Chapitre 6

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Joséphine

- Je suis prête, papa ! J'ai fait mon petit sac avec mon pyjama et ma brosse à dents, et j'ai mis Tom dedans !

- Parfait. Le mien est prêt aussi, et je n'oublie pas une bouteille. On va pouvoir y aller.

- Tu as donné des croquettes à Mioky ?

- Ah zut, je l'ai encore oublié celui-là... Tu peux le faire ? Je finis d'emballer le cadeau pour Stéphane.

Je descends l'escalier, entre dans la cuisine, ouvre la boîte de croquettes, remplit la petite gamelle. Le chat ronronne et se précipite pour en manger quelques-unes.

Papa éteint les lumières, ferme la porte, on traverse le petit jardin, on monte dans la voiture, il vérifie que je suis bien attachée.

- Bon, dit papa en se mettant au volant. Tom est là ?

- Oui !

- Joséphine est là ?

- Oui ! Papa est là ?

- Oui. Alors, on y va.

Autoradio. Bruce Springsteen. Papa adore The Boss. Il est même allé au Stade de France pour le voir jouer en concert.

Bon, là, faut que je vous explique. On va à l'anniversaire de Stéphane. C'est un des potes homos de papa. Avec Gérald. Mais ils ne sont pas en couple. Je veux dire, Stéphane n'est pas le compagnon de Gérald. Je suis invitée. Oui, oui, moi aussi je suis invitée. En fait, ils sont super gentils. Comme tous les copains de papa. Il va y avoir du monde. Stéphane habite une grande maison qu'il retape, à la campagne. Avec un terrain immense. D'ailleurs, une partie des invités va camper. Nous, privilège d'être une petite fille sage, on aura droit à une chambre. Papa a prévu les sacs de couchage, mon oreiller. Ce sera sans doute sur un matelas par terre, mais c'est pas grave. J'aime bien. Ca fait un peu camping. Comme quand on va à Mimizan les Pins, l'été. J'aimerais bien aller ailleurs. Papa aussi, mais ailleurs, c'est vite plus cher... Et puis, là-bas, il y a la mer, au moins. Enfin, ici aussi, on a la mer, mais là-bas, l'eau est plus chaude. Je devrais suggérer à papa d'aller à la montagne. Pour changer.

Mais je m'égare. Revenons à notre hôte. Stéphane, 32 ans. La moitié des invités sera homo, l'autre hétéro. Il y aura des filles aussi. Enfin, je veux dire, des jeunes femmes. Déjà, d'emblée, je sais qu'il y aura la pétasse de Séverine qui drague papa depuis des années, mais que je déteste. Papa le sait, et de toute façon, Séverine le laisse totalement indifférent. Mais j'espère qu'il y en aura d'autres, qui ne seront pas en couple, et qu'il pourra s'y intéresser un peu. Ca me permettra d'enquêter aussi.

Quand on arrive, il y a déjà du monde. Deux barbecues en service, ça sent bon la saucisse, la merguez et les chips. J'ai promis à papa de manger de la salade. On salue tout le monde déjà présent, je les connais presque tous et papa aussi. J'adore ces fêtes chez Stéphane ! A la belle saison, il en fait souvent. On ne vient pas à chaque fois, en tout cas, moi, je ne viens pas à chaque fois, mais disons 3 à 4 fois dans l'été.

Je commence par repérer les nouvelles têtes. Il n'y en a pas beaucoup. Jérémy a une nouvelle copine, ok, donc elle, on l'élimine d'emblée. Ah, si, y'a deux autres filles aussi que je ne connais pas, mais... Ah, ok, elles sont ensemble. Donc elles non plus, elles comptent pas.

- Bonsoir, pitchoune ! Tu vas bien ?

