route.

Elle a froid. Tellement froid. Elle respire par le nez pour limiter les pertes en eau comme lui a conseillé Étoile un jour. Son nez est glacé. L'air givré qui rentre lui fait mal aux narines et aux poumons. Elle a de plus en plus de mal à progresser. Son pied se prend dans une racine dissimulée par la neige. Elle chute et s'étale de tout son long en se tordant violemment la cheville.

Alors qu'elle essaye de se relever, elle se retrouve face à un lynx qui montre ses crocs et s'apprête à lui sauter dessus. Elle se met à hurler instinctivement. Ce qui déplaît fortement à l'animal qui grogne et s'avance doucement pour se rapprocher de sa proie. Souillon est faible. À bout de forces. Elle boite. Il n'y a personne. Elle n'a pas d'armes. Pas assez de forces ni de temps pour monter à l'arbre le plus proche. En plus, le lynx sait grimper. Souillon comprend qu'elle va lui servir de repas dans les minutes qui suivent. Elle espère juste qu'elle mourra rapidement et sans douleur. Le Lynx prend son élan et saute en direction de sa tête.

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