Chapitre 15

7 minutes de lecture

Bastien

Je suis remonté avec Chloé. Mais avant... avant, il s'est passé beaucoup de choses. Après aussi.

Je la rejoins sur la terrasse.

- Tu veux boire quelque chose ?

- Tu as de la limonade ? elle me demande.

Ca tombe bien, j'en avais acheté mercredi en faisant les courses. En cette saison, Joséphine aime bien boire des diabolos grenadine. Je ramène la bouteille, la sers et finalement, je me sers aussi. Je me rassois, et Chloé me demande :

- Je ne voudrais pas te poser une question indiscrète, d'ailleurs, si tu la juges trop indiscrète, tu me dis, je n'insiste pas, mais je n'ai pas voulu te demander cela devant la petite.

J'acquiesce simplement, j'attends la suite.

- Comment ça se fait que tu élèves seul ta fille ?

- Hé bien..., je soupire. Et bien, je t'avoue que si je te réponds que je ne le sais pas exactement moi-même, ce sera déjà une grande part de la vérité.

Et je lui raconte. Alice, son départ, mes interrogations, mes craintes pour elle, mon incompréhension. Je conclus :

- J'espère ne pas te choquer avec ce que je vais te dire, mais... Quelque part, je crois, c'est un peu comme quand quelqu'un se suicide sans laisser le moindre mot, la moindre lettre. On est face au vide, on n'a pas d'explications. Je me suis retrouvé comme cela.

- Et les démarches n'ont rien donné ?

- Rien. On a lancé une procédure judiciaire, la seule possible car on n'était pas mariés, pour abandon d'enfant. Mais ça n'a pas abouti. On n'a pas retrouvé trace d'Alice. Ca m'a juste donné la reconnaissance purement administrative d'exercer seul l'autorité parentale. Ce qui d'un certain point de vue facilite bien des aspects de la vie courante, mais en complexifie d'autres.

Chloé

A ce moment de notre conversation, il doit bien être dans les 23h, Bastien se lève et fait quelques pas vers le jardin. Il avait allumé deux petits spots sur les côtés de la terrasse, quand la nuit commençait à tomber. La lumière éclaire son dos, dessine sa silhouette sur l'ombre du jardin. Au loin, on entend la mer et les grillons. Il m'a raconté tout cela avec une certaine distance. Je pense qu'il a digéré déjà bien des aspects douloureux et difficiles de cette histoire. Il reste silencieux au point que lorsqu'il se remet à parler, il me surprend :

- Et toi ? Ca a été quoi, ta vie jusqu'à maintenant ?

Je prends une grande inspiration. Il sait déjà que je fais des études un peu longues. Que pour varier les plaisirs, je poursuis en parallèle de ma formation de future institutrice, des études en Histoire de l'Art. Ca ne me servira sans doute pas, pour ma carrière. Mais j'aime cela et j'estimais que c'était le seul moment de ma vie où j'allais pouvoir me consacrer un peu à quelque chose qui me passionne. Et pas seulement apprendre ce qui me serait purement utile.

- Si depuis bientôt deux ans, je suis ces cours en plus de la formation à l'IUFM, ce n'est pas seulement pour cette raison. C'est aussi que je me suis retrouvée seule après avoir vécu trois ans avec quelqu'un, avoir fait des projets... Je l'avais rencontré à une fête étudiante, on s'est séparé lors d'une fête étudiante. J'ai pleuré... et souffert durant deux mois. Puis un jour, j'ai dit "basta, j'ai mieux à faire." Et je me suis mise à fond dans les études. C'est un bon pansement, les études. Maintenant, cette histoire, c'est une petite partie de ma vie. Mais ce n'est pas toute ma vie, comme je l'avais imaginé un moment.

- Tu es philosophe, me dit-il en se retournant vers moi, avec un léger sourire.

Bastien, si tu ne veux pas que je craque sur toi, arrête de sourire comme ça. Et arrête de me regarder comme cela ou alors, je ne réponds plus de rien. Seulement, je ne dois pas être douée pour la télépathie, ou alors, le destin décide de s'en mêler. Mais visiblement, Bastien n'a pas du tout l'intention de me regarder d'une autre manière. Ca me donne des frissons jusqu'au bout des orteils.

Bastien

Chloé a un regard fascinant. Auquel je suis incapable d'échapper. C'est comme un fil invisible qui me retient. Je suis pris dans un étrange filet. Et je peux vous assurer que je suis un sacré poisson. Je ne sais pas combien de temps on reste à se regarder ainsi. Je sais seulement que je n'ai pas envie de lâcher son regard d'un centième de seconde. Mais quand elle se lève et s'avance vers moi, alors là, je me dis que tout va basculer. Je ne trouve absolument rien, mais vraiment rien, rien à dire. Je n'ose même pas bouger d'un millimètre. Une seule pensée me traverse l'esprit : pourvu que Joséphine dorme ! Mais la seconde suivante j'oublie même ma fille, parce que le visage de Chloé se trouve à quelques centimètres du mien, que son parfum léger m'emplit les narines, que son regard emplit le mien et... et que je me décide à l'embrasser.