Lui, c'est Jean-Vincent. Super sympa. Il faut que je l'interroge au cours de la soirée. C'est un des plus anciens copains de papa. Un ami aussi. Ils se connaissent depuis la petite école. Il est homo. Papa a été un des premiers à le savoir, enfin, je crois. C'est ce que Jean-Vincent m'a dit. C'est un peu grâce à Jean-Vincent qu'on connaît des gens de "ce milieu-là" comme on entend parfois. Jean-Vincent a un copain, Marc. Ils sont ensemble depuis 4 ans. Il s'active autour d'un des barbecues.

- Tu veux manger quelque chose, pitchoune ?

- Une saucisse avec des chips ! Mais à condition que tu manges avec moi !

Il éclate de rire et revient avec deux assiettes en carton, une saucisse dans une, deux merguez dans l'autre, et un saladier de chips. Juste pour nous deux. Trop bien. Papa a le dos tourné, il prend l'apéro, discute déjà avec un groupe d'amis. Cool. Séverine n'est pas là.

- Jean-Vincent, je vais avoir besoin de toi.

- Ah oui, pour faire croire à ton père que tu as mangé des tomates ?

- Non, non. Ca, je vais en manger, pas de souci. Non, j'ai besoin de toi pour un truc sérieux. Mais c'est secret. Tu promets de ne rien dire à papa ?

- Hum, ça dépend ce que c'est, mais a priori, je peux promettre.

- C'est pour la fête des pères.

- Ah, ok, alors pas de souci. Que faut-il faire ?

- La maîtresse nous a demandé de faire le portrait de notre maman pour l'offrir à notre papa pour la fête des pères. On peut faire un dessin, un poème...

- Ah oui, je vois...

- Moi, je voudrais écrire une sorte de petite histoire. Mais je ne veux pas parler de maman. Je veux inventer une maman, c'est encore mieux, non ?

- C'est une belle idée. Et que puis-je faire ?

- Tu vas répondre à mes questions.

Je pose mon assiette sur le côté, j'attrape une poignée de chips, puis je sors mon petit carnet de mon sac à dos que j'emporte toujours avec moi dans ce genre d'occasions : c'est le sac de Tom. Quand j'étais plus petite, il y avait aussi mon biberon dedans. Et une couche culotte de rechange. Là, y'a juste Tom et mon petit carnet.

Je ne vous ai pas raconté, mais j'adore les petits carnets. Depuis que je suis toute petite. J'en ai maintenant une belle collection. J'écris des histoires, je fais des dessins dessus. Celui-là, c'est un neuf. J'ouvre une double page, en haut de la première, c'est écrit : ce que papa aime. En haut de la deuxième : ce que papa n'aime pas.

- Jean-Vincent, à ton avis, qu'est-ce que papa aime le plus au monde ?

- Toi.

- Et qu'est-ce qu'il déteste vraiment, vraiment...

- La guerre, l'hypocrisie, le mensonge.

- Sa couleur préféré ?

- Heu... celle de tes yeux.

- Non, réponds sérieusement, s'il te plaît. Ce n'est pas mon portrait que je dois offrir à papa, mais celui de ma maman imaginaire.

- Et elle est comment pour toi, ta maman imaginaire ?

- J'affinerai avec tes renseignements. J'ai besoin que cette maman plaise à papa. Sinon, elle ne pourra pas être ma maman.

- C'est vrai. Tu es d'une logique redoutable, Joséphine.

- Donc, sa couleur préférée ?

- Celle de la mer.

- Et celle qu'il aime le moins ?

- Le rouge sang.

- Son chanteur préféré ?

- Bruce Springsteen.

- Sa chanteuse préférée ?

- Tina Turner. Parce qu'elle a du chien.

- Son animal préféré, le chien, ça je vais l'ajouter aussi.

- Et tu peux mettre qu'il déteste les chats...

- Est-ce qu'il préfère les femmes blondes, brunes...

- Ta mère était blonde, Mylène était rousse, Valérie était brune. On peut dire qu'il n'a pas de préférence pour les couleurs de cheveux. Tu pourras mettre selon ton imagination.

- Et la couleur des yeux ?

- Pareil. Pourvu qu'ils soient expressifs.

