La rencontre

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Dimanche. Je vais au supermarché parce que comme j'ai pris l'habitude d'y aller le dimanche, je ne veux pas que K sache que j'ai mal pris son vent de la veille. J'y vais, je le croise en rayon, on se salue. Je fais un tour, achète du Sopalin, du Finley Mojito. Il n'y a que la caisse de la vieille qui est ouverte, il y a du monde. En me voyant, rallonger la file (et peut-être juste en me voyant), elle crie gentiment « K ! », mais K ne vient pas. Je le cherche des yeux, l'attend. Il arrive quand je range mes articles. Cette fois, la caissière m'a proposé un sac. K demande ce qu'il y avait. La caissière dit qu'il y avait du monde, mais que maintenant, c'est trop tard, elle a enregistré les achats. Je pense que c'était très gentil et délicat de sa part et qu'elle voulait que K puisse m'encaisser.

Je rentre chez moi, je me dis que je vais faire le même tour, je range, je me change, je souhaite partir à 13h comme le magasin ferme à 13h. Les parents n'ont toujours pas appelé. Ils appellent à 13h. Ils m'appellent tous les jours depuis que je suis partie pour continuer mes études dans la capitale. Quand je sors, je suis désespérée, il est tard. Mais je croise au bout de la rue la caissière, que je salue. Un espoir est donc là. Je cours dans la rue, Call Me Maybe dans le casque. Je le vois, il vient de sortir du magasin. Je marche, vite, pour le rattraper. J'arrive à sa hauteur, il est sur son téléphone, casquette sur la tête. Il ne me voit pas. Par chance, il y a un passage clouté. Je fais mine de regarder à droite à gauche, le salue « Oh, comment allez-vous ? », il me répond, on marche en parlant.

J'apprends qu'il est étudiant en informatique, je lui dis que j'étudie les Lettres, ce qu'il y a comme matières. Latin, Grec, Anglais, il me dit que je dois être forte en anglais. Je dis que non, pas du tout mais meilleure en Latin et en Grec. Il me demande de lui bonjour en Latin. Je dis que je sais pas, que c'est une langue morte. Il me demande à quoi ça sert. Je lui répond que c'est intéressant pour l'étude du Français, et qu'en plus, beaucoup de textes du Moyen-Age sont écrits en Latin. Il reste d'avis que c'est inutile et que ça doit être dur pour pas grand-chose. Il me parle du Grec. Je lui dis aussi que j'étudie le Grec Ancien, que c'est la langue morte. Il est étonné. Il me dit que ça doit être difficile et que c'est déjà difficile de connaître une langue, mais alors plus ! On parle, un peu de notre vie. Mais cela s'arrête aux études. Et un moment, il y une route, une deux voies, personne et il traverse. Je lui dis « Attention ! », il me répond qu'il n'y a pas de danger. Je coupe. Je dis que c'est calme le dimanche matin. Il me répond qu'il trouve qu'il y a du monde. Je trouve ça bizarre, il n'y a personne. Je dis que le samedi matin non plus il n'y a personne. Que je le sais parce que j'ai des devoirs de 6h. Il me dit que c'est chaud, que pour lui, c'est déjà dur de travailler le samedi et le dimanche et qu'il pourrait pas faire des devoirs le samedi matin. Je dis que ouais, c'est pas facile, et que c'est intense et soutenu.

Il me demande où je vais, je dis métro, comme lui. Pour aller au musée d'Orsay rejoindre une amie. « Tu vas au musée le Dimanche ? Oh, c'est chauuuuud ! », je dis que c'est sympa le musée, que ça me plaît. Il me demande ce que je vais y faire, voir une expo. « Nekfeu ? », « Non, une expo ! », il préfère un concert de Nekfeu, plus intéressant selon lui, à un musée le dimanche après-midi.

