Nous rougissons

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Je ne sais pas quel âge a K. Peut-être 22. Il est jeune. Cent fois plus jeune que MPL, c'est certain, plus jeune que Paul, c'est sûr, plus vieux que Jules je pense. Entre les deux. Il doit être étudiant. Je me demande en quoi. Je me demande où il habite. S'il est célibataire, aussi. Peut-être qu'il est en couple. Vu comme il me regarde, j'en doute. C'est pas ça, c'est que les hommes en couple regardent les filles d'une façon différente, ils ne les dévisagent pas. Ils les regardent, avec courtoisie mais les yeux ne pétillent pas comme ça. Surtout quand on est caissier, les filles on les regarde avec courtoisie mais on y fait pas attention, parce que c'est une cliente et que la chérie attend le soir, donc de toute façon, aux filles, on n'y pense pas. Alors que K me regarde avec des yeux étincelants. Son regard est superbe.


Je n'ai pas tenu jusqu'à samedi. Hier, c'était mardi et j'y suis allée. Tard parce que j'avais Mandarin avant et que j'y suis restée les deux heures. J'arrive, je dis bonsoir au responsable sans lunettes, qui me dit bonsoir avec des yeux un peu complices, comme depuis que je viens souvent et que je choisis la caisse de K. Je fais mes courses, mais je suis pressée, je dois appeler mes parents. Alors j'achète je sais même plus quoi à vrai dire, ah si, des Twix parce que j'ai eu 18 en Latin. Bref, je vais vers la caisse de K, et je le vois compter des billets. J'attends qu'il me dise que sa caisse est fermée pour être sûre mais il ne dit rien, ne me salue même pas. Alors je vais regarder une autre caisse, le responsable a sa caisse fermée. Donc la vieille mégère. Et en fond musical, Vianney et Joyce Jonathan. Je l'entends fredonner, ça fait sourire la vieille, ça fait rire le collègue. Je ne me retourne pas, il ne m'a pas salué, je suis vexée. Je me dépêche de partir. Je m'en vais fâchée. Il m'a snobée. Je me dis quel goujat. Quel salop. Alors je rentre et je suis triste. Je me dis que je vais bien attendre samedi pour le voir, que ça l'embêtera bien. Parce que j'en ai assez de passer pour la nunuche de service, je me dis qu'ils se moquent tous de moi là-bas. Ça me fait de la peine parce que je les aime bien. Mais bon, c'est comme ça. Alors je suis énervée le soir.


Le lendemain, j'ai envie d'acheter du pain. Et j'ai besoin de bonbons à la menthe. Je me dis que zut, c'est quand même pas eux qui vont m'empêcher de faire mes courses ! Et je repense au regard de K, à sa voix si jolie, à son attitude timide. Je me dis qu'il était peut-être fatigué et concentré sur sa caisse pour rentrer vite chez lui, que c'est normal, qu'on ne connaît pas la vie des gens. Alors sur la route pour aller au supermarché, je repense à MPL, à comme il était sous mon charme, comment il a fait pour me consacrer tant de temps dans sa vie d'adulte. Je souris, et au coin de la rue, je reprends du poil de la bête, je suis irrésistible après tout et j'ai envie de pain. Alors je marche à allure un peu pédante, je passe ma main dans les cheveux et je fais une moue de pétasse pour me mettre dans le bain. Le jeune homme qui m'a vu me voit. Je suis gênée mais bon, tant pis.


Je rentre dans le magasin, je dis bonsoir, croise le regard de K au loin, mais en premier lieu celui du responsable. Je cherche les bonbons à la menthe, il n'y en a plus. Je cherche un quatre couleurs, il n'y en a pas, pain en main. Je fais un tour rapide et me décide à prendre des yaourts. Je vais en caisse, la sienne est la seule ouverte, tant mieux. J'attends de mettre mes affaires. K qui m'a vu est timide. Comme tout le temps. Il est gentil, charmant, comme avant. Je lui pardonne hier, sans souci, oublie même. Le gars qui m'a vu danser, celui qui m'a vu marcher, range des choses en bout de caisse. Il a fini, commence à s'éloigner.


K, avec un sourire timide lui dit « T'oublie pas quelque chose ? », le jeune homme fait comme non. Puis commence à rentrer dans l'allée de la file, avec de l'élan, s'arrête devant moi et sur le mode de la confidence mais pas très près de moi, pas trop bas non plus, avec la main arrondie, il me dit, tout sourire, amusé, avec un accent joli « Vous savez, quand vous venez, il est content ». K est tout timide, moi aussi. Je souris, enchantée. Enchantée. D'une délicatesse folle comme façon de me faire comprendre que je lui plais. Je ne réponds rien, mais je dois avoir un grand sourire, j'espère du moins. C'est tellement adorable, tellement gentil ! Son ami ne m'a pas donné le numéro de K, il ne m'a pas proposé d'aller boire un verre avec K, non, rien, juste la gentillesse de me dire que j'étais cause de joie pour K. Tout simplement. Et d'une façon si élégante ! De tels moyens si délicats, si timides ne peuvent être que le fruit d'un amour sincère, n'est-ce pas ? Il aurait fait autrement sinon, il aurait été plus direct, plus frontal. Après, il était encore plus timide, il regardait sans cesse son ami que je ne pouvais pas voir, mi-gêné, mi-soulagé, comme un ado. Il était tellement timide qu'il a oublié de me proposer un sac. Et j'étais tellement perdue que j'ai laissé ma carte longtemps dans la machine. Il a mis mes yaourts dans le sac et j'ai mis la baguette dedans. Ensuite, il m'a demandé si je voulais garder le ticket ou s'il devait le jeter. J'ai dit que je le gardais, j'allais pas laisser partir à la poubelle le souvenir de cette jolie déclaration ! D'habitude, il ne me demande jamais ça. C'est la première fois depuis que je fais des courses qu'on me le propose. C'est sûrement pour écrire un mot sur le ticket une prochaine fois. Ou alors savoir si d'une certaine façon c'était réciproque. On verra. Demain, je ne peux pas y aller, j'ai ma JAPD et je vais à Orsay. Et puis je ne peux pas y aller directement demain, ça va trop vite sinon. Donc j'irai Vendredi. Pour le saluer, le voir. J'espère qu'il ne va pas trop s'inquiéter demain de ne pas me voir.

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