C'est sûr qu'avec Jean-Vincent, j'obtiens un peu plus de précisions qu'avec papa, mais quand même. Ils manquent un peu d'originalité, les hommes.

- Son dessert préféré ?

- Comme si tu ne le savais pas : les éclairs au chocolat.

- Le truc qu'il déteste manger.

- La bouffe indienne.

- Son actrice préférée ?

- Ah, ça, ce n'est pas simple. Ca dépend des films... Sofia Loren, peut-être ? Non, Ingrid Bergman !

- Ce sont des vieilles. Une jeune. Là, parmi la jeune génération des actrices.

- Tu sais, ça fait un bail que je n'ai pas été au cinéma avec ton père et qu'on n'a pas causé films... J'en sais rien. Faudrait demander à Gérald. La dernière fois, je crois qu'ils ont été voir...

- Bon, on laisse tomber. On va procéder autrement.

- Ok.

- A ton avis, il préfère Lara Croft ou Miley Cyrus ?

- Comment tu connais Miley Cyrus, toi ?

- J'ai vu sa photo sur internet l'autre jour. Au fil des actualités.

- Ben, je dirais... Vraiment entre les deux ?

- Oui.

- Plutôt Lara Croft, mais bon, c'est par défaut... Une nana qui dézingue à tout va, c'est pas son truc quand même. Et une qui... heu, enfin... non. Oui, plutôt Lara Croft, à choisir.

- S'il partait sur une île déserte, il emmènerait quoi ?

- Toi, Tom, mais pas le chat. Un livre de Boris Vian, une pile de revues de mots croisés. Son couteau suisse. Un jeu de cartes.

- C'est déjà ce qu'il emmène quand on va au Camping des Flots Bleus.

- Donc c'est la bonne réponse. C'est comme si c'était une île déserte, pour lui.

- Dis, tu crois pas qu'on pourrait aller passer des vacances ailleurs ?

- Si, mais... Je ne sais pas en fait. Ton père, il n'a pas un gros salaire, tu sais. Il faut s'occuper de toi, rembourser la maison, la voiture... La vie est chère, de nos jours.

- Si ma maman imaginaire gagne plus que lui, ça le gênerait, tu crois ?

- Non.

- Qu'est-ce qu'elle devrait apporter ma maman imaginaire pour plaire à papa ?

- Un peu de fantaisie. Beaucoup d'amour. T'aimer, toi. Et que toi, tu l'aimes.

- Ce sera ma maman imaginaire, donc je l'aimerai forcément.

- C'est vrai.

Je note soigneusement certaines remarques de Jean-Vincent. Les choses commencent à se préciser. C'est à ce moment-là que la catastrophe arrive. Enfin, la catastrophe... Séverine. Elle vient nous interrompre.

- Oh, Joséphine ! Mais tu es là ! Quel plaisir ! Bastien ! Mais tu ne m'avais pas dit que tu étais venu avec la petite ! Qu'est-ce que tu as grandi, ma chérie...

Pouffiasse. Pardon, c'est un gros mot. Je ne suis pas ta chérie. Je ne suis pas petite. Ce n'est pas un plaisir de te voir, vieille morue. Lâche la grappe à papa. Pas la peine de le soudoyer pour qu'il te ramène cette nuit, on dort sur place. Beurk. Tu pues le parfum. T'es trop maquillée. Ta jupe est moche. Je te déteste.

Je lui lance un regard en biais. En général, ça refroidit. Sauf Séverine. Et elle commence à faire sa curieuse, en plus ! Vite, faut que je range mon carnet.

- Je vais me chercher des tomates !

Ouf, j'ai réussi à me dégager de ses pattes. Qu'est-ce qu'elle pue le parfum... Il faut que je me renseigne et que je note que ma maman imaginaire portera un parfum beaucoup plus délicat. Léger.

Mais c'est qu'elle a pris ma place à côté de Jean-Vincent ! Grrr... Comment je vais faire pour récupérer mon sac et Tom, maintenant ?

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