Chloé

Hum... ça va vite. Ca va sans doute, peut-être trop vite. M'en fiche. Oh la, il ne faudra pas que je parle à mes élèves comme ça ! Qu'est-ce qu'elles disent les copines, déjà ? Jamais le premier soir ? Que ça fait "fille facile" ? M'en fous. Mais il embrasse bien... Je me sens déjà remuée complètement à l'intérieur. Quelque chose me dit que je ne vais pas rentrer dormir chez moi. En tout cas, je n'en ai pas du tout envie.

Bastien

Chloé doit être une aventurière, en tout cas, pas le genre à avoir froid aux yeux, plutôt à prendre les choses en main (pardonnez-moi l'expression), parce qu'alors qu'on s'embrasse toujours, je sens sa main qui glisse dans mon cou, puis le long du col de ma chemise (je porte rarement autre chose qu'une chemise les jours où je travaille. A la maison, c'est plus souvent t-shirt et pull, mais au boulot, même si je ne porte pas de costard, je suis un minimum plus classe). Puis elle fait sauter le premier bouton et là... hum... ses doigts... Alors, je la serre plus fort contre moi et quand j'abandonne enfin ses lèvres, j'arrive à lui dire :

- Tu veux dormir ici ?

- Oui.

C'est un souffle léger à mon oreille, mais j'adore. On laisse tout en plan sur la terrasse, on traverse la cuisine, j'oublie le chat dehors (bien fait pour lui), elle ôte rapidement ses chaussures au bas de l'escalier. On ne peut pas monter à deux de front, il est vraiment étroit. Je la précède, mais je la tiens toujours par la main, le bout de nos doigts enlacés. Je la fais entrer dans ma chambre.

- Je reviens... Je vais voir si la pitchoune dort bien.

Je me redonne quelques secondes pour me remettre les idées en place. Joséphine dort comme une bienheureuse, Tom dans les bras. Elle a déjà tourné d'un quart de tour dans son lit. Elle fera ainsi tout le tour dans la nuit, et se réveillera dans la même position qu'au coucher. J'ai déjà eu maintes fois l'occasion de l'observer et cela me fait toujours rire. Je referme sa porte sans faire de bruit et soudain, je pense à un truc. Merde... Est-ce qu'au moins, il m'en reste ? Si, dans le tiroir de ma table de nuit, bien planqués dans le fond pour que Joséphine ne les trouve pas et n'imagine pas que ce sont des bonbons... Sauf qu'ils doivent être périmés, depuis le temps. Bastien... Tu es à désespérer... Bon, de toute façon, ce n'est plus le moment de reculer. On verra bien. Si ça se trouve, Chloé en a...

Chloé

Je suis entrée dans sa chambre, le temps qu'il vérifie que Joséphine dort bien. Peut-être qu'il veut s'assurer aussi que sa porte est bien fermée. Je n'ai pas allumé la lumière, de toute façon, le ciel est assez clair et la lune s'est levée. J'ai le cœur qui bat à cent à l'heure. J'ai jamais sauté sur un gars comme ça. Pourtant, j'ai eu quelques aventures depuis Denis, une rencontre lors d'une soirée, qui se termine dans un lit, au revoir au matin et puis c'est fini. Ca y ressemble un peu. Sauf que mon cœur, lui, je sais qu'il ne me ment pas et que ce n'est pas du tout ce que j'espère. Alors, ça va trop vite ? De toute façon, ce n'est plus le moment de réfléchir, de se poser des questions. Bastien me rejoint, je le devine un peu hésitant, la faible lumière ne me permet pas de déceler sa légère inquiétude. Mais quand il me dit "faut que je vérifie un truc" et qu'il allume la lumière sur sa table de nuit et fouille dans le tiroir, je comprends. Et je souris. J'espère qu'il a ce qu'il faut, parce que moi... Si j'ai toujours un petit sachet dans mon sac à main, ce soir, j'étais partie sans mon sac à main, juste le portefeuille planqué dans la boîte à gants.

- Ah, ok, c'est bon... heu... zut... périmés depuis deux mois, ça te fait pas peur ?

Là, j'éclate de rire.

Bastien

Son rire à mon oreille. J'adore. Ouf. Elle prend ça bien. Bon, je peux toujours essayer de dévaliser le distributeur de la pharmacie, mais... je crains qu'il ne soit vide. En été, il est réapprovisionné régulièrement, mais là, j'ai des doutes. Même une veille de week-end, pas sûr qu'il prévoie pour les jeunes du coin - et les moins jeunes - le père Bernard.

- Non, ça ne me fait pas peur. Ce ne sont pas des yaourts !

Je ris avec elle, je me redresse et je la prends dans mes bras. Et là, je pars à la découverte, et c'est rudement bon.

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