3.0 La magie avec trop de baguettes

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Eileen avait toujours cru qu'elle se connaissait bien. Elle n'avait qu'elle-même, compagne d'un bout à l'autre de sa vie, alors autant ne pas se rester étrangère. Alors, se demandait-elle dans une de ses soirées d'introspection qui se manifestait par un travail accru dans son petit atelier, comment se faisait-il qu'elle n'eut toujours pas trouvé son âme sœur ?

Oh, elle ne parlait pas d'un autre être humain, ça non. De toute manière, on tous mourrait seul. Non, elle parlait d'une baguette.

Six ans étaient passés depuis que sa première baguette avait été détruite. Six ans qu'une cicatrice ornait sa main droite, souvenir du Feudeymon qui avait brûlé bois et peau. Comme à chaque fois qu'elle y pensait, Eileen frotta les marques blanches sur le dos de ses doigts. Elle les camouflait habituellement sous des gants en cuir ou en tissus, mais lorsqu'elle travaillait le bois, elle n'avait d'autre choix que de les laisser apparentes.

Depuis ce jour, elle n'avait jamais retrouvé la même complicité avec la moindre baguette. Reprendre quasiment la même combinaison que l'originale - bois de cyprès, plume de phénix, 26,45 cm, flexible - n'avait pas eu le moindre succès. Il fallait dire que tout le monde changeait, et qu'elle n'était plus la même personne que celle qu'elle avait été à onze ans. Aucun des essais subséquent n'avait été plus concluant, et ça n'était pas peu dire en terme de nombres de baguettes testée. Elle n'exagérait pas quand elle disait avoir pris entre ses doigts toutes les baguettes disponibles à Ollivander's, et même plus. Des dizaines et des dizaines, probablement même des centaines. C'était bien pour ça qu'elle était passé de cliente à vendeuse, ainsi qu'artisane : elle avait posé un tel problème à Ollivander qu'il lui avait proposé un poste dans la boutique, se jurant de finir par trouver ce qu'il lui faudrait. Au delà des trois coeurs qu'il vendait quasi-exclusivement - plume de phénix, ventricule de dragon, crin de licorne - il était allé jusqu'à rechercher de vieilles baguettes de son arrière arrière grand père, au matériaux bien plus... créatifs. Cheveu de géant, plume d'augurey, ongle de troll, toute la collection. Puis, comble du comble pour la boutique qui se disait la meilleure d'Europe si ce n'est du monde, ils avaient commandé à l'étranger. Les plumes d'oiseaux tonnerre de Shikoba Wolfe, les baguettes nacrés de l'atelier Beauvais. Ils étaient même allé jusqu'à retrouver une des dernières baguettes fabriquées de la main de Thiago Quintana. Eileen en avait vu tellement passé qu'elle pouvait identifier le coeur de n'importe quelle baguette rien qu'en la tenant.

Peut-être alors, avait proposé Ollivander, que c'était ça le problème. Les baguettes pouvaient se montrer jalouses, or il n'y avait pas plus inconstante qu'Eileen. Peut-être qu'en gardant une baguette plusieurs années, celle-ci finirait pas se faire à elle. Un mariage arrangé qui finit sur de l'amour, on pourrait dire.

Ouais ben après trois ans avec une baguette en sycomore et plume d'oiseau-tonnerre, puis trois autres avec une en sapin et tige de dictame, il n'y avait pas eu le moindre lien qui s'était formé avec l'une d'entre elle. Et maintenant que la précédente avait été brisée par Perseus Beurk, il lui en fallait une quatrième. Qu'elle venait d'ailleurs tout juste de terminer.

— Oyez oyez, dit-elle, à voix haute puisqu'il était 2h30 du matin et que son cerveau avait abandonné une partie de sa sanité. Soyez témoin de la terrible baguette peuplier, élue parmie les mortels. Lumos !

Il ne se passa rien.

— Qu'est-ce que... ?

S'adresser au vide ne lui donna bien sûr aucune réponse. En même temps, comment était-elle sensée expliquer le fait que le sortilège le plus basique au monde lui posait problème ? C'était à la porte de n'importe quelle première année. Même les baguettes les plus contrariantes ne lui avait donné autant de fil à retordre.

Elle secoua la baguette, utilisant la technique ancestrale du "à force de taper dessus ça va bien finir par marcher".

— Lumos ! répéta-t-elle. LUMOS !

À bout de nerf, elle lança la baguette contre le mur. La voir se briser aurait été des plus cathartiques. Sauf que l'objet était fin et léger, il ne pouvait se briser en une petite chute. D'une certaine manière, voir sa colère aussi inefficace l'énervait encore plus. Si elle avait pu, elle aurait cramé le bout de bois rien que par la force de son regard meurtrier.

Incendio, siffla-t-elle.

Une bouffée de chaleur envahit son corps. Emplit sa poitrine, remonta jusque sa tête et explosa jusqu'au moindre de ses orteils. Elle eut l'impression qu'un fer blanc était appliqué contre son index, alors qu'un jet de magie en sortit, cristallisant dans un filet brûlant toute sa rage. Le bois de peuplier prit feu instantanément, sans qu'Eileen comprenne véritablement ce qu'il venait de se passer. Elle chancela un instant, et se rattrapa contre sa chaise.

Il ne s'agissait pas juste d'une fatigue psychologique, ou de l'effet de l'incompréhension. Ses jambes tremblaient, terriblement faibles sous elle. Elle n'avait jamais ressenti ça depuis... Depuis la finale de la coupe de duel, où elle avait utilisé jusque la dernière once de son énergie pour arracher la victoire.

Mais qu'est-ce qui venait de se passer ?

Le fait qu'elle venait de détruire "sa" baguette était le cadet de ses soucis. Tout ce qui importait, c'était qu'elle venait de lancer un sort par la seule force de son esprit. Elle dut s’asseoir pour procéder l'information. Si elle restait debout, elle risquait de tomber dans les pommes.

Était-ce vraiment de la Manumagie, cet art difficile dont elle avait entendu parler dans des livres ? Elle avait du mal à y croire. Pourtant, il n'y avait pas de toute possible : elle venait de lancer un sortilège sans baguette. Cela la ramenait à son enfance, quand elle n'était même pas encore apprentie sorcière et qu'elle ne possédait pas de baguette. Il n'y avait alors aucun contrôle des pouvoirs, juste une force sauvage. Aujourd'hui n'était pas si différent. Emportée par ses émotions, un simple Incendio l'avait mise hors service. Mais peut-être était-ce là la solution à ses problèmes : si aucune baguette ne pouvait lui convenir, alors elle apprendrait à faire sans.

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