Dettes

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Durant six mois, les deux parents firent tout ce que leur fils leur demanda. Sans protester. Ils ouvrirent leur portemonnaies régulièrement. Bien que déjà maigre à la base, Jonathan perdit encore du poids. Ses yeux s'injectèrent de sang. Son visage prit une teinte blafarde. Ses narines étaient dilatées. Ses colères devinrent terribles. Il rata des jours de cours. La tante justifia les absences par des maladies. Il fut arrêté pour ivresse sur la voie publique. L'oncle porta plainte contre le marchand de bouteilles qui avait vendu de l'alcool à un mineur. Les anciens amis de Jonathan partirent et des nouveaux peu recommandables arrivèrent. Puis un jour, Jonathan revint avec de traces de piqûres sur le pli du coude.

A partir de ce jour, l'oncle et sa femme perdirent tout contrôle. En quelques semaines, la maison servit de repaire et de cachettes aux nouveaux amis de Jonathan. Des gens louches et malsains squattèrent le jardinet le canapé. Des bagarres avaient lieu dans l'enceinte du domicile. Des drogués se shootaient sur le jardin. Des bandes rivales faisaient des raids en voiture et trouèrent la façade de la jolie maison de balles. Les habitants du quartier se plaignirent.

Les flics vinrent pour tapage nocturne. Puis pour tapage diurne. Des vols dans le quartier rendirent les voisins furieux. Sans cesse, l'un ou l'autre déposait une nouvelle plainte contre les locataires de la petite maison. Les policiers firent des perquisitions et mirent la maison à sac en cherchant les cachettes de drogues. Ils emmenaient des malfrats qui toujours revenaient sans être inquiétés, faute de preuves. Aucun policier ne s'intéressa au sort des véritables propriétaires des lieux. Aucun ne se préoccupa de la fillette décharnée et terrorisée. Celle qui ne savait ni lire ni écrire à presque douze ans puisque officiellement, son oncle lui faisait école à domicile.

Les nouveaux amis de Jonathan terrorisèrent l'oncle et la tante. Les deux adultes n'osaient rien faire. Leurs meubles furent vendus. Les fringues griffées de la tante aussi. Ses bijoux disparurent sous ses yeux. Elle ne put ainsi pas accuser l'enfant. Ils ne possédaient plus rien d'autres qu'une valise de vêtements basiques et quelques chaussures. Leur propre voiture avait disparu, empruntée un jour par un membre du gang et jamais rendue.

La famille vivait sous la terreur. Ils connurent le manque de nourriture, la peur, les coups, les humiliations. En fait, très peu de changement pour la fillette. Au contraire, les nouveaux amis de Jonathan étaient moins hostiles à son égard. Plusieurs d'eux lui donnaient à manger ou de l'argent pour des courses, elle pouvait garder la monnaie. Un des lieutenants du gang pensa même à utiliser la bonne bouille de la petite pour qu'elle puisse faire la mule dans les beaux quartiers.

Elle eut droit de prendre des bains. On lui offrit de beaux habits avec pleins de poches. On vérifia qu'elle savait compter. Elle alla même chez le coiffeur. Ses joues redevinrent rondes et roses. Cela avait un prix. Elle devait obéir sans faille au gang. Elle ne devait pas se tromper dans les échanges drogues/argent sous peine de prendre des coups de fouet dans le dos. Là où le tissu cache la peau.

Quelques clients essayèrent de profiter de l'innocence de la fillette. Elle dut son secours à son esprit vif. Elle déclara aux clients trop tactiles qu'elle était la propriété du chef de gang. Un demi-mensonge. L'homme n'aimait pas les fillettes. Son nom faisait trembler. Les clients avaient peur de le mécontenter. Elle était sa propriété en quelque sorte puisqu'elle travaillait pour lui. Un jour, son mensonge risquait de devenir réalité. Souillon priait pour que ce jour n'arrive jamais.

Le chef du gang était un homme d'une cinquantaine d'années. Toujours très bien habillé. Il ressemblait à un homme d'affaires ou un banquier. Avec juste un regard qui glaçait le sang. Taille moyenne. Coupe de cheveux moderne. Cheveux déjà blancs. Un visage rasé de près. Il sentait bon le parfum de luxe. Il était très élégant et venait peu à la maison. Il ne s'impliquait jamais dans les actions répréhensibles. Il ne se salissait pas les mains.

Le chef du gang obligea l'oncle à lui payer un salaire pour la "protection "de Jonathan. En plus de sa consommation de drogues, chaque mois plus cher. Le salaire des parents vint à être trop maigre. Ils ne pouvaient plus payer la consommation, la protection et la nourriture, encore moins les traites de loyer, les factures d'électricité ou d'eau. Plusieurs créances de crédits furent oubliées. L'oncle commença à vider son compte en banque. Lui aussi perdit du poids comme son fils. La banque mit en procès l'oncle et récupéra le titre de propriété de la maison pour une bouchée de pain.

Tout le monde fut délogé. La banque avait son propre service d'ordre qui expulsa ce petit monde manu militari. Des ex-mercenaires travaillant pour un autre gang. Une bande rivale qui soudoyait le banquier. Le gang se mit à squatter un nouvel endroit. La famille sans domicile suivit, contrainte et forcée. Un jour, l'oncle perdit son travail. Rapidement, il n'eut plus d'argent sur son compte, plus d'objet à vendre. La tante non plus. Elle aussi se fit licencier.

Ils n'avaient plus de famille depuis la mort des parents de Souillon. Ils appelèrent à l'aide leurs amis qui leur tournèrent le dos. Le chef leur réclamait encore plus d'argent. S'ils n'avaient plus de fric, Jonathan et eux devraient travailler pour lui. C'est-à-dire braquer des banques, convoyer de la drogue ou se prostituer.

Alors que les deux adultes se lamentaient dans le parking, Souillon se permit une remarque d'une voix fluette et craintive. Aller trouver la police et témoigner contre le chef du gang en échange d'une protection. Partir loin pour désintoxiquer Jonathan. Les deux adultes étaient tellement désespérés qu'ils écoutèrent l'enfant sans la frapper ni l'interrompre pour la traiter d'imbécile. L'oncle s'appropria ce plan et se rendit à la police dès le lendemain matin.

Ce fut une délivrance. Ils furent témoins sous protection durant le temps du procès. Ils allèrent d'hôtel cinq Étoiles en résidence luxueuse pendant un an et demie. Mais après, une fois le procès fini, ils déchantèrent. Le malfrat ayant été condamné et d'autres preuves ayant été trouvées, la police n'avait plus besoin d'eux. Ils les abandonnèrent à leur sort, avec un gang furieux contre eux, sans un sou en poche et avec un ado en pleine cure de désintoxication.

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