On arrive à la bouche de métro, je passe ma carte. Il est de l'autre côté, en train de chercher un ticket de métro. Je lui demande s'il a une carte. Il répond que non, pour l'instant des tickets, mais qu'il prendra une carte bientôt. Il fouille au fond de sa poche de manteau, sort un paquet de mouchoir, des écouteurs blancs (il a un Iphone), un mouchoir sale. Il finit par passer. Passe devant une poubelle et en profite pour jeter le paquet de mouchoir et le mouchoir sale (il doit faire comme moi, mettre le mouchoir dans l'emballage). Il a un gobelet de café dans la main, n'y a pas touché en ma présence et il n'en veut plus. Alors une fois dans le tunnel, il regarde la poubelle et pose son café sur le montant en me disant « Si quelqu'un veut le boire... », on parle. Il est encore tout étonné pour le musée. Je lui dis qu'hier j'ai fait du shopping, il dit que là il comprend. Dès qu'il arrive chez lui, il va dormir. Il y a quelques blancs, il reprend la conversation. Me raconte son expérience au « Centre... Centre... » « Pompidou ? » « Oui ! », mais qu'il aime beaucoup le musée du Louvre. Je dis que je n'y suis jamais allée. Il est tout étonné. Il me demande où se trouve Orsay. Je dis que je sais pas expliquer mais que je sais y aller, qu'il faut que je prenne le RER C à Invalides et qu'ensuite, il n'y a qu'un arrêt. Que c'est à côté de l'Assemblée Nationale. Il est surpris de se dire que c'est à Paris. En me voyant un peu perdue pour décrire où se situe le musée d'Orsay, il me demande si j'y suis déjà allée. « Oh oui ! Je le connais bien celui-là ! J'y allais souvent ! ».

Il est charmant, j'aime bien parler avec lui mais je suis timide. Lui aussi je pense. Je suis heureuse d'être avec lui, d'autant plus que j'apprends qu'il part à la fin du mois. On est le 26. Plus que six jours à le voir. Je ne ferai plus jamais mes courses comme avant. Il était mon soleil, mon caissier, mon K, mon éclat de journée. Je lui dis pas comme je l'apprécie. J'essaie juste d'être souriante au plus haut point, j'oublie même de lui proposer le tutoiement et de lui dire mon prénom.

Le métro arrive, je dis que je descends à Invalides, le prochain arrêt. Il se tient à la barre en entrant. Je ne me tiens pas. Il est surpris, me dit que s'il ne se tient pas, il tombe direct. Déjà l'arrêt. Il me souhaite une bonne visite, je lui souhaite un bon repos. Et je regarde la chenille s'en aller, espère croiser une dernière fois son regard. Il est sur son téléphone. Je suis contente de l'avoir vu. Mais il ne m'a pas demandé mon numéro, ne m'a pas fait de compliment, ne m'a pas dragué. Juste une conversation normale. L'a-t-il fait par politesse ? Je ne sais pas. Je ne pense pas, mais je ne sais pas. Il aurait pu me demander mon numéro. Il ne l'a pas fait. Soit il est très timide, soit je ne l'intéresse pas et je me suis fait des idées. Un peu triste, je prends le chemin du RER.

C'était si bref ! Si furtif ! Je ne veux pas d'un autre caissier. Je ne veux pas faire mes courses sans espoir de le voir me sourire. Mais il faudra m'y habituer. Oh, je ne veux pas ! J'espère qu'on va se voir en dehors, un peu. Pour se balader, pour visiter, pour être ensemble. Mardi, je vais lui dire mon prénom. J'espère qu'il va me demander si c'était bien le musée. Parce que s'il ne rebondit pas sur ça, ça veut dire que ça n'avait aucun sens pour lui. Il va peut-être être coaché par Nani. Nani c'est le jeune ami. Roméo le responsable sans lunettes. Mais je ne suis pas sûre, c'était peut-être des surnoms entre eux. Enfin pour Nani, je pense que c'est vraiment ça. K en tout cas, c'est sûr. Mais il ne m'a pas dit son prénom tout à l'heure. Et là, il va dormir, dormir, dormir, dormir. Il doit être adorable quand il dort. Bon, il faut que je travaille mon latin. Malheureusement. Alors j'y vais.

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